Retrouvez ici un extrait de la conférence de présentation de la 2ème journée nationale de mobilisation contre le harcèlement qui se tient ce jeudi 3 novembre 2016 et est consacrée cette année au cyberharcèlement.
Et ici l’intégralité du discours de la ministre :
– J’espère que tu vas crever
– Il faudrait la brûler.
– Si je te vois en vrai, je te tue.
– Retourne dans ton pays.
– Sale pédé.
– Dégage, sale traître.
– Tu sers à rien.
Ces mots, lus à haute voix, nous choquent. Ce sont pourtant des mots qui ont été reçus sur des tablettes, des téléphones portables, des ordinateurs. Quelle que soit l’heure, quel que soit le lieu.
Ces mots, comme il est facile de les taper, en commentaire sous un article, une vidéo, un post.
Comme il est simple de les envoyer par texto, par centaines.
Ces mots, quelques secondes suffisent pour les écrire.
Ces mots, quelques secondes suffisent pour les “liker”.
Ces mots, les victimes les entendront longtemps résonner.
Les paroles s’envolent et les écrits restent. Sur internet, ils font plus que rester. Ils pourrissent lentement. Ils font du quotidien un enfer, semaine après semaine, mois après mois, année après année. Les photos resurgissent. Les blessures se ravivent. L’oubli n’est jamais assuré.
Dissémination, rapidité, immédiateté et permanence sur le long terme, ne sont que quelques-unes des singularités du cyber-harcèlement. Il faudrait y ajouter ce mélange d’impunité et d’irresponsabilité qui fait souvent dire : “Ce n’est pas si grave, c’était juste pour rire.”
J’ai parlé de mélange ; c’est plus qu’un mélange. C’est un cocktail explosif. C’est une alchimie délétère. Il est de notre devoir d’en prendre la mesure et d’y apporter des réponses appropriées.
C’est pour cette raison que nous avons mis l’accent sur le cyber-harcèlement pour cette seconde édition de la journée “Non au harcèlement !” qui aura lieu demain, jeudi 3 novembre.
C’est pour cette raison, aussi, que j’ai voulu commencer ce discours par un florilège des commentaires reçus par des élèves, par des jeunes, par nos enfants.
Mesdames et messieurs, je vous remercie d’être présents pour cette conférence de presse à l’occasion de cette deuxième journée nationale « Non au harcèlement »
Cette journée est l’occasion de mettre en évidence un phénomène qui trop souvent profite d’une certaine invisibilité. Un phénomène contre lequel il faut combattre sans cesse. Et je veux aujourd’hui insister sur un point : non seulement le combat contre le harcèlement est nécessaire, mais, surtout, il est efficace.
L’enquête internationale HBSC (Health Behaviour in School-aged Children), est menée tous les 4 ans, dans 42 pays, auprès de collégiens. Celle publiée cette année montre une diminution du harcèlement en France entre 2010 et 2014 : 15% au collège, avec une baisse particulièrement marquée en sixième, puisqu’elle s’élève à près de 33%.
Derrière ces chiffres, ce sont des élèves qui ne souffrent plus ou qui ne souffriront pas. Ce sont parfois des victimes qui ont osé briser le mur du silence – avec un immense courage. Ce sont aussi les personnels de l’Education Nationale, nos élèves, les associations et les partenaires, qui ont tous décidé de refuser cette violence, cette oppression conformiste.
C’est également la politique que nous conduisons depuis novembre 2013. Toutes ces actions, tous ces acteurs ont permis d’obtenir ce résultat : le harcèlement recule.
Cette baisse, mesdames et messieurs, est une première en France depuis 20 ans. C’est une excellente nouvelle. Mais cette nouvelle doit surtout nourrir notre exigence et notre engagement.
Oui, nous devons continuer à agir.
Oui, nous devons prolonger nos efforts.
Si cette enquête nous montre une diminution, toutes les études consacrées au harcèlement nous rappellent une chose : un tel résultat est fragile. Le harcèlement, dès qu’il cesse de faire l’objet d’une politique décidée et ambitieuse, peut très rapidement revenir. Le harcèlement, s’il diminue, continue de faire des victimes. Donc ne relâchons pas la pression.
Vaincre le harcèlement demande du temps. Eric Debarbieux, que je remercie pour sa présence, le sait bien : il a alerté dès la fin des années 1990 sur ce fléau mais a dû attendre plus de 15 ans pour que ce combat soit enfin jugé prioritaire.
Nous devons donc continuer nos efforts, à tous les niveaux et en conservant cette cohérence qui fait notre force.
La lutte contre le harcèlement se déploie en effet sur 4 axes : sensibiliser, prévenir, former et prendre en charge.
Sensibiliser, d’abord, pour que le phénomène soit désormais connu et pris en compte à tous les niveaux.
Cela passe aussi bien par les actions existantes, dont cette journée « non au harcèlement » que j’ai voulu instituer depuis l’an passé. Cela passe aussi cette année par une campagne digitale et un clip de sensibilisation mettant l’accent sur le cyber-harcèlement.
Je remercie RoseCarpet qui avec le soutien de Google YouTube, a réalisé un clip fort, inspiré à la fois du travail de nos élèves dans le cadre du prix “Non au harcèlement” et des Youtubeurs et Youtubeuses qui l’an passé avaient réalisé une excellente vidéo reprenant les commentaires dont ils avaient été victimes.
Merci à toutes celles et tous ceux, qui, en témoignant de leurs propres expériences et de leurs souffrances, ont permis à des millions de jeunes de réaliser qu’ils n’étaient pas tout seuls et qu’il était essentiel de parler, de raconter, pour mettre fin à cet engrenage qui brise le corps et l’esprit.
Je souhaite aussi remercier les médias qui relaient ces témoignages et qui diffusent, gracieusement, le clip que nous réalisons : les groupes BFM TF1, Canal, M6, Cartoon Network, Disney Channel et bien sûr France télévision avec qui nous sommes partenaires depuis le début de cette opération et qui a encore consacré, il y a peu, une soirée au harcèlement.
Le deuxième axe, c’est celui de la prévention.
Ce sont des plans spécifiques et obligatoires mis en œuvre dans les écoles et les établissements ; des protocoles qui seront rénovés cette année pour mieux prendre en compte la question du « cyber-harcèlement » ; des prix, aussi, comme celui « Non au harcèlement » qui en sera cette année à sa 4ème édition, et je veux remercier la MAE qui nous soutient depuis le début sur cette opération. Plus de 19 000 jeunes l’an passé se sont de nouveau mobilisés pour réaliser des vidéos et des affiches qui servent ensuite de supports pédagogiques pour l’ensemble des écoles et des établissements.
Le troisième axe, c’est celui de la formation.
Plus nous aurons d’élèves et de professionnels formés, plus nous pourrons agir tôt, plus nous éviterons que ne se mette en place cette logique du pire qui vient faire de l’Ecole non plus un lieu d’émancipation, mais un lieu d’asservissement et de souffrance.
Nous avons déjà sensibilisé plus de 200 000 membres du personnel de l’éducation nationale ces dernières années, avec 1500 formateurs qui interviennent aussi bien dans les formations nationales, académiques, départementales et sur site.
Cette année, nous avons créé une nouvelle ressource de formation en ligne via M@gistère pour le second degré, et nous atteindrons les 300 000 professionnels sensibilisés d’ici fin 2016 – sans compter que 3 000 ambassadeurs lycéens seront aussi chargés d’intervenir auprès de leurs pairs.
Je remercie ces jeunes ambassadeurs pour leur engagement.
En effet, le harcèlement doit être l’affaire de la communauté éducative dans son ensemble.
Dire que le harcèlement est l’affaire de toutes et de tous, ce n’est pas diluer les responsabilités ; c’est rappeler la complexité de l’engrenage qui se met en place avec le harcèlement et y apporter une réponse adéquate.
C’est souligner qu’il est important de réagir dès les premiers signes. L’emballement du phénomène est souvent extrêmement rapide et destructeur, mais il peut aussi être freiné très tôt : il suffit parfois d’un geste, d’une parole, d’un refus d’être le témoin passif de ces actes.
Mais lorsque le harcèlement est là, nous devons à la fois prendre en charge les victimes et sanctionner les coupables.
C’est là le quatrième axe de notre action, qui s’appuie cette année sur une montée en puissance des dispositifs existants.
Ainsi le numéro vert, le 30 20, géré par l’association l’école des parents et des éducateurs d’Ile-de-France, va voir ses horaires élargis : de 9h à 20h en semaine, et de 9h à 18 h le samedi.
L’an passé le passage d’un numéro en 0 800 à un numéro à 4 chiffres avait pu être réalisé grâce au soutien de SFR-Numéricable que je remercie. L’effet fut immédiat : alors qu’en novembre 2014, la plateforme recevait environ 800 sollicitations, elle en a reçu près de 15 000 pour le seul mois de novembre 2015.
Nous allons aussi augmenter le nombre de référents harcèlement, en passant de 250 à 300, pour avoir un maillage plus efficace du territoire et répondre le plus rapidement possible aux situations qui nous sont signalés via le numéro vert.
Je rappelle la mise à disposition de protocoles de prise en charge des situations de harcèlement à destination des familles et des professionnels. Ces protocoles sont précieux car ils permettent d’accompagner au mieux la victime
Enfin je voudrais insister sur les cyber-violences à caractère sexuel.
Nous le savons, sur internet, le sexisme est particulièrement marqué. Cela va du plus anodin en apparence – toutes ces remarques sur le physique qui abondent dans les commentaires – jusqu’aux phénomènes de vengeance et de diffusion d’images et de vidéos intimes.
Ce sont là des faits d’une gravité immense, qui s’accompagnent en plus des difficultés qu’il y a à faire disparaître les images et les vidéos d’internet.
Depuis le vote de la loi du 7 octobre 2016 pour une République Numérique, les cyber-violences à caractère sexuel sont devenues un délit. La gravité des faits est désormais reconnue par la loi.
Il ne faut pas oublier que le cybersexisme se caractérise par une double invisibilité : parce qu’il se situe dans la sphère numérique, qui échappe aux adultes, et parce qu’il prend racine dans le sexisme ordinaire, souvent banalisé ou minimisé.
C’est pour cela que le travail engagé sur l’égalité entre les filles et les garçons et l’éducation aux médias et aux usages du numériques est indispensable.
Des faits aussi graves exigent donc de notre part une réponse cohérente, déterminée, et surtout collective.
Le harcèlement n’a pas de frontière. Il n’a pas de limites. Et c’est en agissant ensemble que nous pouvons réellement apporter des solutions aux situations dramatiques qui viennent trop souvent briser des vies.
Notre action se déploie donc à la fois dans nos établissements, sur internet, et en dehors de l’École.
Oui, nous avons besoin d’une alliance éducative solide, et je veux saluer l’ensemble des partenaires qui la font vivre et exister jour après jour.
L’association e-Enfance intervient auprès des élèves, des parents et des professionnels dans les établissements scolaires. À travers le numéro vert national Net-Ecoute qu’elle opère avec le soutien de la Commission européenne et du ministère, ses experts proposent des moyens techniques, juridiques et psychologiques adaptés à la victime de cyber-harcèlement, à sa famille et au personnel éducatif.
Je veux en particulier souligner que les partenariats noués entre l’Association e-Enfance et les différents réseaux sociaux permettent de faire cesser les manifestations en ligne du harcèlement, et que c’est là un point déterminant. D’ailleurs, ne nous trompons pas de cible. Ce ne sont pas les téléphones portables, les tablettes ou bien les réseaux sociaux que nous condamnons fermement ici mais les usages détournés qui en sont fait. Lorsque nous affirmons que “liker c’est déjà harceler” ce n’est pas l’usage du commentaire, du like ou du partage que nous attaquons mais bien le fait que des jeunes et des moins jeunes pensent que parce que nous sommes sur un espace dit virtuel, tout serait permis – même le pire.
Je tiens d’ailleurs à souligner les liens importants qui se sont tissés avec Facebook, Twitter ou YouTube. C’est en dialoguant avec eux que nous pouvons mieux appréhender certains usages nouveaux des jeunes sur les réseaux sociaux. Ils ont d’ailleurs eux-mêmes développé des procédures plus simples et plus lisibles pour supprimer ou faire supprimer les contenus illicites ou les contenus abusifs.
Merci à vous.
Merci de votre engagement et de l’aide que vous nous apportez, une aide qui est absolument déterminante si nous ne voulons pas laisser le sentiment que la République et la citoyenneté s’arrêtent là où commence le cyber-espace.
Ce combat de grande ampleur, c’est grâce à chacune et à chacun d’entre vous que nous le menons, et c’est avec vous que nous allons continuer à le mener.
La violence ne doit jamais être vue comme anodine, comme faisant partie du développement normal de la jeunesse. Ce n’est ni une étape, ni un rite, ni quelque chose qui leur passera.
La violence n’est jamais innocente.
Loin de toute minimisation, loin de toute revendication de je ne sais quel folklore de la souffrance scolaire, le harcèlement doit être combattu au quotidien, par chacune et chacun d’entre nous.
Ces injures, ces menaces, ces injonctions au suicide et ces appels à la mort ne sont pas que des mots. Ce sont des paroles qui viennent atteindre ce qui est si essentiel à chacune et à chacun d’entre nous : la dignité. Le respect. La confiance.
Dire non au harcèlement, c’est affirmer, au quotidien, la dignité et le respect de la personne humaine.
Voilà pourquoi nous continuerons toujours, mesdames et messieurs, à nous battre contre ce qui avilit, ce qui blesse, et ce qui, parfois, malheureusement, tue.
Je vous remercie.
Najat Vallaud-Belkacem
Ministre de l’Éducation nationale,
de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
Retrouvez ici le spot vidéo de sensibilisation réalisé par Rose Carpet et le dossier de présentation de la campagne.
Et le dossier de présentation de la campagne Non Au Harcèlement :
Tags : #NonAuHarcèlement, cyberharcèlement, harcèlement
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