Dans une lettre ouverte aux candidats à la primaire de la droite, la ministre de l’Éducation nationale dénonce leur volonté de supprimer des postes d’enseignants et appelle à inscrire dans la durée la refondation de l’École de la République engagée depuis 2012. Retrouvez ici cette lettre publiée par le journal Le Monde daté 10 novembre 2016.
Le débat télévisé qui devait vous permettre d’exposer vos projets pour l’école a sacrifié le thème de l’éducation : c’est regrettable. Sur ce sujet plus encore que sur tous les autres, les Français ont droit à un débat de fond qui dépasse la surenchère démagogique sur l’autorité et les mensonges sur les réformes de ce quinquennat. L’école de la République mérite mieux que d’être l’éternelle victime des alternances politiques. Sommes-nous capables de nous mettre d’accord sur l’essentiel, et de lui garantir une politique publique stable dans la durée, ainsi que le préconise depuis si longtemps l’ensemble de la communauté éducative de notre pays ?
Si nous voulons bien admettre qu’il faut des enseignants devant les élèves dans les salles de classe, la question de leur recrutement se pose. Or, s’il est une orientation qui recueille votre assentiment enthousiaste et unanime, c’est la purge sans précédent à laquelle vous souhaitez soumettre les moyens que la Nation consacre à son école. Sur la durée du prochain quinquennat, Bruno Le Maire et François Fillon entendent supprimer 500 000 postes de fonctionnaires, Nicolas Sarkozy 300 000 et Alain Juppé entre 200 000 et 250 000. Jean-François Copé propose un gel total des embauches et Nathalie Kosciusko-Morizet la suppression du statut de fonctionnaire pour tous les emplois ” non régaliens “, dont les enseignants.
Si les effectifs consacrés à la sécurité et à la justice sont épargnés, c’est donc au bas mot 100 000 emplois que vous envisagez de supprimer dans l’éducation nationale. Bien plus que les 80 000 postes détruits entre 2007 et 2012. Alors que ce ministère compte environ 20 000 départs à la retraite par an, votre proposition signifie donc au minimum n’en remplacer aucun et fermer, faute de postes, les concours auxquels se destinent des milliers de jeunes qui se préparent à enseigner. Avec 100 000 fonctionnaires en moins, l’idée même de remplacer un professeur absent devient une chimère, l’abandon des écoles rurales une évidence, et l’explosion des effectifs en classe une certitude, au moment même où la démographie scolaire remontera dans le 2d degré.
Devoir de transparence
Vous voulez faire des économies sur l’éducation ? Assumez alors ce qu’un tel saccage signifie demain pour les élèves, les familles, les enseignants. Assumez l’apparition de déserts éducatifs dans les territoires fragiles, urbains ou ruraux et la fin de toute ambition républicaine pour transmettre aux enfants de France une identité commune. Assumez, enfin, que tous ces adultes en moins dans les salles de classe et les cours de récréation, ce n’est pas vraiment l’idéal pour ” rétablir l’autorité “.
Pour échapper à ce devoir de transparence dans vos engagements, vous évoquez les comparaisons internationales. Mais que montrent-elles ? Que la performance de notre système éducatif n’a cessé de se dégrader depuis 2003, et que le poids des déterminismes sociaux sur la réussite des élèves français, lui, n’a cessé d’augmenter sur la même période. Quand d’autres pays, dont l’Allemagne, réagissaient très tôt pour lutter contre ces inégalités de réussite, vous engagiez la France dans une décennie de déclin éducatif que les efforts historiques consentis au cours de ces cinq dernières années ne suffiront à enrayer que s’ils sont soutenus sur le long terme.
Au lieu de cela, vous proposez le tri précoce des élèves, toujours les mêmes. Dès le CP pour Nicolas Sarkozy, en créant des classes spéciales où reléguer les élèves en difficulté. En orientant dès la 6e vers une professionnalisation rapide pour Bruno Le Maire. Ou en développant l’apprentissage précoce à 15 ans, avant la fin de la scolarité obligatoire pour François Fillon. Comme si la démocratisation scolaire était allée trop loin. Comme si l’orientation subie et imposée n’était pas la source des frustrations et de l’échec. Comme si la relégation scolaire des élèves en difficulté permettait la revalorisation de la filière professionnelle que chacun appelle par ailleurs de ses vœux. L’école du libre choix, progressif, accompagné, réversible a déjà permis, elle, de diminuer de 30 000 en cinq ans le nombre de jeunes sortant sans qualification ? N’est-ce pas préférable ?
La priorité au primaire dites-vous ? Aux fondamentaux ? Alors pourquoi proposer, comme vous le faites, de supprimer la cinquième matinée de classe dont bénéficient les écoliers depuis la réforme des rythmes scolaires ? Pour revenir à un nombre de jours d’école parmi les plus faible des pays de l’OCDE ? Pourquoi vouloir mettre fin au ” plus de maîtres que de classes ” qui fait des merveilles sur le terrain pour compenser, dès qu’elles apparaissent, les difficultés scolaires ? Est-ce ainsi que nos enfants maîtriseront mieux ce précieux lire-écrire-compter qui nous tient tant à cœur ? Est-ce en sacrifiant à nouveau la scolarisation des moins de 3 ans, que vous avez déjà divisée par trois quand vous étiez aux responsabilités que nous réduirons les inégalités dans l’apprentissage du français ? Où est la cohérence à reconduire ce qui a échoué dans le passé ?
Continuité républicaine
L’école de la République, ses enseignants, ses élèves, nos enfants, à tous, méritent mieux que le grand bond en arrière que vous leur promettez. Regardons devant nous, avec un autre état d’esprit que le clivage permanent.
Parce que la réforme du système éducatif ne produit ses effets qu’à l’échelle d’une génération d’élèves, il nous faut de la continuité républicaine dans les politiques publiques qui sont conduites.
Parce que le sens d’une politique éducative, c’est évidemment son niveau de performance sur le niveau des élèves et leur future insertion professionnelle, mais c’est aussi sa capacité à construire des citoyens confiants, des adultes heureux, libres, entreprenants et créatifs, nous devons débattre des questions de pédagogie, de transmission des savoirs et des valeurs.
Parce que nous vivons une époque mondialisée, numérisée, qui connaît des mutations économiques, technologiques, sociales, environnementales et culturelles plus rapides et profondes que jamais dans l’histoire, nous devons débattre maintenant de la place des langues vivantes, de l’apprentissage du code, des arts, ainsi que du numérique et de l’innovation à l’école.
Parce que personne ne sait aujourd’hui quels seront les métiers, emplois et compétences de demain, nous devons débattre de notre politique publique d’orientation, mais aussi de la reconsidération des filières techniques et professionnelles pour élever le niveau de qualification de tous nos élèves et élargir tous les viviers de l’excellence.
Parce que la société française traverse une crise grave, longue et profonde, qui remet en question sa démocratie, ses institutions, son modèle social, son rapport à l’immigration ou aux religions, nous devons débattre de la place de l’école de la République pour faire en sorte que nous réaffirmions, tous ensemble, la confiance que nous avons en elle, dans son personnel et les enseignants qui, malgré les difficultés, ont toujours répondu présent, et continuent de le faire avec compétence, engagement et courage en cette rentrée scolaire.
Ainsi, peut-être, je le souhaite et je l’espère, nous sortirons des faux débats, des polémiques minuscules ou des considérations grotesques sur les vertus comparées de la tablette numérique et de l’uniforme pour enfin aborder les vrais enjeux de l’école au XXIe siècle.
Najat Vallaud-Belkacem
Ministre de l’Éducation nationale,
de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
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