Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, est retournée le 6 avril 2017 au lycée Tocqueville de Grasse (Alpes-Maritimes), cible d’une fusillade le 16 mars dernier, pour remettre les insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur à son proviseur, Hervé Pizzinat. En affrontant l’élève armé, auteur de la fusillade, en discutant avec lui, Hervé Pizzinat, blessé par balle au bras, avait sans aucun doute permis d’éviter le pire. Lire le discours de la ministre.
Hervé Pizzinat, proviseur du lycée Tocqueville, par son sang-froid admirable devant une situation de crise a permis d’éviter le pire #Grasse pic.twitter.com/v42ksGXVjL
— Najat Belkacem (@najatvb) 6 avril 2017
Monsieur le président du conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur,
Monsieur le président du Conseil départemental des Alpes-Maritimes,
Monsieur le maire de Grasse,
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le Recteur de la région académique Provence-Alpes-Côte-d’Azur, cher Bernard BEIGNIER,
Monsieur le Recteur de Nice, cher Emmanuel Ethis,
Mesdames et messieurs en vos grades, titres, et qualités,
Monsieur le Proviseur,
Il y a des moments où tout peut basculer. C’est un moment comme celui-ci que votre lycée a vécu, il y a quelques semaines. Un moment où la folie, la violence, font irruption entre les murs.
Ce jeudi 16 mars, un élève, armé, a pénétré dans votre établissement, pour commettre un acte inqualifiable, une folie.
Un constat s’impose : le pire a été évité. Et je veux remercier toutes celles et ceux qui, par leur professionnalisme, par leur courage, et par leur engagement, sont intervenus rapidement, et avec une efficacité, absolument remarquable.
Je veux aussi saluer la prise en charge qui a été réalisée après cet événement, et qui permet aujourd’hui, malgré la dureté des faits, malgré les traces et les cicatrices, que je sais encore vives, de continuer, malgré tout, à avancer, à vivre.
Merci à vous toutes et à vous tous qui êtes là, présents, aujourd’hui, à nos côtés. Votre présence rappelle l’unité qui a été la nôtre au cœur du drame, elle témoigne de la mobilisation collective de chacune et de chacun d’entre nous, dans nos différentes fonctions. Ce drame, c’est ensemble que nous le surmontons.
Mais ce qui nous rassemble aujourd’hui, c’est aussi l’hommage rendu par la nation toute entière à un homme qui devant l’agresseur, n’a pas hésité à intervenir, à discuter, à dialoguer.
Vous avez, monsieur le Proviseur, été d’un sang-froid admirable, devant une situation de crise.
Alerté de la présence d’un élève armé dans votre établissement, vous allez à sa rencontre.
Vous le croisez dans l’escalier central.
Vous commencez à lui parler.
Ses premiers mots, indiquant qu’il ne souhaite pas vous tuer, vous donnent l’espoir de pouvoir le dissuader. Mais au moment où vous voulez entamer cette discussion, voici qu’il vous tire dessus.
Atteint à l’épaule, vous ne renoncez pas. Vous continuez à parler, à dialoguer. Avec une seule idée : empêcher le massacre. Empêcher la tuerie.
Ces quelques mots ont suffi à offrir aux autres de précieuses secondes, de précieuses minutes pour se mettre à l’abri.
Alors, je sais que vous ne vous considérez pas comme un héros. Selon vos propres mots, je vous cite : « vous n’avez pas de justaucorps bleu et de cape rouge ».
Mais ce n’est pas le costume qui fait le héros : c’est le caractère, le courage, et l’abnégation dont vous avez fait preuve dans ce moment dramatique.
Devant vous, il y avait un jeune, un élève, un de ces jeunes pour lesquels vous travaillez au quotidien avec votre équipe pédagogique pour leur donner les moyens de se bâtir un avenir : et ce jeune avait basculé dans la folie, dans la violence, dans le pire.
Ce pire, vous l’avez évité, vous l’avez empêché, vous l’avez entravé.
Alors, monsieur le Proviseur, je tiens, comme vous, à saluer le comportement exemplaire de l’ensemble des personnels et des élèves ; je reconnais, comme vous, l’importance du collectif, dans la réaction que vous avez tous eu face au tireur ; mais je veux aussi appeler les choses par leur nom : ce que vous avez fait est un bien un acte d’héroïsme.
Ce que vous avez fait est un de ces actes par lesquels le mérite individuel s’engage pour le bien commun et c’est un bien essentiel entre tous pour lequel vous vous êtes sacrifié : c’est la vie de vos élèves, de vos personnels, que vous avez sauvée.
Votre acte, votre personne, votre engagement, méritent pleinement la Légion d’Honneur ; c’est pourquoi j’ai tenu à ce que l’on vous décerne cette Légion d’honneur, que j’ai l’honneur de vous remettre aujourd’hui, monsieur le Proviseur.
C’est le sens même de cette décoration que de saluer le mérite civil ou militaire, que de saluer celles et ceux qui rendent, à la Nation, à la République, des services éminents.
Vous avez, en tant que proviseur, été blessé dans l’exercice de vos fonctions. C’est une phrase qui résonne étrangement, je le sais. On l’attendrait davantage s’agissant d’un militaire.
Cependant, c’est une phrase qui nous rappelle, à toutes et à tous, que la folie, la violence, peuvent aussi, malheureusement, faire irruption dans nos établissements. Et j’ai une pensée, naturellement, pour les élèves blessés qui sont aujourd’hui avec nous.
Oui, la folie, la violence, ne nous épargnent pas. Elles sont exceptionnelles, mais ce sont aussi des réalités, devant lesquelles nous devons agir, et réagir, sans jamais tomber dans l’excès et la provocation, mais sans jamais, non plus, fermer les yeux devant les mesures nécessaires pour faire face.
Je connais d’ailleurs, monsieur le Proviseur, votre engagement et celui de tout la communauté éducative, dans la refonte du plan particulier de mise en sûreté (PPMS) et dans la mise en œuvre des exercices de sécurité.
Par votre acte, par votre courage, vous avez été bien au-delà de vos fonctions, et en même temps, vous leur avez donné tout leur sens.
Vous qui, dans le mot rédigé pour souhaiter la bienvenue aux élèves, vous présentez comme un capitaine, vous avez refusé de quitter le lycée avant d’être assuré que tout le monde se trouvait en sûreté.
Vous qui, dans ce même mot, reconnaissez que les années du lycée ne sont pas toujours faciles, mais que vous, les enseignants, l’ensemble des personnels, seraient toujours présents, tels des phares, pour éclairer et guider les élèves vers le grand large, vous avez montré qu’au-delà des mots et des métaphores, votre engagement était bien réel, était bien tangible.
Un proviseur connaît son lycée, mais, plus important encore, il connaît ses équipes, ses personnels, ses élèves, tous ces êtres humains qui vivent, rassemblés, dans l’enceinte de ce lieu où se transmettent les savoirs, et où se construisent les avenirs.
Et c’est bien parce que vous les connaissez, parce que vous vous dévouez au quotidien pour eux, pour les accompagner, les soutenir, que devant le danger qui les menaçait, vous n’avez pas hésité.
Vous avez eu peur, bien sûr. Mais c’est là le véritable courage : avoir peur, et agir quand même.
Vous vous êtes dressé, vous êtes intervenu, et cela a tout changé.
Alors, vous dites que vous n’avez fait que ce que tout être humain aurait fait. Je pense, en réalité, que vous avez fait beaucoup plus. Et je ne suis pas la seule.
Une telle action ne saurait être minimisée, banalisée.
Devant les armes, vous avez cru en la force des mots. Même blessé, vous avez continué à essayer de ramener l’agresseur à la raison.
Cela n’est pas anodin.
C’est la preuve d’un véritable courage, et d’une implication sans faille au service de vos élèves. Par votre action, vous avez rappelé le sens de votre engagement pour l’Ecole, qui vous conduit à toujours penser d’abord aux autres, avant de songer à vous-même.
L’acte exceptionnel que vous avez accompli vient s’inscrire dans un parcours plus vaste.
Un parcours où reviennent toujours, comme une constante, un même engagement, une même volonté, une même générosité : agir pour les autres.
Si votre réaction dans un moment dramatique a été admirable, je ne veux pas, au moment de vous remettre votre décoration, oublier tous ces autres actes, plus discrets, plus secrets, par lesquels vous vous êtes dévoué au quotidien pour cette institution à laquelle nous sommes si profondément attachés, l’Ecole de la République – même si les palmes académiques, ordre dont vous avez été fait Officier en 2015 sont déjà venues les récompenser.
D’abord surveillant d’externat dans différents établissements de l’académie de Reims, vous devenez CPE en 1989, avant de réussir, en 1998, le concours de personnel de direction, et c’est le 1er septembre 2013 que vous arrivez dans ce lycée Alexis de Tocqueville de Grasse, en tant que proviseur, après avoir été principal de collège et proviseur d’un lycée professionnel.
Au cours de votre carrière, vous avez exercé dans ces établissements que l’on qualifie pudiquement de « difficile » : ces difficultés, vous les avez prise à bras le corps, avec une énergie et en même temps une bonne humeur qui ne vous quitte que rarement.
Au collège Jean Giono, vous avez, pendant sept années, agi sans relâche pour permettre à tous les élèves de réussir, pour leur montrer qu’il n’y avait pas de fatalité, et vous avez défendu avec vigueur la réputation de cet établissement, de ses élèves et de ses personnels, quand il a été attaqué dans un journal par un classement des établissements soi-disant violents.
Comme vous avez défendu, ce 16 mars dernier, l’intégrité physique de vos élèves, vous avez défendu l’intégrité morale de ces quartiers que l’on montre trop souvent du doigt, au lieu de regarder concrètement ce qui s’y joue et ce qui s’y passe chaque jour.
Et au sein de ce lycée Alexis Tocqueville, vous développez de nombreux partenariats, avec l’université, avec le CNRS, pour justement rappeler sans cesse à vos élèves que l’horizon est riche de possibilités et de chemins vers l’avenir.
Et puis, il y a, aussi, dans ce lycée, un point auquel j’ai été sensible.
Vous tenez à développer « l’orientation par l’exemple ». Vous tenez à ce que les parcours des anciens élèves viennent inspirer vos lycéennes et vos lycéens. Vous tenez à ce que leur avenir puisse prendre corps, s’incarner, à travers ceux qui les ont précédés.
Eh bien, aujourd’hui, c’est aussi l’exemplarité qui est au cœur de cette cérémonie.
Vous avez été, devant le danger, absolument exemplaire, en tant que proviseur, en tant que citoyen, en tant qu’homme.
Votre exemple doit inspirer chacune et chacun d’entre nous, et marquera longtemps encore l’histoire de ce lycée Alexis de Tocqueville, ce lycée qui doit réapprendre à vivre, même si un tel événement laisse forcément des cicatrices.
Et je crois que c’est vous qui avez exprimé cela avec le plus de force, et c’est pour cela que je tiens à vous citer :
« On ne gommera pas cet événement là, il laissera des traces indélébiles. Mais la vie continue et l’on reprendra le chemin de l’école avec le sourire pour faire avancer ces jeunes que l’on aime ».
Cet amour de votre métier et des autres, cet engagement, cette volonté de continuer à toujours avancer, c’est tout cela qui trouve, aujourd’hui, sa juste récompense.
C’est donc, pour moi, monsieur le Proviseur, un grand honneur, et un réel plaisir, que de vous déclarer :
Hervé Pizzinat, au nom du président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier de la Légion d’Honneur.
Najat Vallaud-Belkacem
Ministre de l’Éducation nationale,
de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
Photo © Philippe Devernay / MENESR
Tags : Grasse, Hervé Pizzinat, Légion d'Honneur, décoration
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La Légion d’honneur n’est t’il pas donné au personne ayant rendu des « mérites éminents » à la Nation? Car il est honorable de le remercier pour son courage face a ce jeune Etudiant et je trouve que l’on donne cette médaille a n’importe qui…
Bonjour. Il a reçu une très belle reconnaissance honorifique, bien méritée, ce proviseur, par une Ministre, vous, qui est depuis toujours engagée pour faire fonctionner une école capable de former les jeunes à une citoyenneté responsable. Les classes d’un lycée, ça peut des fois déplaire à quelqu’un, car l’enseignement que l’on apprend, ça n’est pas de la neutralité. Ce fou de Grasse, par exemple, aimait son univers neutre, sans sens, sans priorités partagées et raisonnées. Ce fou de Grasse avait envie de faire triompher ses indécisions, sa volonté folle de vouloir rejeter toute réponse partagée et raisonnées, des réponses qui toutefois existent, car on est dans la possibilité de les découvrir, dans les classes des lycées et ailleurs. Là où on les cherche, là où on débatte, là où on raisonne, là où on se parle, là où on discute, c’est juste là où on les découvre, les réponses aux questions de tous les jours, valables pour tout le monde, mais en général, ces réponses déplaisent à ceux qui ont leur monde à part, qui personne ne doit essayer de mettre en discussion. La folie est des fois claire à comprendre dans ces personnes qui détestent avancer en même temps que les autres. Là où on avance tous, les fous, aimant uniquement leur univers à part, ont alors envie de tout casser, pour protéger leurs convictions statiques. La folie du jeune tireur de Grasse avait une matrice d’insécurité personnelle que les avancées faites dans sa classe ont rendue évidente. L’école doit donner les chances de réussir aux vies des jeunes, en étant capable en même temps d’anticiper les pires enfermements de ceux qui ont uniquement leur monde à eux-mêmes. Bien à vous, madame la Ministre, Najat Vallaud-Belkacem.