« Le care, c’est prendre les citoyens pour des adultes éclairés porteurs de solutions » – Interview Usbek & Rica

Presse Publié le 7 octobre 2020

Merci Usbek & Rica pour cet échange sur notre livre 📘

«[…] C’est précisément parce que ces métiers et fonctions (du care) sont assurés par des femmes qu’ils sont si peu reconnus. Au fond le sexe qui leur est associé entraîne leur déclassement social ».

Usbek & Rica : Vous avez fini l’écriture de votre livre en juillet 2020. Trois mois plus tard, alors qu’il sort en librairies, la crise sanitaire est toujours là. A-t-on déjà le recul nécessaire pour mesurer un aggravement des inégalités à cause de la pandémie ?

Najat Vallaud-Belkacem : Oui, parce que des choses très révélatrices se sont déroulées en accéléré sous nos yeux. En à peine quatre mois, nous sommes passés par toutes les couleurs. Au temps comme suspendu de façon inédite des premiers jours a succédé l’utopie d’un nouveau monde, plus conscient, écologiste et juste. Il y a eu une prise de conscience qu’on vivait dans un monde à la fois d’interdépendances (il fallait nous voir livrés à nous-mêmes tentant d’instruire nos enfants) et de hiérarchie des valeurs totalement inversée, où ceux qui font le plus pour la société (les « premiers de corvée » qu’on voyait soudain et dont on se rendait compte qu’il s’agissait essentiellement, et de façon si évidente, de premières de corvée) sont aussi les moins gratifiés. Un monde dans lequel plus un métier a une valeur sociale, plus il semble voué à une rémunération asociale. Et on a aussi pris conscience que cette anomalie-là, qui en disait long sur nos erreurs en termes de priorités, méritait, sitôt le confinement terminé, d’être renvoyée dans les cachots de l’histoire. 

Hélas, à peine deux mois plus tard, la parenthèse s’est refermée, et c’est cela qui a nourri notre irritation avec Sandra (Laugier, sa co-autrice, ndlr) : il n’en restait rien. Le confinement n’a donné à voir qu’une dégradation des conditions de vie de ces invisibles premier(e)s de corvée. Pire : ces femmes, qui étaient déjà grandement privées de parole, l’ont été encore plus, aussi absurde que cela puisse paraître dans un moment où ce sont elles qui tenaient la société. Les émetteurs de discours, d’expertises, d’énonciation des priorités, de ce qui est juste ou de ce qui ne l’est pas, n’ont pas bougé d’un iota. C’était les mêmes, en encore plus homogène. Or leur accaparement, non seulement du récit mais aussi de la gestion de crise, étouffait toute possibilité d’appréhender cette dernière différemment, et notamment d’y répondre avec ce qu’on appelle l’éthique du care, c’est-à-dire le soin, l’attention aux autres, l’absence de négligence à l’égard des plus faibles, la considération pour la voix et les voix de chacun et la responsabilisation des citoyens face à cette pandémie.

À cela le gouvernement a préféré un discours autoritariste, convoquant la guerre et faisant étrangement l’économie des affects. Moquant ou pointant du doigt les comportements anxieux des citoyens (les achats de précaution par exemple), leur mentant délibérément pour ne pas avoir à justifier ses propres errements (sur les masques notamment), ne reconnaissant jamais le rôle de ces citoyens ou des associations dans la défense de la vie (par l’aide alimentaire improvisée au service des plus démunis dans bien des quartiers populaires, que le discours public se contentait de stigmatiser ; par l’abnégation totale d’employés des EHPAD qui choisissaient délibérément de s’enfermer avec les personnes âgées pour les garder à l’abri, etc.).

Lire la suite de l’entretien publié à l’occasion de la publication de notre livre sur le site de la revue Usbek et Rica ici :
« Le care, c’est prendre les citoyens pour des adultes éclairés porteurs de solutions ».