L’ex-ministre de l’Éducation nationale de François Hollande a décidé de défier Laurent Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes lors du scrutin de juin. Rencontre à Lyon avec la socialiste, qui replonge en politique quatre ans après sa défaite aux législatives.
Par Rachid Laïreche Envoyé Spécial à Lyon – Photo Cyril Zannettacci.
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Au milieu du cours de la Liberté, à Lyon, une petite porte s’ouvre. Des affiches au sol, des cartons vides et des drapeaux qui ne flottent plus. On emprunte un petit escalier en bois. Une affiche est collée au mur : François Mitterrand nous regarde droit dans les yeux. Des vies se trouvent à l’étage de la fédération du Parti socialiste du Rhône. Laura, l’attachée de presse du coin, nous guide au fond d’un couloir. Sur le chemin, dans un petit bureau, un vieil homme avec une longue barbe. Il fume et tapote sur un ordinateur. On nous explique que le monsieur est une mémoire vivante du socialisme. Ici, il a tout vu, tout entendu. Une archive qui se balade en tong dans les lieux. Il prépare aussi les cafés et les thés. On pousse la porte de son bureau qui sert également de fumoir. Il se retourne, méfiant. Dans le brouillard de la clope, le vieil homme lâche seulement : « J’espère que votre vie est belle. » Une scène étrange.
Des bruits de pas au loin. Najat Vallaud-Belkacem approche. Elle sourit. Elle n’est pas seule. François Pirola est là aussi. Une sorte de duo. Ils sont de la même génération. Le Lyonnais l’accompagne depuis ses débuts en politique, au début du siècle. Un conseiller de l’ombre. L’ex-ministre de l’Education nationale s’installe près d’une plante. Elle arrache quelques feuilles mortes entre chaque mot. Les jambes sont croisées et le masque retiré. « NVB » est de retour au premier rang. Elle postule à la présidence de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Un soulagement pour les socialistes locaux. « On avait peur qu’elle recule, ça fait des semaines, voire des mois, qu’on attendait son annonce mais elle repoussait à chaque fois, ce n’était jamais le bon moment. Et il y avait des discussions avec les autres partis », relate un dirigeant rose. Sa déclaration de candidature a été saluée par toutes les têtes du Parti socialiste dans le pays. Des éléphants aux éléphanteaux.
L’ombre demande la lumière
Najat Vallaud-Belkacem a tenté jusqu’au bout de mener la baston alliée aux écologistes : des réunions, des échanges, des propositions et une fin de discussion. Chaque couleur accuse l’autre d’avoir fait capoter l’alliance – une banalité en politique. Elle retrouvera sans doute la candidate verte, Fabienne Grébert, après le premier tour. Le résultat des urnes obligera l’une à se ranger derrière l’autre pour la finale. Elles gardent en tête l’objectif prioritaire : faire chuter de la présidence (le très droitier) Laurent Wauquiez qui mène la danse dans les sondages. La gauche n’oublie pas le passé. Les socialistes ont dirigé Rhône-Alpes et Auvergne pendant des années. Le règne s’est arrêté fin 2015, lors de la fusion des deux régions. Najat Vallaud-Belkacem – contente de sa trouvaille – surnomme Laurent Wauquiez « petit Trump ». Elle parle de son adversaire avant l’arrivée des questions : « Ici, nous faisons face à un homme qui ne se préoccupe pas du tout de l’intérêt général. Depuis son arrivée au pouvoir, la région a reculé sur tous les sujets. La gestion est scandaleuse et erratique. Il n’y a que la communication autour de sa personne qui compte à ses yeux. »
François Pirola lève le doigt. L’ombre demande la lumière un instant. Il souhaite « souligner une chose importante ». Najat Vallaud-Belkacem est née au Maroc, elle a passé son enfance dans le nord de la France, à Abbeville et Amiens, mais la région Auvergne-Rhône-Alpes reste son terroir. François Pirola cite tous les mandats locaux de la candidate dans le passé – région, ville et département – lorsque Gérard Collomb et Jean-Jack Queyranne détenaient toutes les clés des alentours. Pas question de la faire passer pour une parachutée. François Pirola ajoute : l’ancienne ministre de l’Education ne revient pas en politique pour un « poste » ou penser à « l’après », jure-t-il la main sur le cœur et le masque sur le nez.
Partir ou rester ?
On se souvient de l’une de nos dernières rencontres avec NVB avant sa parenthèse. Jeudi 15 juin 2017 : elle se pose au fond d’une brasserie à Villeurbanne, près de Lyon. Le regard rivé sur son portable, elle rigole à voix haute. Puis elle nous invite à partager son fou rire. Dans une émission de télévision, Anissa Khedher, candidate de La République en marche (LREM) dans la circonscription voisine, propose d’installer des « paravents » pour diviser les classes par deux dans les établissements scolaires. Cette vidéo lui fait du bien. Une sorte de soulagement face à l’ouragan Macron. Elle se console : « C’est aussi impossible que de faire voler un cerf-volant en pleine tempête.» Trois jours plus tard, Najat Vallaud-Belkacem se présente face à la presse. Voix tremblante et regard fragile, la socialiste annonce sans surprise sa défaite au second tour des législatives. Le marcheur et homme d’entreprise Bruno Bonnell rafle la mise – elle le retrouvera comme tête de liste de la majorité présidentielle pour les régionales en juin. A l’époque, l’un des visages du quinquennat Hollande se retrouve sans mandat. Le début d’une nouvelle vie qui n’était pas inscrite sur son agenda.
Najat Vallaud-Belkacem a longuement hésité après sa défaite : partir ou rester ? De nombreux socialistes ont poussé des deux mains pour la convaincre de prendre la tête du parti. Elle a décliné. Son nom est également revenu sur la table lors des européennes et des municipales. Des refus en cascade. L’ancienne ministre a préféré poser ses valises au sein de l’institut de sondages Ipsos, diriger une collection chez Fayard avant de devenir, en mars 2020, directrice générale de l’ONG One, en France, qui lutte « contre la pauvreté et les maladies évitables ». Elle avait l’air heureuse dans sa nouvelle vie. L’ancienne ministre revenait seulement de temps à autre au cœur du bruit pour cogner sur le gouvernement : Jean-Michel Blanquer, qui lui a succédé à l’Éducation, est sa cible favorite.
Col à grimper
Pourquoi un retour sur scène ? Elle se braque : « J’ai arrêté la politique partisane, j’avais besoin de prendre de la distance, de couper avec le son médiatique mais je n’ai jamais arrêté de faire de la politique, de m’engager. Lutter contre la pauvreté, ce n’est pas de la politique ? Et j’ai voyagé, j’ai essayé de comprendre les mouvements dans le monde, notamment le populisme.» François Pirola lève à nouveau le doigt. « Je peux compléter ? » On l’écoute tout sagement : « A l’époque, c’était une bonne chose d’arrêter, c’était une période compliquée après le quinquennat, les électeurs voulaient essayer autre chose. La folie aurait été de persister, de vouloir s’accrocher. Sa décision était saine. »
Najat Vallaud-Belkacem ne répond pas vraiment à la question. Aujourd’hui, la victoire dans la région s’annonce compliquée. Une sorte de col à grimper sur sa bicyclette en pleine canicule. Elle nous dit qu’elle y croit, forcément. On retente. « Pourquoi le retour ? Parce que j’ai un sens des responsabilités, la période est incertaine et dure avec la pandémie, je ne pouvais pas me planquer », répond-elle. Le triomphe ne pourra s’obtenir en pointant du doigt son adversaire principal, Laurent Wauquiez, de l’aube à la nuit. La candidate souhaite également mettre en avant son programme « économique, social et écologique » pour relancer la région. Dans la petite salle de la fédération socialiste, ses doigts se tordent entre eux au moment d’évoquer la jeunesse : « On ne peut pas les laisser dans cet état, les lendemains de crise risquent d’être terribles. Nous devons être à leur côté. La région fera le nécessaire avec une dotation et des formations. »
NVB se met un peu sur le côté pour poser sous l’œil du photographe. François Pirola prend le relais. La campagne n’intéresse pas grand monde aujourd’hui. Les esprits sont ailleurs. Il espère élargir le cercle autour de la candidate en attirant des partenaires politiques avant que la grande foule ne s’en mêle dans la dernière ligne droite. Le patron du Parti radical de gauche, Guillaume Lacroix, est déjà de l’aventure. L’histoire avec les écologistes, c’est vraiment terminé ? « Nos propositions sont toujours sur la table mais maintenant on regarde devant nous.» Najat Vallaud-Belkacem intervient à distance sans perdre du regard l’objectif du photographe : « Non non, dis que la porte est toujours ouverte. »
Le « gardien du temple »
En quittant les lieux, on s’arrête encore un instant dans le bureau du vieil homme mystérieux, le « gardien du temple ». L’odeur de cigarette fait mal à la tête et la fumée brouille le paysage. Il a l’air bien. On tente de percer le mystère. Il se retourne. Nous avons le droit à un sourire et une petite phrase : « J’espère que votre discussion fut intéressante et que le retour vers chez vous sera agréable. » On redescend les escaliers en bois sous le regard de François Mitterrand.
Par Rachid Laïreche Envoyé Spécial à Lyon – Photo Cyril Zannettacci.
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Tags : Auvergne-Rhône-Alpes
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