Dans sa tribune pour ELLE, Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l’Éducation, revient sur l’attentat qui a visé une école pour filles dans la capitale afghane, tuant plus de 50 personnes dimanche.
A Kaboul dimanche, des dizaines de jeunes filles de 13 à 18 ans ont été enterrées dans le « cimetière des martyrs ». Elles y reposent avec toutes les victimes d’attaques contre la communauté hazara, après avoir été fauchées la veille par trois explosions de bombes devant leur école.
Leur crime ? S’instruire. S’émanciper. Vivre leur droit inaliénable à l’éducation. Braver chaque jour les talibans qui incendient leurs écoles et traquent leurs familles.
Ce drame nous laisse brisés. Il laisse le monde à la recherche de réponses, en vain, tant cet événement, comme ceux qui l’ont précédé, se soustrait à la raison. Tant il nous rappelle la faiblesse des mots pour qualifier ce degré d’horreur et d’injustice.
La semaine dernière, ces jeunes filles avaient protesté contre le manque de professeurs et de matériel scolaire. Elles étaient nombreuses à braver la peur, les interdits et les menaces, comme Malala Yousafzaï avant elles, qui se battait chaque jour pour aller à l’école sous la domination des talibans pakistanais, elle aussi victime et survivante d’attentat, elle aussi, plus lumineuse qu’ils sont obscurs.
A vous, toutes les jeunes filles du monde, premières victimes de la guerre
Ce qui s’est passé à Kaboul n’est pas un incident isolé : c’est une histoire qui se répète tous les jours, alors que des filles du monde entier risquent leur vie pour poursuivre leurs ambitions. Ce qui s’est passé à Kaboul est systémique : les violences contre les femmes ne sont pas des dommages collatéraux, elles sont orchestrées dans le cadre d’une stratégie politique calculée. Elles sont un instrument du règne de la terreur que les talibans et toutes les forces obscurantistes veulent édifier, en commençant, comme toujours, par opprimer les femmes et les priver de leurs droits les plus élémentaires.
En commençant, comme toujours, par les priver d’éducation et de toute possibilité de s’exprimer, de lire, d’écrire, de penser par elles-mêmes, de se libérer de l’ombre des hommes et de vivre dans une société à leur égale.
Ce féminicide de masse, car c’est bien de ça dont il est question, nous rappelle que les femmes, les jeunes filles, sont toujours les plus vulnérables. Il nous rappelle amèrement qu’elles sont toujours les premiers instruments de terreur, les premières victimes de la guerre, les premiers signes d’une société malade : les jeunes filles de Kaboul ont rejoint hier le tragique cortège des lycéennes de Chibok au Nigeria, des jeunes Yézidies, des dizaines de milliers de victimes de viol au Soudan, en RDC, en Colombie, au Népal, en Inde, en Tchétchénie, des femmes devenues armes de guerre en Ouganda, en Afrique du Sud ou au Sierra Leone.
A vous, toutes les jeunes filles du monde, premières abandonnées
Le massacre des lycéennes hazaras nous rappelle l’impérieuse nécessité de construire des abris pour nos filles. Les violences contre les enfants, contre les femmes, ne peuvent plus continuer dans une impunité devenue la norme. Ces jeunes Afghanes, ce sont nos filles : chacune d’entre elles.
Le monde entier doit se mobiliser pour elles, des citoyens aux chefs d’Etat, toute la communauté internationale, dans un vaste sursaut de conscience planétaire, pacifique, mais déterminé à ne rien céder.
Sans compter que la crise que nous traversons a des conséquences dramatiques pour toutes les femmes du monde. Elle exige un réveil commun, impérieux : la pandémie aura fait perdre 36 ans à l’égalité entre les femmes et les hommes. Dix millions de mariages d’enfants supplémentaires pourraient être conclus d’ici à 2030, plus de dix millions de jeunes filles pourraient ne pas retourner en classe après la crise.
Nous devons, ensemble, réaffirmer le droit à l’éducation comme un droit fondamental, fidèle à la déclaration universelle des Droits de l’Homme, et à la déclaration universelle des Droits de l’Enfant. L’école, partout dans le monde, sans aucune exception, doit être un sanctuaire.
Nous devons, ensemble, défendre l’universalité des valeurs humanistes, contre tous les relativismes, tous les conservatismes, tous les extrémismes. Nous devons, ensemble, assurer une participation réelle des femmes dans les processus de paix, pour éradiquer le fléau des violences sexistes, mieux protéger les victimes et mieux sanctionner les bourreaux. Nous devons, ensemble, être unis par la révolte et l’indignation pour promouvoir une véritable diplomatie des droits des femmes.
A vous, toutes les jeunes filles du monde, vous êtes la clé pour la paix de demain
Les jeunes lycéennes de Kaboul lèguent un testament plus éternel que la mort : la croyance en l’humanité, la justice et le droit. Leurs assassins n’ont pas atteint ce qu’elles ont de plus précieux : leur intelligence et leur volonté. Ils ont échoué à abattre le symbole qu’elles représentent pour les femmes du monde entier, celui du courage, de la conscience et de la liberté. Dans leur résistance, elles mènent un combat pour notre liberté à toutes et tous.
Nous devons, collectivement, nous inspirer de leur courage et rallumer le feu de l’idéalisme, promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes comme une cause mondiale.
A toutes les jeunes filles du monde, vous êtes la clé pour la paix de demain.
Tribune publiée dans Elle, le 10 mai 2021.
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