“Crise migratoire: nouvelle année ou nouveau monde?” : la tribune de Najat Vallaud-Belkacem

France terre d'asile Publié le 9 janvier 2023

Ancienne ministre de l’Éducation nationale et présidente de “France Terre d’asile”, Najat Vallaud-Belkacem prend la parole dans Nice-Matin.

À l’heure de tirer des bilans et de tracer des perspectives, inutile de se le cacher: le moment est sombre pour tous ceux qui se préoccupent des droits humains dans le monde… Voudrait-on détourner le regard, que les images de répression, de mutilation ou de désolation s’imposent à nous, directement et à jet continu sur des écrans miniatures.

La question qui se pose aujourd’hui est celle-ci : au-delà de l’empathie et de la compassion, à quels efforts est-on collectivement prêts pour soulager en partie les drames des individus ainsi poussés à l’exil? L’état du débat démocratique et médiatique sur le droit d’asile et la protection des réfugiés ne semble guère encourageant. Et les politiques migratoires de plus en plus sécuritaires progressivement annoncées et mises en œuvre dans tant de nos pays ne font que renforcer la peur et les idées reçues dans une opinion publique en manque d’information et de repères fiables.

On peine à deviner, en vérité, où s’arrêtera ce durcissement des conditions d’accueil en Europe, quand pourtant cette tendance montre depuis plus de 20 ans son échec le plus total. Les crises géopolitiques, économiques ou climatiques vont continuer à pousser toujours plus d’hommes, femmes et enfants à fuir leur pays d’origine pour tenter de rejoindre d’autres côtes.Et pourtant nos gouvernements semblent plus déterminés que jamais à s’obstiner dans l’erreur, pour ne pas dire plus.

Deux évènements aux conséquences vertigineuses ont en effet marqué cette fin d’année 2022.La Haute Cour de justice britannique, tout d’abord, a fini par rendre quelques jours avant Noël un jugement favorable au projet de transfert de demandeurs d’asile du Royaume-Uni vers le Rwanda. De quoi s’agit-il? Le RoyaumeUni a conclu en avril 2022 un accord bilatéral avec le Rwanda, dont l’objectif est de lui sous-traiter les demandes de protection qu’il juge irrecevables.En clair, il s’agit d’externaliser sa politique migratoire contre de l’argent. Le Haut-Commissariat des Nations-unies pour les réfugiés avait estimé que cette initiative allait à l’encontre de la Convention de Genève de 1951, qui fonde aujourd’hui encore la protection des réfugiés et la solidarité internationale. La Cour européenne des droits de l’homme avait, elle, empêché quelques mois plus tard un premier vol de décoller.Malgré les contestations politiques, morales et juridiques, le gouvernement britannique est désormais libre de relancer et d’appliquer ce dispositif qui, en plus de fixer cyniquement un prix à des vies humaines, fragilise l’édifice du droit universel à l’asile.

Le second évènement, plus récent encore, vient du gouvernement italien, qui a pris en toute fin d’année une série de mesures visant les ONG secourant les migrants naufragés en mer.Elles ont désormais l’interdiction de procéder à plusieurs opérations de sauvetage au cours d’une même mission, avec l’obligation de rejoindre le port sûr, non plus le plus proche, mais celui qui leur sera assigné d’autorité. Les premières décisions montrent qu’il peut s’agir des ports les plus éloignés des zones de sauvetage : dans quel but, sinon de les empêcher de revenir à temps sauver le maximum de vies humaines ? C’est un pas supplémentaire franchi dans la criminalisation inacceptable des ONG et des militants.C’est, là encore, le droit italien comme le droit international qui sont attaqués de front dans l’intention, sans aucun doute possible, de fissurer et d’abattre tout le système de valeurs dans lequel nous vivons depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui place le respect des droits humains et de la vie humaine au-dessus de toutes les autres considérations.

On le voit, une vraie guérilla juridique est en cours à toutes les échelles, qui engage un véritable tournant démocratique.C’est en cela que l’accueil des réfugiés doit plus que jamais être considéré comme un enjeu crucial pour nos sociétés, notamment en Europe. Le plus grand des dangers qui nous guette en 2023 est bien celui-ci: ne pas basculer d’une année vers l’autre, mais d’un monde à l’autre.

Tribune publiée dans Nice Matin, le 9 janvier 2023.