Transports scolaires : « Assurer une égalité fondée sur la gratuité », Entretien avec News Tank Mobilités

Éducation nationale Publié le 24 janvier 2023

Depuis le 01/01/2023, les voyageurs de la Région paient plus cher leur ticket de transport, 8% pour les clients occasionnels et 2,8% pour les abonnés. Le bras de fer entre Laurent Wauquiez et la SNCF a-t-il servi à quelque chose ? La durée du renouvellement est-il en cause dans la situation actuelle ?

Les négociations avec la SNCF pour la prochaine convention TER sont toujours en cours et les oppositions ne sont pas associées. On peut comprendre que la majorité régionale souhaite passer un accord effectif en la matière, mais elle doit garder en mémoire que l’usager n’a pas à être lésé par ce qui ressemble avant tout à un manque d’anticipation et de préparation de notre collectivité sur le sujet. Ce « bras de fer » ne présage rien de positif quant à une meilleure gestion de la compétence ferroviaire.

À l’heure actuelle, concrètement, le service se dégrade et les usagers en subissent les conséquences au quotidien. L’exécutif, à travers cette hausse des tarifs assume et poursuit la politique ferroviaire mise en place jusqu’à maintenant, très insatisfaisante, tout en demandant un effort financier supplémentaire aux usagers.  

Cette situation n’est ni viable ni acceptable. Elle va à contresens des objectifs sociaux et environnementaux que toute région soucieuse des intérêts de ses habitants devrait poursuivre.

D’autres solutions auraient-elles pu être trouvées pour éviter cette hausse ?

Oui, cette hausse était évitable. Si notre collectivité avait une ligne claire et des ambitions affichées, avec un objectif à moyen terme de diminution significative du prix des billets voire d’un tarif unique, nous ne serions pas dans cette situation.

Depuis que Laurent Wauquiez est à la tête de la Région, il n’a cessé d’élargir ses compétences. On pourrait croire que c’est parce qu’il estime avoir dejà tout fait sur ses compétences initiales. Pas du tout. L’investissement régional a été engagé en priorité sur le service routier tandis que le transport ferroviaire n’est pas assuré correctement, que ce soit sur les grandes lignes régionales avec des rames bondées aux heures de pointe, ou sur les petites lignes qui ne sont pas développées, et où les rames de trains laissent progressivement la place à des lignes d’autocars.

Durant cette négociation, le président de Région en a profité pour s’attaquer au « centralisme parisien ». L’État aurait-il faire plus, comme à Paris, et comme l’affirme M. Wauquiez ?

On s’est habitués à prendre connaissance des attaques à répétition de Laurent Wauquiez – contre le gouvernement tout comme contre ses cibles préférées, les militants ecologistes, son opposition à la région, le monde de la culture…- dans la presse.

Ce qu’il nous manque c’est des informations sur son intêret pour la situation des Auvergnats et des Rhônalpins. Voilà un Président pour qui la région est avant tout un marchepied pour atteindre ses ambitions personnelles et qui tente de se créer une posture au niveau national. Hélas, toute cette énergie consacrée au service de sa communication personnelle ne se ressent pas vraiment dans les politiques publiques régionales.

Il a réitéré récemment, avec le plan d’aide d’urgence aux boulangeries dans lequel il ne prend jamais le temps de s’attarder sur les modalités, laissant dans le flou les artisans de notre territoire qui tentent de décrypter les annonces faites dans la presse. À titre d’illustration, Il omet de préciser que ce plan laisse de côté environ un tiers des boulangers qui se trouvent dans la Région, sans critères objectivement justifiables, si ce n’est sa volonté tenace d’opposer les territoires.

Au fil des assemblées, on a donc affaire à un Président distrait qui est manifestement occupé à challenger le Gouvernement sur des sujets d’actualité. Les Auvergnats et les Rhônalpins méritent mieux et ne souhaitent pas être pris en otage par l’aventure personnelle de leur Président de Région.  

Retour sur une crise importante de l’année 2022, la pénurie de chauffeurs. Cette situation pourrait-elle se reproduire l’année prochaine ? Des formations ont-elles été lancées ?

Tant que seront mises en place des politiques de réaction, les problèmes ne se résoudront pas de façon pérenne. La problématique des chauffeurs de bus, et des bus scolaires en particulier, est un bon exemple. Lors de la dernière rentrée scolaire, toutes les régions de France étaient confrontées à la pénurie de conducteurs, mais la région Auvergne-Rhône-Alpes était la plus touchée avec un manque de 1000 conducteurs pour acheminer les élèves jusqu’à leurs établissements scolaires.

Pendant ce temps, la Région Occitanie avait déjà procédé au recrutement massif de 550 chauffeurs, se plaçant dans une situation nettement plus confortable à l’approche de la rentrée. En Auvergne-Rhône-Alpes, ce retard est dû à un manque d’anticipation, mais surtout à un manque de considération et d’écoute puisque nous alertions dès le début de l’été sur la nécessité de mettre en place des mesures sur le sujet. Des mesures qui permettraient une meilleure attractivité du métier de conducteur, avec une amélioration des conditions d’exercice  et un financement complet de la formation des intéressés.

Évidemment, Laurent Wauquiez a fait fi de nos alertes à ce moment : il a préféré improviser des solutions de fortunes, à savoir la possibilité d’emprunter des mini-bus à des associations et clubs sportifs à proximité des écoles. La politique de la rustine n’est pas à la hauteur d’une grande région comme la nôtre. Un plan de formation des conducteurs a finalement été mis à mis en place, mais le problème risque de se présenter régulièrement au cours des rentrées prochaines si la situation et les conditions d’exercice des conducteurs de bus ne sont pas considérablement améliorées.

Vous avez appelé de vos vœux, la gratuité du transport scolaire, est-ce vraiment possible dans l’état actuel des choses ? La situation actuelle pose-t-elle un problème d’égalité des chances et d’accès à l’éducation ?

Dans notre Région, les transports scolaires sont gratuits dans certains endroits, tandis que dans d’autres départements, ils représentent une charge financière conséquente pour les familles.

En 2021, la gestion a été totalement transférée à la Région. Très bien, mais pourquoi faire ? on voyait là l’opportunité d’appliquer une politique plus juste, plus sociale grâce aux moyens conséquents de la collectivité.  On a dû déchanter rapidement.

Cette inégalité pèse aujourd’hui sur les parents d’élèves qui, pour certains, nous contactent pour nous faire part de leur incompréhension. La Région doit enfin prendre en main ce service et assurer une égalité qui serait basée sur la gratuité. Carole Delga a mis en place cette gratuité  au sein de la Région Occitanie ce qui assure aux parents d’élèves un transport scolaire gratuit de la maternelle au lycée. Voici le modèle que nous devons suivre et je m’efforce à le rappeler dès que possible au sein de l’enceinte régionale.

Les transports scolaires sont un des facteurs d’égalité d’accès à l’éducation, et ne doivent pas échapper au principe de gratuité de l’école. Il s’agit d’un sujet que nous porterons jusqu’à sa concrétisation avec le groupe Socialiste au Conseil régional.

Pour une meilleure accessibilité du réseau de TER sur la Région, une tarification unique serait-elle plus intéressante ?

Oui, nous devons appliquer une tarification unique et abordable pour inciter le plus possible d’habitants à utiliser les modes de transports ferroviaires pour leurs trajets quotidiens.

Il est possible, dès aujourd’hui, de mettre en place des dispositifs comme cela a pu se faire en Occitanie avec les billets périodiques à 1 €, ou encore à travers le modèle allemand et son billet mensuel à 9 euros. Au départ, cette mesure appliquée en Allemagne était d’ailleurs destinée à compenser les prix de l’énergie dans le sillage de la guerre en Ukraine. Ça a été une grande réussite, avec des millions d’usagers qui ont pu profiter de cette offre. Donc on a des exemples qui démontrent que nous sommes, en Auvergne-Rhône-Alpes, à contre-courant des exigences imposées par la conjoncture économique et les besoins environnementaux, et que ce n’est rien d’autre qu’une question de volonté politique.

L’augmentation du prix des billets est une grave erreur dans la période actuelle où le pouvoir d’achat des familles est impacté par l’inflation de toutes parts. Aujourd’hui, chacun est conscient de la nécessité de délaisser son véhicule pour se tourner vers des modes de transports plus responsables. Ce que retiennent les gens de cette mesure c’est l’hypocrisie des pouvoirs publics en général et de notre Région plus précisément, qui ne fait rien pour garantir un report modal dans de bonnes conditions. 

Pour mémoire, Laurent Wauquiez a mis en place une gratuité totale, le temps d’un week-end, en octobre dernier. Une initiative que nous avons encouragée et qui devra être reconduite à l’avenir. Malheureusement, l’annonce d’un tel dispositif s’est faite en dernière minute, privant la plupart des usagers de l’information, et à n’en pas douter d’abord et avant tout pour contrer le bad buzz lié à l’annonce la veille de la hausse des tarifs des billets au 1er janvier 2023.

De nombreuses associations d’usagers témoignent des conditions de transports détériorées sur des lignes TER. Des problèmes matériels sont évoqués. L’investissement est-il suffisant ? Est-ce un choix politique ?

J’étais récemment à la rencontre de l’une de ces associations d’usagers à la gare de Vienne. Les nombreux dysfonctionnements quotidiens dissuadent en réalité beaucoup de gens à se rendre en train sur leur lieu de travail, ou de loisirs.  

Cette situation dure depuis des années et résulte du manque d’investissement et d’entretien de notre matériel ferroviaire.  La plupart de ces associations qualifient les voyages sur ces lignes ferroviaires très fréquentées d’indignes ou encore de « parcours du combattant » dans lesquels les usagers se sentent comme du bétail. Plusieurs lignes sont dans un état critique : Lyon-valence, Lyon-Genève ou encore Lyon-Clermont…

Lors de l’examen du budget 2023, nous avons multiplié les propositions allant dans le sens de la restauration de ces lignes. Aucune de nos demandes n’a été entendue, et les usagers, venus manifester leur mécontentement devant l’hôtel de Région n’ont pas plus obtenu gain de cause.

L’executif n’entend tout simplement pas les demandes des Auvergnats et des Rhônalpins sur le sujet. Pour autant, la collectivité continue à engager des dispositifs de sécurité hors de sa compétence à l’image du dernier dispositif de sécurité des gares présenté dernièrement. Evidemment que les conditions de voyage sont une grande source de tension en gare et durant les voyages. Mais précisément : la rénovation de notre réseau ferroviaire permettrait à long terme, d’éviter de déployer un grand nombre de caméras de surveillance souvent issues de plans lourds, couteux, et d’une efficacité moindre.

Avec ces nombreuses difficultés sur le réseau, comment favoriser un rapport modal de la voiture vers le transport en commun ? Le signal actuel envoyé aux utilisateurs occasionnels est-il favorable ?

Évidemment que c’est un très mauvais signal envoyé aux usagers, qu’ils soient occasionnels ou non. Cette politique n’est en rien incitative pour les usagers et beaucoup optent pour la voiture finalement. Nous ne pouvons plus continuer d’invoquer la transition écologique, si l’on ne met pas toute notre énergie de collectivité publique à son service.

Encore une fois, les transports en commun doivent être abondés en moyens, pour inciter les voyageurs à les emprunter. Il convient d’inverser la tendance sur les avantages du transport en commun par rapport aux moyens de transports polluants dans l’esprit collectif : que ce soit en termes financiers, de rapidité, de gestion des aléas ou encore de fréquence des dessertes.

Entretien avec News Tank Mobilités, interview n°277629, publiée le 23 janvier 2023.