L’ancienne ministre, Najat Vallaud-Belkacem, a pris la tête depuis le 2 juillet 2022 de l’association France Terre d’Asile. Elle partage dans la Gazette son inquiétude face à l’augmentation des attaques de groupuscules d’extrême- droite et plaide pour un meilleur accompagnement des collectivités accueillant des demandeurs d’asile.
Quinze jours après sa prise de fonction, Dorothée Pacaud, nouvelle maire (DVD) de Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique), a déjà déposé trois plaintes pour des menaces venues de l’extrême-droite. Alors que son prédécesseur a démissionné après l’incendie de son domicile, craignez-vous que les maires hésitent à accueillir des demandeurs d’asile ?
Dans la plupart des cas, l’implantation des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) se passe bien. Le problème est qu’il y a une libération progressive de la parole raciste et xénophobe qui se traduit
par une augmentation préoccupante des attaques de groupuscules d’extrême droite contre les acteurs de la solidarité, notamment les centres de demandeurs d’asile. En avril dernier, une structure de France Terre d’Asile à Bègles a été victime de tags racistes et menaçants du groupuscule d’extrême droite Action Identitaire. Les exemples se multiplient : Bordeaux, Angers, Lyon, Caen, Chambéry, Rennes, Paris, Toulouse, Montpellier… Tout cela est devenu tristement commun.
Le silence des pouvoirs publics est frappant. La banalisation des propos et des actes xénophobes est installée, et avec elle le sentiment d’impunité de leurs auteurs. La conséquence est que des élus hésitent à s’engager dans l’installation de lieux d’accueil. Ils craignent que leur commune, eux-mêmes ou leur famille ne soient abandonnées à leur tour, comme à Callac (Côtes-d’Armor), où le maire a annoncé en janvier l’abandon d’un projet d’accueil de réfugiés.
L’incendie du domicile du maire de Saint-Brévin-les-Pins est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. On parle quand même d’une tentative d’assassinat. Pour éviter que cette inquiétude prospère, il faut que les services de l’État se mobilisent pour assumer cette politique de répartition des demandeurs d’asile, et pour accompagner les élus et les associations.
La démission du maire de Saint-Brévin-les-Pins inquiète les élus locaux. Comment expliquez-vous l’inaction dans la lutte contre les menaces venues de l’extrême-droite ?
Je pense qu’il y a une part de contexte : les relations politiques sont devenues extrêmement tendues. Le gouvernement a fini par considérer comme des ennemis tous ceux qui le contestent, comme en
témoigne la première réaction d’Élisabeth Borne après l’incendie de St Brévin-les-Pins, fustigeant « tous les extrêmes ».
Non, tout n’est pas à mettre dans le même sac : les haines xénophobes et racistes sont hors du champ républicain et ne sont pas comparables aux oppositions contre la réforme des retraites. Le gouvernement semble ne plus prendre la mesure des véritables dangers. Le combat contre l’extrême-droite a perdu de son évidence.
Comment l’État peut-il aider les élus à mieux gérer l’accueil de migrants ?
Je trouverais précieux que l’État ouvre un lieu ressource qui puisse aider les collectivités locales. Un lieu où on puisse trouver des juristes et des représentants de l’État pour les soutenir et répondre à leurs interrogations sur les statuts de ces personnes.
Cela pourrait les aider à faire face aux attaques de ceux qui, pour empêcher l’accueil de ces migrants, sont prêts à toutes les instrumentalisations. C’est ce que l’on fait, à moindre échelle, à France Terre d’Asile, et cela marche très bien.
La loi immigration peut-elle permettre de régler certains problèmes ?
Tout cela n’est pas sérieux. Ce projet de loi est utilisé comme un appât pour se refaire une santé politique ou détourner l’attention de l’opinion.
Non pas qu’il n’y ait aucun problème à régler, mais si seulement on les réglait… Si seulement on s’attaquait au manque criant de moyens des préfectures, aux raisons pour lesquelles certaines OQTF ne sont pas éxécutées, aux embûches administratives qui empêchent la bonne insertion des personnes…
Pour tout cela, il y a moins besoin d’une nouvelle loi que de prendre à bras le corps les questions d’hébergement, de transition ou d’apprentissage du français, des choses plus complexes à faire que de pointer du doigt ceux dont on fait des indésirables en les accueillant mal.
En septembre 2022, Emmanuel Macron a plaidé pour une répartition des migrants en milieu rural. Pourtant, les sondages sont mitigés. Pensez-vous que les Français puissent l’accepter ?
Il ne faut pas prendre au pied de la lettre les sondages d’opinion, car ils ne sont que le reflet du récit martelé par les pouvoirs publics et les médias. Quand le récit proposé épouse nos valeurs, comme nous l’avons observé pour l’accueil de 100 000 Ukrainiens, non seulement la population ne ressent pas de difficultés à accueillir, mais elle en éprouve même de la fierté.
A contrario, lorsque le récit est unilatéralement négatif, silencieux, honteux, et qu’on ne crée pas les conditions pour un accueil digne et décent, on se retrouve avec des demandeurs d’asile qui dorment sous des ponts, et on en fait des points de fixation très faciles à exploiter pour les marchands de haine.
La Cour administrative d’appel de Paris a annulé, le 3 mars dernier, une subvention de 100 000 euros octroyée en 2019 par la Ville de Paris à l’ONG SOS Méditerranée. Quel regard portez-vous sur cette décision ? Est-ce aux collectivités de subventionner SOS Méditerranée ?
Dire à une collectivité locale qu’elle ne peut désormais plus financer une association, c’est plutôt curieux comme raisonnement. Les raisons pour lesquelles cette subvention a été attaquée étaient éminemment idéologiques, venant d’acteurs qui n’hesitent pas à dépeindre SOS Méditerranée en complices des passeurs. Ce procès est de plus en plus fait aux associations, et cela contribue à la banalisation des thèses et actes extrémistes. Si les structures qui vont repêcher des rescapés au milieu de la Méditerranée deviennent des boucs émissaires, il ne va pas plus rester grand monde pour sauver cette dignité.
Départements de France a alerté, le 11 mai dernier, sur l’arrivée massive de mineurs isolés aux frontières, et l’embolie de l’aide sociale à l’enfance responsable de leur prise en charge. Quelle est la réalité ?
La réalité, c’est entre 10 et 15 000 mineurs isolés étrangers pris en charge chaque année par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), soit 15 % des mesures ASE. Le sujet, c’est plutôt les nombreux interstices juridiques non réglés qui plongent les jeunes dans des zones de non-droit.
Par exemple, les jeunes qui n’ont pas fait l’objet d’une admission ASE à l’issue de l’évaluation de leur minorité mais qui saisissent le juge des enfants pour contester cette évaluation ne sont plus hébergés par l’ASE. Se déclarant mineurs, ils ne peuvent pas non plus accéder aux hébergements d’urgence du droit commun, réservés aux adultes.
Dans l’attente, ils vivent à la rue, ce qui ne peut qu’aggraver leur situation après un parcours d’exil souvent chaotique. Or, en vertu de ses obligations internationales, la France est tenue d’assurer la protection de l’intégralité des enfants présents sur son territoire. Tant que le juge ne s’est pas prononcé sur la minorité d’un jeune se déclarant mineur, il devrait être traité comme tel, disposer d’un hébergement sécurisé et d’un accès à l’éducation et aux soins. Le principe de présomption de minorité doit prévaloir.
Mais pour cela, il faut cesser de traiter ce sujet sous le prisme de la gestion des flux migratoires, et percevoir ces jeunes comme des enfants en danger plutôt que comme des étrangers. La demande de Départements de France à l’État de renforcer les moyens de la police pour surveiller les frontières atteste de ce glissement qui menace gravement les droits des enfants.
Autre exemple : ce que deviennent ces mineurs isolés accueillis par l’ASE et qui ont ensuite atteint la majorité. Accéder à un titre de séjour, une insertion professionnelle ou un logement relève du parcours du combattant, on le voit tous les jours et c’est un énorme gâchis.
D’après vous, la France remplit-elle correctement ses obligations en termes d’accueil de réfugiés ?
Quand on regarde autour de nous, invariablement, l’Allemagne fait mieux. Mais à coté de cela, plusieurs pays européens appliquent désormais un programme de guerre aux migrants. Le Royaume-Uni, par exemple,
assume de repousser les limites du droit international en interdisant à tous les migrants arrivant par bateau d’introduire une demande d’asile. Le Danemark renvoie les réfugiés syriens établis dans le pays pour atteindre un objectif de 0 demande d’asile dans le pays. Les garde-côtes grecs semblent avoir joué un rôle terrible dans le naufrage de la semaine dernière…
À la lumière de ces exemples, la France continue de tenir son rang. Mais si elle ne veut pas rejoindre cette triste dérive, il est de la responsabilité des pouvoirs publics de combattre les thèses de l’extrême droite.
Entretien avec La Gazette des communes, publié le 22 juin 2023.
Sur le même sujet
- Mémorandum pour l’École de demain
- Le message de confiance du président de la République à l’École et à la Recherche
- Mon discours au Sénat pour l’examen du projet de loi pour l’égalité femmes-hommes