Les dernières semaines ont montré que Pap Ndiaye, ministre de l’éducation durant quatorze mois, était surtout un homme seul au sein d’un gouvernement et d’une majorité se refusant à lui accorder le moindre soutien, souligne, dans une tribune au « Monde », Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre.
J’aurais tant aimé, il y a quelques jours, que des dizaines d’organisations de la communauté éducative de notre pays trouvent les arguments pour en appeler au maintien de Pap Ndiaye au ministère de l’éducation nationale. J’y aurais joint ma voix, comme je l’ai fait pour Isabelle Rome, l’ex-ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Car je crois profondément que certaines politiques publiques devraient échapper à un excès de politisation, être protégées dans la durée par une forme de consensus national autour de quelques grandes priorités, sous le regard attentif des acteurs et des grandes organisations représentatives du secteur. Cela exige de nombreuses conditions, du respect, du travail, du courage, mais je crois que cela est possible et souhaitable.
Les droits des femmes font partie de ces politiques publiques, bien sûr, mais l’éducation aussi. Je l’ai dit en quittant mes fonctions ministérielles en 2017, je l’avais redit lors de la nomination de Pap Ndiaye. Je l’avais soutenu, sans illusion excessive sur ses chances de réussite, parce que j’estime l’homme, l’historien, l’intellectuel, le citoyen engagé contre le racisme, l’antisémitisme, les discriminations et donc contre l’extrême droite. Je ne le regrette pas.
Petites lâchetés de Bercy et de Matignon
Ce que je regrette, ce sont ces longs mois écoulés sans véritable inversion du cours des choses telles qu’elles avaient été enclenchées lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, avec Jean-Michel Blanquer. C’était pourtant le sens de sa nomination, sinon pourquoi changer ? N’était-il pas possible d’aller au bout des promesses présidentielles sur la rémunération des enseignants, plutôt que de couvrir les petites lâchetés de Bercy et de Matignon ? N’était-il pas possible de prendre quelques risques pour promouvoir la mixité sociale à l’école en sachant que ce serait soutenu par l’écrasante majorité de la communauté éducative ? N’était-il pas possible, à tout le moins, d’opposer une résistance plus ferme aux attaques absurdes à base de fantasmes sur le wokisme, le décolonialisme, la déconstruction ou l’intersectionnalité dont on sait qu’elles nourrissent, au fond, les combats de l’extrême droite contre le féminisme, la liberté de penser ou l’antiracisme ?
On aimerait le penser, et en blâmer le ministre sortant pour se donner bonne conscience. Mais les dernières semaines ont malheureusement montré que Pap Ndiaye était surtout un homme seul, dans un gouvernement et une majorité qui n’avaient aucune considération pour ce qu’il représente, ce qu’il incarne et même ce qu’il peut penser ou dire. Ne serait-ce que pour prendre sa part minimale de liberté afin de dénoncer l’évidence : que l’extrême droite s’empare, petit à petit, des médias et des contre-pouvoirs de ce pays. Cette solitude aux couleurs de la trahison qu’il a dû ressentir au cours de ces journées sans le moindre soutien a peut-être levé ses dernières illusions sur le camp politique qu’il avait rejoint. Elle a surtout prouvé qu’en réalité, non, il n’aurait pas pu faire mieux.
Porteur d’espoir
A la lumière de cette aventure qui s’achève, discréditant un peu plus ce qu’il reste du macronisme, doit-on considérer que nous avons tous été dupes d’un scénario écrit à l’avance ? Je ne le crois pas. Je continue de penser qu’Emmanuel Macron, malgré une bonne dose de cynisme, a eu raison de nommer Pap Ndiaye à l’éducation nationale, et que ce dernier a eu raison d’accepter. Le geste politique était fort, et le seul portant un peu d’espoir sur ce second quinquennat. Personne n’a jamais cru qu’il rééquilibrerait vraiment à gauche cette majorité qui prenait un virage si serré à droite. Mais nous sommes quelques-uns à avoir pensé qu’il pouvait refaire des écoles cet « asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas » appelé de ses vœux par Jean Zay. C’est le sens, en tout cas, que j’ai voulu donner à sa discrétion, à sa patience si ce n’est sa mansuétude à l’égard de ses collègues de gouvernement, à cette forme de placidité qui commençait à interroger mais pouvait être une stratégie pour agir à l’ombre des polémiques. Je sais aussi combien pèsent le sentiment du devoir et l’impératif de loyauté lorsqu’on est aux responsabilités, parfois jusqu’à l’excès.
Dans le fond, ce n’est pas même cela qui compte : ce n’est pas pour ce qu’il a fait ou pas fait que Pap Ndiaye quitte son ministère, c’est pour ce qu’il est, ce qu’il pense et ce qu’il représente, y compris malgré lui. Ce n’est pas lui qui a échoué, c’est l’exécutif qui a démissionné en n’assumant pas l’impérieux devoir de solidarité qu’il lui devait.
Tribune publiée dans Le Monde le 21 juillet 2023.
Sur le même sujet
- Mémorandum pour l’École de demain
- Le message de confiance du président de la République à l’École et à la Recherche
- Mon discours au Sénat pour l’examen du projet de loi pour l’égalité femmes-hommes