Monsieur le Président, accueillons les Afghanes – Tribune dans Libération

France terre d'asile Réfugiés Publié le 15 août 2023

Le 15 août marque le sinistre anniversaire de la prise de Kaboul par les Talibans en 2021 et le début d’une régression sans équivalent dans le monde pour les femmes et les filles afghanes. Dépossédées de leurs droits et libertés en raison de leur genre, elles font face à un régime qui ne s’arrête devant rien pour obtenir leur effacement dans l’espace public et restreindre leurs perspectives d’avenir.

Cette réalité est aujourd’hui bien documentée : il n’est pas à l’heure actuelle pire pays que l’Afghanistan dans lequel naître et être femme.

Depuis des mois maintenant, les chercheurs, organisations non gouvernementales et défenseurs des droits humains alertent sur la situation des femmes afghanes. Au printemps 2023, dans une première tribune publiée dans le Monde, avec des journalistes et chercheuses et le soutien de 350 personnalités, nous exhortions la France à organiser un programme d’accueil, pour ne serait-ce qu’une infime partie de ces femmes, en particulier celles qui ont réussi à quitter l’Afghanistan et se retrouvent isolées, bloquées en Iran ou au Pakistan. Au même moment, Amnesty International publiait un rapport qualifiant les persécutions subies par les femmes afghanes de « crime contre l’humanité en raison du genre ». Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas.

Mais alors, que faisons-nous pour ces femmes, aujourd’hui ? L’opération APAGAN, qui a permis, après la chute de Kaboul, le rapatriement en France de plusieurs milliers d’Afghans et d’Afghanes particulièrement exposés, touche à sa fin. Dans les pays limitrophes de l’Afghanistan, des visas permettant de venir demander l’asile en France sont délivrés au compte-goutte par des ambassades débordées et sous-dimensionnées. Et si, dans ce contexte, des hommes afghans prennent la dangereuse route de l’exil pour tenter de rejoindre l’Europe par leurs propres moyens, ce n’est pas le cas des femmes seules ou avec des enfants. Pour celles qui parviennent à fuir l’Afghanistan, elles se retrouvent bloquées dans des pays limitrophes tels que le Pakistan et l’Iran où elles sont exposées à des risques d’expulsion, de violence et d’exploitation. Sans voie légale d’accès au territoire européen, les femmes afghanes restent à la merci de régimes qui les oppressent. Quel paradoxe que de constater que la France accorde largement l’asile aux femmes afghanes qui parviendraient, au péril de leur vie, à atteindre notre territoire, mais se refuse à leur éviter de courir ce risque.

C’est pour cela que, malgré le silence européen, la France doit agir. Parce que l’indignation impuissante nous est insupportable. Surtout quand une solution existe. Cette solution passe par la facilitation de la délivrance de visas depuis le Pakistan pour les femmes afghanes qui le demandent, par l’organisation d’un programme de protection au Pakistan et d’accueil dédié en France. Ainsi, seule une action volontariste mettant en place des voies d’accès légales et sûres au territoire français permettrait à des femmes afghanes isolées d’arriver en toute sécurité dans un lieu où elles pourront être protégées.

Depuis notre appel « Accueillir les Afghanes », nous avons longuement échangé avec les autorités françaises, travaillé pour affiner le projet, tenté de convaincre le gouvernement qu’un tel programme était non seulement indispensable mais qu’il était parfaitement réaliste. Nous rencontrons des interlocuteurs convaincus que la France peut et doit jouer son rôle pour participer à la protection des femmes afghanes. Mais nous nous heurtons aussi au mur de l’absence de volonté politique.

La France co-organisera, en décembre 2023, le Forum Mondial pour les Réfugiés. A cette occasion, notre pays s’engagera, avec d’autres, à développer les voies légales d’accès à notre territoire, pour assumer notre part dans l’effort mondial de protection des personnes les plus vulnérables. Comment imaginer que le sort des femmes afghanes n’y soit pas considéré, avec d’autres, comme une des priorités ?

En cette date anniversaire de la chute de Kaboul, France terre d’asile renouvelle son appel à l’action auprès des autorités françaises. Car si la capacité d’influence sur le pouvoir taliban pour améliorer le sort des femmes et des filles afghanes est quasiment inexistante, la protection de plusieurs centaines voire milliers d’entre elles ne dépend que de notre volonté. Monsieur le Président, accueillez les Afghanes !

Tribune parue dans Libération, le 15 août 2023.