Présentations du rapport de Jean-Paul Delahaye “Grande pauvreté et réussite scolaire” et de l’avis du Cese “Une école de la réussite pour tous” : discours

Éducation nationale Publié le 12 mai 2015

Najat Vallaud-Belkacem s’est exprimée suite aux présentations du rapport de Jean-Paul Delahaye “Grande pauvreté et réussite scolaire” et de l’avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese) intitulé “Une école de la réussite pour tous” au Cese, le mardi 12 mai 2015.

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Seul le prononcé fait foi

Monsieur le président du conseil économique, social et environnemental, cher Jean-Paul Delevoye,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs les conseillers,
Monsieur l’inspecteur général de l’éducation nationale, cher Jean-Paul Delahaye,
Madame la rapporteure, chère Marie-Aleth Grard,

Notre pays vit une situation singulière, comme s’il se détachait malgré lui de son identité profonde. Dans une société en crise économique et sociale depuis quatre décennies, la question de l’appartenance à la communauté nationale et les enjeux identitaires prennent progressivement le pas sur la question sociale, alors même que notre identité républicaine commune s’est justement construite sur le refus des distinctions en fonction de l’origine, du milieu social, du sexe ou des convictions religieuses, et sur la conviction que l’égalité politique allait de pair avec l’égalité sociale.

Au fil des années, en effet, à mesure que les politiques de solidarité se complexifiaient, empilant les dispositifs, que de nouvelles formes de pauvreté atteignaient des salariés, des jeunes, des personnes âgées, que la peur du déclassement gagnait les esprits, le jugement de nos concitoyens sur les phénomènes de pauvreté ne cessait de se durcir. Ainsi, alors qu’ils n’étaient que 15% lors de la création du RMI à considérer qu’il bénéficiait à des “assistés” qui ne le méritaient pas, ce sont aujourd’hui plus des deux tiers de nos concitoyens qui portent un jugement de culpabilisation de la pauvreté. Notre république sociale, fondée sur la responsabilité et la garantie collective face aux risques de la vie – c’est le sens même de la sécurité sociale –, est aujourd’hui bouleversée par une idéologie dominante qui place la responsabilité individuelle face à la pauvreté, ou à l’échec, au dessus de la responsabilité collective. Tout se passe comme si la compétition entre les individus devait dorénavant organiser nos vies, parfois en s’agrégeant à des identités collectives susceptibles de revendiquer tel ou tel avantage comparatif.

Au cœur de cette matrice des rapports sociaux, la place de l’éducation est centrale. Nombreux sont les chercheurs qui ont montré, à l’exemple d’Éric Maurin, combien l’enjeu de la réussite scolaire des enfants détermine souvent les stratégies résidentielles, les choix d’établissements, les stratagèmes favorisant l’entre soi pour mettre à distance le supposé risque du nivellement par le bas ou le symbole de condamnation à l’échec que représente, souvent à tort, un établissement par rapport aux autres. Et, vous m’aurez compris, c’est la plupart du temps au collège que se nouent ces enjeux, tant il est vrai qu’il fonctionne aujourd’hui à deux vitesses. Pour certains, qui théorisent la nécessité de l’inégalité, c’est le prix à payer pour garantir l’élitisme et l’excellence d’une minorité. Et toute réforme visant à donner les mêmes chances de réussite aux élèves ne répondrait en fait qu’à une détestation du mérite individuel. Cette théorie véhiculée est parfaitement incongrue, au moment où, en réalité, c’est bien niveau d’ensemble de nos élèves qui a baissé depuis 10 ans dans les matières fondamentales, dans le système de l’OCDE le plus marqué par le déterminisme. Le nivellement par le bas, qui tire vers l’échec les moins bons comme les meilleurs, c’est la pente actuelle de notre système éducatif qui s’est dégradé alors que celui des autres pays comparables progressait. Si la réforme du collège est aussi décisive pour l’avenir de notre jeunesse, comme l’a rappelé le Président de la République, c’est que, loin de fragiliser les meilleurs, elle propose enfin, 40 ans après la création du collège unique, de valoriser l’effort et le mérite de tous les élèves par des chances égales de réussite et un même accès à l’excellence, dans une ambition de démocratisation qui est au coeur de la mission que la République a confiée à l’école.

Vous comprendrez dès lors combien je suis heureuse de pouvoir participer à cette séance exceptionnelle autour du projet d’avis intitulé “Une école de la réussite pour tous”, présenté par Mme Marie-Aleth Grard au nom de la section de l’éducation, de la culture et de la communication présidée par Philippe Da Costa, et de la présentation par Jean-Paul Delahaye, du rapport consacré à la grande pauvreté qu’il m’a remis hier.

Ces deux rapports, aux nombreux dénominateurs communs, ont en effet pour mérite partagé de ré-agencer la hiérarchie des priorités, de redonner leur place, et d’une certaine manière leur dignité et leur voix, aux oubliés du système scolaire actuel, à ceux dont la fragilité sociale est trop souvent un renoncement à l’espoir, à ceux que l’absence d’expérience de la mixité sociale empêche parfois de se reconnaître dans des valeurs républicaines éloignées de leur quotidien.

Alors, oui, je veux vous remercier non seulement pour la très grande qualité de ces rapports, mais aussi pour l’engagement que vous avez manifesté, et le Conseil économique, social et environnemental avec vous, au service d’une vision de l’éducation qui se préoccupe d’abord des moins lotis, qui ambitionne en premier lieu de faire droit à l’exigence de Condorcet “d’établir entre les citoyens une égalité de fait, premier but de l’instruction nationale”. C’est l’ambition portée par la loi de refondation de l’école à laquelle vous aviez contribuée, je tiens à le rappeler en saluant la présence d’Yves Durand, et vos rapports sont moins une invitation qu’une exigence à approfondir le mouvement engagé, pour que l’école assure pleinement, pour chaque élève, sa mission d’apprentissage des savoirs fondamentaux et de transmission des valeurs.

Trop d’années durant, la place et les missions de l’école ont été mis en cause. Ses moyens ont reculé. Sa capacité à transmettre nos valeurs fondamentales a été fragilisée. La mission des enseignants a été dévalorisée et, parfois, ce sont les élèves et leurs familles qui ont été culpabilisés. Quand l’école recule, c’est la République qui est atteinte.

La refondation de l’École a déjà permis de réelles avancées pour enrayer cette dérive. Le rétablissement de la formation des maîtres et la création en cours de 60 000 postes sur la durée du quinquennat ; la priorité au premier degré avec le rétablissement d’une 5e matinée de classe, la relance de la scolarisation des moins de trois ans et le nouveau programme pour la maternelle qui donnera toute sa place aux premiers apprentissages de la lecture et de l’écriture ; la prise en compte du critère social dans l’allocation des moyens aux établissements et la réforme de l’éducation prioritaire ; la refonte du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, des nouveaux programmes de la scolarité obligatoire, comme la nouvelle organisation du collège sont autant de mesures qui replacent l’égalité et la réussite pour tous au coeur des missions de l’école. Mais il faudra aller plus loin, et vos travaux offrent des perspectives extrêmement riches pour y parvenir.

Autant l’avouer sans fard, j’ai été impressionnée par le travail complémentaire de construction de l’avis et du rapport, qui partagent une vingtaine de préconisations, résultant d’un travail commun mais aussi, et peut-être d’abord, d’une même humanité dans le regard porté sur des situations concrètes, d’une même exigence d’étayer l’analyse sur l’empirisme des acteurs eux-mêmes : élèves, parents, équipes éducatives, associations, collectivités locales, d’une même bienveillance et d’un même respect à l’égard de chacun. Pas une phrase dont ressortirait je ne sais quel jugement mais au contraire, une multitude de témoignages, de citations, de descriptions de dispositifs ou d’initiatives qui disent et transforment des réalités de terrain. C’est ainsi, fidèle à la philosophie du mouvement d’ATD Quart-Monde, que l’avis présenté par Marie-Aleth Grard n’est composé, hormis ses préconisations, presque exclusivement que de cette matière profondément humaine, grâce au nombre exceptionnel de déplacements et d’auditions que vous avez réalisés et à la création de ce groupe dit “croisement” qui a permis d’associer réellement, dans un égalité de pertinence et de considération, des parents en situation de fragilité sociale. Je ressortirais en particulier ce témoignage d’élèves du lycée Le Corbusier d’Aubervilliers accompagnés par Christian Baudelot, qui ont dit devant la section éducation, culture et communication du CESE, combien, je cite, “les élèves des milieux défavorisés ont l’impression qu’ils ne parviendront jamais à franchir le fossé qui se creuse entre les plus riches et les plus pauvres”, appelant à sortir des “méthodes pédagogiques qui fabriquent de la passivité” et à changer l’évaluation pour en finir avec “la peur de l’échec” qui “installe la concurrence, classe les élèves par niveau et les rend individualistes, parfois même insensibles à l’échec des autres”. Quelle lucidité !

C’est aussi la force du rapport de Jean-Paul Delahaye, que de rendre visible et même sensible la réalité endémique de la grande pauvreté à l’école. Dans un pays qui compte un enfant sur dix en situation de pauvreté, ce rapport fera sans aucun doute autorité, car il est à ma connaissance le premier à décrire avec autant de précision l’impact de la grande pauvreté sur l’école en général, c’est-à-dire sur la réussite des élèves, le travail des équipes administratives, sociales et éducatives, les relations avec l’environnement des établissements. Je veux à cet égard saluer le dévouement et la solidarité exemplaires des personnels qui sont au plus près des difficultés quotidiennes rencontrées par les plus démunis, et rendre hommage à l’engagement des collectivités territoriales et des associations aux côtés de l’école.

Elle est indispensable pour élaborer des réponses au panorama édifiant que propose le rapport sur les différentes formes de fragilité liées à la grande pauvreté en milieu scolaire, qu’il s’agisse des apprentissages, de la vulnérabilité face au risque de décrochage, des difficulté liées à la santé, au logement, à l’alimentation, aux vêtements, sans oublier les problématiques de concentration géographique des enfants issus de l’immigration ou la situation des mineurs isolés étrangers. En opérant ce changement d’échelle, en partant de réalités quotidiennes, il donne enfin à voir des réalités humaines qui échappent trop souvent à notre regard, et à l’attention des pouvoirs publics. Le constat est d’ailleurs parfois sévère sur les politiques passées, quand il met en perspective, j’allais dire en abyme, des priorités budgétaires qui aggravent les inégalités au regard des exemples concrets qui témoignent de leurs conséquences.

Cette approche qui part du vécu, très « micro » et qualitative, permet aux deux rapports de formuler des recommandations d’une pertinence rare sur le pilotage des politiques publiques. Sans entrer dans l’exégèse de chacune de vos nombreuses préconisations, je veux dès aujourd’hui vous dire combien j’adhère à l’essentiel d’entre elles, et peut-être plus encore à la vision d’ensemble qu’elles dégagent pour mettre l’école au service de la réussite de tous les élèves, et particulièrement des plus fragiles. Je tiens toutefois à reprendre à mon compte les préconisations qui ont le plus retenu mon attention.

D’abord, celles qui visent à amplifier les transformations pédagogiques.

Comme l’a montré la fameuse courbe de Heckman, prix Nobel d’économie, plus l’investissement éducatif est réalisé tôt, plus il est efficient, c’est-à-dire efficace et moins couteux. Sur l’enjeu fondamental de l’acquisition du langage, la recherche scientifique a aujourd’hui démontré que les écarts étaient le plus souvent créés dès la petite enfance : à trois ans, un enfant en situation de pauvreté a entendu en moyenne 30 millions de mots de moins qu’un enfant issu d’un milieu plus favorisé ; on estime qu’à quatre ans, l’écart de pratique familiale du langage est d’environ 1000 heures selon les origines sociales et qu’à l’entrée au CP, à 6 ans, il existe un différentiel de 1000 mots maîtrisés. Je rejoins donc pleinement votre volonté d’aller plus loin dans la priorité accordée au premier degré dans la refondation de l’école. Oui, nous devons considérer l’objectif, déjà ambitieux, de scolariser 50% des enfants de moins de 3 ans dans les réseaux REP + de l’éducation prioritaire comme un plancher. Oui, l’attention à l’école maternelle qui s’est traduite par de nouveaux programmes adoptés à l’unanimité par le Conseil supérieur de l’éducation ne doit pas se relâcher. Oui, nous devons poursuivre et piloter davantage le déploiement du dispositif “plus de maîtres que de classes”. Oui, enfin, il nous faut conforter les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED).

Dans la volonté manifestée par l’avis du CESE de développer un traitement plus inclusif des difficultés scolaires, je rejoins votre souci de vigilance concernant l’orientation précoce vers des sections spécialisées, notamment au collège, et la nécessité de garantir la réversibilité des décisions. S’agissant du diagnostic social dont vous interrogez la pertinence quand l’enjeu doit rester scolaire, la prochaine circulaire relative aux SEGPA ne le maintiendra uniquement que lorsqu’il semblera pertinent, particulièrement lorsqu’un internat est envisagé. Vos observations seront ainsi prises en compte, car les questions que vous soulevez sont décisives pour les enfants et les familles concernées.

L’avis du CESE comme le rapport de Jean-Paul Delahaye plaident, et je m’en réjouis, pour une école inclusive, capable de développer les pratiques pédagogiques innovantes, soutenues et évaluées par les politiques publiques. C’est le sens de votre recommandation commune, à laquelle je souscris, d’essaimer largement le référentiel pédagogique de l’éducation prioritaire, dont vous soulignez le bon accueil par les équipes pédagogiques. Cette nécessité issue du travail en réseau propre à l’éducation prioritaire de porter une attention spécifique aux transitions entre les niveaux d’enseignement, de donner leur place et leur légitimité aux pédagogies explicites et fondées sur la coopération, aux travaux par projets, à tout ce qui stimule l’initiative et l’autonomie des élèves comme des enseignants est au coeur de la réforme du collège, notamment avec la mise en place des enseignements pratiques interdisciplinaires. Je pourrais évoquer aussi l’éducation artistique et culturelle et le numérique, dont vous soulignez justement le formidable levier qu’il constitue pour faciliter les apprentissages et réduire les inégalités. C’est pourquoi je souhaite reprendre largement vos préconisations dès le premier degré, en rendant plus accessibles et en soutenant la diffusion des pratiques pédagogiques innovantes qui ont démontré leur pertinence, je pense à l’apprentissage de la lecture, mais aussi aux mathématiques pour lesquels je viens d’annoncer une stratégie dédiée. Cette impulsion suppose un effort considérable, à la fois en terme de formation et de rapprochement avec le monde de la recherche.

Sur ces enjeux, le ministère est engagé dans un travail de fond avec les universités pour réduire au sein des écoles supérieures du professorat et de l’éducation la séparation que souligne Jean-Paul Delahaye entre la formation disciplinaire, académique, et le tronc commun de la formation professionnelle, qui doit en effet être enrichi sur la prise en compte éducative des réalités sociales. Et je retiens les propositions présentées par Marie-Aleth Grard pour développer l’analyse de la pratique, élaborer des co-formations et initier des programmes de recherche afin de soutenir l’évaluation.

Je veux ensuite évoquer ce qui constitue peut-être le coeur de vos travaux, c’est-à-dire la nécessité de faire évoluer les pratiques, les services et la hiérarchie budgétaire des priorités politiques pour mieux prendre en compte la réalité de la grande pauvreté à l’école. Comme l’a rappelé Jean-Paul Delahaye, notre école est loin d’être étanche aux réalités quotidiennes difficiles vécues par nombre d’élèves. Elle est à la fois un lieu d’observation et de repérage privilégié, une forme de service social de premier recours, et un levier pour faire reculer les conséquences de la pauvreté sur la réussite de tous les élèves.

Qu’il s’agisse d’assurer pour tous les élèves le droit sans aucune restriction d’accéder à la restauration scolaire, comme le prévoit une proposition de loi adoptée en première lecture par l’Assemblée Nationale, de l’objectif de proposer à chacun, au cours de sa scolarité obligatoire, le bénéfice d’un voyage culturel ou linguistique sans être empêché pour des raisons financières, ou de la vigilance à rappeler avec fermeté sur le fonctionnement des coopératives scolaires et les exigences “pas toujours raisonnables” imposées aux familles sur les fournitures, les préconisations de Jean-Paul Delahaye ciblent des réalités quotidiennes essentielles. Trop d’élèves et de familles subissent ces petites hontes, ces humiliantes impossibilités d’accéder à une forme de droit commun ou de satisfaire à leur apparente nécessité, avec les conséquences que cela entraîne pour l’élève comme pour ses parents dans la construction de leur relation avec l’institution scolaire. La mobilisation souhaitée des corps d’inspection et le rappel des règles qui garantissent le caractère inclusif de notre école seront donc mis en oeuvre. Dans le même esprit, j’entends garantir l’attention que doit l’école à la situation particulière de l’outre-mer, je pense en particulier à Mayotte où nous avons fait un effort sans précédent pour développer l’éducation prioritaire, mais aussi à la prise en compte des élèves allophones, à l’accompagnement des mineurs étrangers isolés et à l’effectivité du droit à l’éducation.

Mais au-delà des pratiques, vos travaux interrogent l’adaptation des services essentiels que sont la santé scolaire et le service social à la réalité de la fragilité sociale des élèves et de leurs familles. Ces services sont non seulement sur-sollicités, mais ils ont vu leurs missions évoluer, à mesure que la pauvreté progressait et que les réponses des services sociaux traditionnels s’éloignaient parfois. Ils constituent ainsi, pour certaines familles, une forme d’offre de premier recours qu’il nous faut renforcer en lien avec les acteurs des territoires. Vous le savez, l’éducation nationale compte aujourd’hui plus de 10 000 professionnels sanitaires et médico-sociaux, pour lesquels un travail est engagé afin de mieux définir et reconnaître leurs missions pour garantir l’attractivité des postes que nous créons. C’est essentiel, car tout effort supplémentaire de notre part, et j’y suis prête, doit être au service du renforcement d’une action médico-sociale globale, qui excède largement notre périmètre d’intervention. Ainsi, en cohérence avec la loi santé récemment adoptée en première lecture par l’Assemblée Nationale, une circulaire viendra prochainement préciser le parcours éducatif de santé, afin de rapprocher la santé scolaire de la médecine de ville. Et je souhaite que vos propositions d’élargir les missions de la santé scolaire comme de renforcer l’offre de service social, en l’étendant au premier degré dans les territoires urbains et ruraux défavorisés, soit étudiée dans la réflexion interministérielle dédiée à l’égalité et à la citoyenneté qu’a impulsée le Premier Ministre.

La même nécessité de faire évoluer les pratiques et les services est à l’oeuvre s’agissant des fonds sociaux des établissements et des bourses aux élèves, dont le rapport de Jean-Paul Delahaye pointe avec sévérité les évolutions des dernières années. Comment accepter, en effet, que des économies aient été réalisées entre 2001 et 2012 “sur les crédits destinés aux pauvres”, selon votre formule, dans un contexte de crise économique et sociale ? Comment ne pas s’inquiéter du développement du non-recours aux bourses, ce phénomène qui touche massivement des prestations sociales aussi essentielles que le RSA ou l’aide à la complémentaire santé ? Quand on mesure, à la lecture du rapport, les conséquences très concrètes de ces choix politiques passés, il y a de quoi partager l’indignation perceptible de l’auteur. Depuis 2012, nous avons revalorisé les fonds sociaux de près de 50%, soit 15 millions d’euros supplémentaires. De façon pragmatique, le budget actuel sera sanctuarisé et progressera vers le montant préconisé, soit 70 millions d’euros, en fonction de l’évolution du contexte budgétaire. De même, si je m’attacherai à mettre en oeuvre prioritairement les propositions visant à réduire le non-recours aux bourses, notamment pour simplifier les formalités d’accès, je considère que la question de leur revalorisation est à intégrer dans une approche globale, qui inclue l’ensemble des mesures destinées aux publics fragiles, comme l’éducation prioritaire pour laquelle nous réalisons un effort budgétaire de 350 millions d’euros. A la gestion par dispositifs, je veux continuer de préférer la stratégie complète de la refondation de l’école.

C’est d’ailleurs le sens des préconisations particulièrement ambitieuses que vous formulez pour concentrer encore davantage les moyens en direction des élèves vulnérables, en assumant d’être « inégalitaires en moyens pour être égalitaires en réussite” comme vous l’écrivez. Je souscris pleinement à cette politique, dont nous conviendrons qu’elle suppose une durée et donc un socle de consensus qui dépasse les échéances et les contingences électorales. Cette mise en perspective est une des grandes forces du rapport de Jean-Paul Delahaye et de l’avis du CESE, car elle offre l’opportunité de construire cette vision de long terme qui a tant fait défaut par le passé aux politiques éducatives, quelle que soit leur provenance partisane. Alors oui, amplifions le rééquilibrage entre premier et second degré, déployons les moyens dégagés d’ici quelques années par le caractère exceptionnel du redoublement vers l’éducation prioritaire pour aller plus loin dans la baisse des taux d’encadrement et améliorer encore l’accompagnement des élèves les plus en difficulté. Ces perspectives sont essentielles pour atteindre cette école de la réussite pour tous qui est le sens même de la refondation de l’école, et vous savez qu’elles sont aujourd’hui mises en œuvre par le ministère.

Il en est de même pour l’action déterminée que nous avons engagée en faveur de la mixité sociale au collège. Sans mixité sociale, la promesse républicaine d’égalité est absente du quotidien de trop d’élèves qui ne vivent plus l’expérience de la rencontre et du brassage social. Pour avancer sur ce chantier complexe, qui se heurte tant aux réalités résidentielles qu’aux stratégies de contournement déployées par des familles, nous travaillons dans le sens de vos préconisations. D’une part, avec la mise en place d’indicateurs de mixité à l’échelle des établissements qui permettront un pilotage national mais surtout de proximité de la mixité. Et d’autre part, en engageant d’ici l’été un travail avec un nombre réduit de conseils départementaux de tous bords sur un redécoupage des secteurs communs à plusieurs collèges. Nous pourrons ainsi définir ensemble des critères d’affectations clairs pour les familles et prendre en compte l’enseignement privé qui est très attentif à ce sujet. C’est dans ce cadre que vos préconisations sont particulièrement fécondes, car elles confortent notre stratégie en proposant de nouvelles pistes pour élaborer des chartes signées localement par les autorités académiques et les établissements privés, ou renforcer la nouvelle allocation progressive des moyens que j’ai décidée pour tenir compte des réalités sociales, en faisant varier les dotations aux établissements en fonction de la réalité de la mixité, dans le public comme dans le privé. Nous savons tous que l’affirmation de l’objectif de mixité se prête trop souvent aux déclarations péremptoires, aussi je veux vous dire à la fois ma détermination et ma méthode qui est de partir des réalités des territoires pour être efficace.

Enfin, et ce sera ma conclusion, je veux vous dire combien je partage les préconisations de l’avis du CESE comme du rapport de Jean-Paul Delahaye concernant la nécessité de fonder notre engagement pour la réussite de tous les élèves sur l’alliance de l’école et de tous ses partenaires.

J’ai clos ce matin même les assises de la mobilisation de l’école et de ses partenaires pour les valeurs de la République, que j’ai initiées au lendemain des attentats. Avec près de 80 000 participants aux plus de 1300 réunions qui se sont tenues sur tout le territoire, ces assises ont été un formidable démenti à tous ceux qui théorisent aujourd’hui l’illusion collective ou le feu de paille qu’auraient été les manifestations historiques du 11 janvier. Non, cet esprit du 11 janvier, cet attachement viscéral aux fondamentaux de notre République et à la mission de l’école qui en est garante est plus que jamais présent, peut-être pas dans certains cénacles, mais bien sur le terrain. Et ce qui ressort de ces assises rejoint pleinement l’esprit et la lettre de vos préconisations.

D’abord concernant la place et le rôle des parents, premiers éducateurs de leurs enfants comme le rappelle Marie-Aleth Grard, et qui doivent être respectés comme tels, quelle que soit leur réalité sociale. Il y a aujourd’hui un enthousiasme réel pour développer les espaces dédiés aux parents au sein des établissements, multiplier les opportunités de rencontre et d’échanges avec les professionnels – pourquoi pas dans ces « rendez-vous de la réussite » imaginés par Jean-Paul Delahaye ? –, investir de nouvelles instances comme les comités départementaux d’éducation à la santé et à la citoyenneté dans le premier degré. Comme vous, je pense qu’il faut former les parents délégués et même réfléchir à la création d’un statut de parent délégué, suivant la recommandation de la Députée Valérie Corre. Un rapport détaillé, en lien avec le ministère du travail, me sera remis à cet effet d’ici la fin de l’année scolaire.

Je souhaite ensuite que nous saisissions pleinement l’opportunité de la généralisation à venir des projets éducatifs de territoire pour renforcer la capacité de l’école à adapter ses réponses, notamment dans la continuité entre les temps éducatifs scolaires et périscolaires, aux besoins de son environnement. Si l’école est un sanctuaire éducatif, selon la belle formule de Jean Zay, elle n’en est pas moins un lieu de vie sociale, qui s’enrichit de l’investissement des collectivités locales, de l’action des associations, de l’engagement des parents. Les initiatives qui concourent à créer une culture partagée entre ces acteurs, en développant la co-formation et les actions communes, en renforçant l’accompagnement à la scolarité ou l’animation d’un programme de réussite éducative, devront donc être davantage soutenues et prises en compte dans les projets d’établissements.

Cette volonté d’ouvrir l’école aux bonnes volontés, avec la vigilance qui s’impose s’agissant d’enfants, pour favoriser la réussite des élèves et prendre pleinement en compte leurs conditions d’apprentissage, m’a conduite à créer une réserve citoyenne de l’éducation nationale, déjà forte de plus de 4600 inscrits. Cette réserve viendra en appui des enseignants pour proposer des interventions sur le temps scolaire, en témoignant d’une compétence ou d’une expérience personnelle, mais elle pourra aussi enrichir le vivier des bénévoles associatifs, créant une passerelle supplémentaire entre l’école et son environnement. C’est aussi le sens que j’ai donné à l’engagement de l’éducation nationale dans le service civique universel, qui verra dès la rentrée prochaine plus de 5000 jeunes volontaires mobilisés pour favoriser la scolarisation des enfants de moins de 3 ans, développer l’accès à la culture, au sport, aux sciences, accompagner les projets des élèves et des équipes éducatives, contribuer à l’apaisement du climat scolaire ou encore animer la réserve citoyenne. Autant d’initiatives qui concrétisent le nouvel élan que je souhaite donner à la refondation de l’école, et pour lequel vos travaux sont infiniment précieux.

Monsieur le Président du conseil économique, social et environnemental, chers conseillers, c’est un privilège pour moi que de ressentir, dans l’avis qui sera soumis dans quelques instants à l’approbation de votre conseil, combien la mission fondamentale de l’école d’offrir à tous les enfants de notre pays les mêmes chances de réussite est soutenue par la société civile. C’est une chance, à travers le rapport de Jean-Paul Delahaye et les perspectives qu’il dessine pour répondre au défi de la grande pauvreté, de pouvoir mieux répondre demain au désarroi et aux souffrances que trop d’élèves et de familles vivent aujourd’hui dans leur relation à l’institution scolaire.

La grande qualité de vos travaux est un signal fort, en ces temps où la préoccupation du débat médiatique est centrée sur l’avenir de l’élite, pour rappeler le sens profondément républicain de la politique éducative, qui est de s’adresser à tous et de se soucier d’abord des plus fragiles. Vous ouvrez des perspectives concrètes pour amplifier la refondation de l’école et je vous le dis, vous pouvez compter sur moi pour que ces rapports qui partent du terrain y retournent très vite avec la même exigence de transformation.

Une tâche exaltante nous attend, vous pouvez compter sur mon engagement et celui du ministère, à tous les niveaux, pour la mener à bien. Je vous remercie.

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