Hommage à nos morts. Le souvenir et le travail de mémoire sont un élan pour l’avenir.

Ce mardi 10 novembre 2015, Najat Vallaud-Belkacem a rendu hommage aux combattants et aux victimes de la première guerre mondiale et de la seconde guerre mondiale, à nos morts en réunissant l’ensemble de son cabinet, l’ensemble des Recteurs, les inspections générales et directions centrales du Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Retrouvez ici le discours prononcé en hommage à nos morts par la ministre de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

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Mesdames et messieurs,
Chers amis,

Nous sommes, vous le savez, un ministère singulier.

Si Victor Hugo disait du poète qu’il avait « charge d’âmes », nous avons la charge des esprits, la charge de l’éducation et de la formation de la jeunesse de notre pays.

L’enfant tend, d’abord, à vivre dans le présent. Ce n’est pas le moindre rôle de l’école que de lui faire prendre conscience de l’épaisseur du temps, de la profondeur du passé au sein duquel il vient s’inscrire.

Nous donnons, à nos élèves, une mémoire qui va bien au-delà de son existence personnelle, ou familiale. C’est la mémoire de notre pays, de notre République, c’est aussi celle de l’histoire de l’humanité.

Cette cérémonie du 11 novembre revêt donc, dans notre ministère, une intensité singulière. Durant la première guerre mondiale, instituteurs, professeurs, étudiants, personnels du ministère ont combattu, et ont payé un lourd tribut. Sur l’ensemble des instituteurs mobilisés, plus de la moitié ne reviendra pas.

On comprend alors qu’une telle expérience conduise un instituteur comme Georges Lapierre, mobilisé en 14-18, résistant sous l’occupation, et mort à Dachau en 1945, à déclarer, dans un article de 1934, qu’il fallait faire de l’école « un atelier d’humanité ».

De cette conception, nous sommes les héritiers, et nous devons nous en montrer dignes.

Cela exige de nous, non seulement un devoir de mémoire, mais aussi, un travail de mémoire.

Ce travail, c’est celui mené, par exemple, par la DEGESCO en lien avec la mission du Centenaire de la première guerre mondiale, qui mobilise et sensibilise nos élèves à cette guerre qui nous paraît lointaine, mais dont nous devons préserver, et, encore davantage, travailler la mémoire.

Cette mémoire d’un moment que nous n’avons pas vécu s’édifie sur des documents, des rencontres, et des lectures. Et en cette année scolaire 2015-2016 où nous commémorons le souvenir de Verdun et de la Bataille de la Somme, je tiens à insister sur ces batailles qui marquèrent si profondément, si durablement, notre pays, l’Europe, et, dans une certaine mesure, le monde.

Elles doivent continuer, encore aujourd’hui, à nous marquer.

Ces batailles, ce qu’elles furent, nous le redécouvrons au fil des documents, des pages, des photos qui nous en restent. On contemple ces archives, On ferme les yeux, et en nos esprits se dessinent des images surannées, légèrement sépia : celles des tranchées.

Des hommes au milieu de la boue. La terre et la chair s’entremêlent. Ici et là du métal luit sous un rayon de soleil. Ce simple détail nous rappelle que ce monde était aussi le nôtre, qu’il devait y avoir de belles journées et des journées pluvieuses. Ce métal, c’est l’éclat d’un casque, d’un obus tombé récemment, de barbelés, ces mêmes barbelés où, sous le feu de la mitraille, viennent s’accrocher des soldats paniqués, épuisés.

De ces batailles, nous gardons des images. Mais il en existe aussi des traces indélébiles, aujourd’hui encore, dans le paysage : des monuments aux morts, dans tous les villages de France, qui égrènent les noms de ceux qui sont tombés ; mais aussi, ici ou là, l’évidence d’une absence. C’est un vide, là où se tenait autrefois un village. Ce sont ces creux, qui façonnent de minuscules collines, nées, non de la lente érosion naturelle des pluies, mais du déluge soudain de la violence humaine.

La guerre. Ce que l’on en voit, et ce que l’on entend.

Du vacarme assourdissant des bombes, des sons amplifiées et déformés par la peur panique qui vous saisit, cette peur de finir sa vie ici, dans une boue qui vous fait craindre de n’être jamais retrouvé, de tous ces sons, nous n’avons aujourd’hui qu’une lointaine idée.

Mais par-delà le tumulte, des voix résonnent encore. Les voix de ces poilus, anonymes ou non, qui s’élèvent au cœur de la bataille, qu’elle fût à Verdun, dans la Somme, ou ailleurs.

C’est une lettre où se font des adieux, parce que l’on ne sait jamais si cette journée ne sera pas la dernière.

C’est un ouvrage écrit pour dire ce que l’on a vu, ce que l’on a vécu, parce que la rage du témoignage est née au cœur de ces assauts où alternaient de grands élans patriotiques, et le sentiment d’une absurdité et d’un immense gâchis. Ils alternaient, ces sentiments, et bien souvent, cohabitaient, en un seul moment, en un seul instant.

C’est ce vertige, décrit par Maurice Genevoix, quand l’ampleur du massacre apparaît au détour d’une simple question :

As-tu jamais songé aux autres morts, ceux que nous n’avons pas connus, tous les morts de tous les régiments ? Le nôtre, rien que le nôtre, en a semé des centaines sur ses pas. […] Nous ne savions même pas combien nous en laissions : nous marchions…

Et dans le même temps d’autres régiments marchaient, des centaines de régiments dont chacun laissait derrière lui des centaines et des centaines de morts. »

Le travail de mémoire, c’est donc s’appuyer sur ces traces, pour redonner, non pas la vie, une telle prétention serait déplacée, mais une présence, à ces événements de notre passé.

Redonner une voix et des visages, à ceux qui sont tombés dans ce premier conflit mondial. Cette guerre qui devait être la « der des der », n’aura pas été la dernière.

Deux décennies plus tard, le conflit reviendra, et résonnera dans le poème « Barbara » de Prévert, cette exclamation, qui pour être grossière, n’en est pas moins salutaire : « Quelle connerie la guerre ! ».

Une telle parole, ne méconnaît aucunement les mérites et la reconnaissance que nous devons, non seulement aux soldats du passé, mais aussi à ceux du présent. Mais cette parole, par sa brutalité même est aussi un vibrant rappel.

Cette cérémonie du 11 novembre, est à la fois un hommage rendu à ceux qui ont combattu pour la France, à l’ensemble des victimes de ce conflit, et en même temps un avertissement : la paix aussi est un combat !

Une longue familiarité avec des temps pacifiques nous conduit peut-être parfois à voir dans la paix, un état normal des choses. Ne laissons pas cette fréquentation quotidienne de la paix, nous conduire à la tenir pour acquise !

Un léger recul pour mieux embrasser l’ensemble de la situation, un simple regard sur les unes des journaux, suffisent à nous montrer à quel point cette normalité est exceptionnelle, non seulement à l’échelle de l’histoire humaine, mais au sein même de notre époque.

La paix est une singularité précieuse, et pour cette raison, elle s’acquiert, elle se préserve, elle se maintient.

On parle souvent d’effort de guerre : mais il faut encore davantage d’efforts pour préserver la paix. Voici notre combat. Parce qu’il s’agit bien d’un combat, il exige de notre part, une mobilisation. Un élan. Une force.

Et où puiser cette force, sinon dans la mémoire de nos guerres passées, et dans la conscience de celles qui se mènent partout aujourd’hui à travers le monde ?

Si ce moment est comme il se doit, solennel, grave, il ne doit pas occulter cette vérité essentielle, en particulier dans le ministère qui est le nôtre :

La mémoire n’est pas un fardeau. Le passé n’est pas un poids.

Se souvenir, commémorer collectivement ne nous entrave pas. Nous ne regardons pas en arrière, dans une nostalgie passéiste. Notre passé se vit au présent, et non notre présent dans le passé.

Lorsque quelqu’un recule pour franchir un obstacle, cela nous semble naturel. Ce recul ne le freine pas : il est au contraire la condition de sa réussite. C’est par l’élan qu’il a pris qu’ensuite il parvient à franchir un obstacle. Je crois que le passé est notre élan à nous, à la fois individuellement, et en tant que citoyennes et citoyens de la République Française.

Le passé de notre République, son étude, sa commémoration, ne s’opposent pas à l’avenir.

Ce passé est l’élan nécessaire qui doit nous donner, à chacune et à chacun d’entre nous, dans l’exercice de nos fonctions et notre vie de tous les jours, la vigueur et la conviction pour que notre engagement soit un engagement véritable.

Cet engagement se traduira, le 29 mai prochain par le Centenaire de la bataille de Verdun et la venue de milliers de jeunes français et allemands à Douaumont. Dans leur présence, au sein de ce lieu symbole de toute la première guerre mondiale qui fit périr des millions d’hommes et de femmes, de toute origine, croyants ou athées, c’est aussi l’image de l’avenir et de la paix que cet événement dessinera.

Quelque chose qui nous dira, que dans la continuité de la vie, dans la marche en avant de l’Histoire, le passé n’est jamais passé, qu’il advient au cœur du présent.

Aussi, aujourd’hui, dans cette cour, unis dans la mémoire de cette guerre et dans la commémoration de nos morts, nous devons puiser dans cette célébration une force renouvelée pour agir, chacun à notre échelle, chacun dans notre domaine.

Nous avons, en tant que personnels de ce ministère, une grande responsabilité.

A l’égard de nos élèves bien sûr. Mais aussi à l’égard de ces morts passés.

Parce que nous sommes les dépositaires et les passeurs d’un héritage humaniste qui nous dépasse.

Parce que ce sont dans nos classes, dans nos écoles, à travers l’ensemble du pays, à travers les paroles des enseignants et des élèves, que résonnent les voix de ceux qui se sont tus depuis longtemps, et dont nous saluons, en ce jour, la mémoire.

Je vous remercie.

Najat Vallaud-Belkacem,
Ministre de l’Éducation nationale,
de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

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Photos © Philippe Devernay / MENESR

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Un commentaire sur Hommage à nos morts. Le souvenir et le travail de mémoire sont un élan pour l’avenir.

  1. Hassan

    Au devant des miroirs contraints et forcés, les quiétudes de la vie sèment et somment à l’histoire bien des parts, belles et infinies…

    Bien à Vous…

Commentaires fermés.