Semaine d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme – Discours de Najat Vallaud-Belkacem


Ce lundi 21 mars 2016, Najat Vallaud-Belkacem a lancé, avec le président de la République François Hollande, la Semaine d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme.
Du 21 au 28 mars 2016, cette semaine d’éducation et d’actions valorise les engagements de l’ensemble des institutions et de leurs partenaires en faveur des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.

Retrouvez ici le discours prononcé par la ministre lors de ce lancement à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration :

Lancement par la ministre Najat VALLAUD-BELKACEM, en présence de François Hollande, de la semaine d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme, au Musée national de l’histoire de l’immigration - Paris, le lundi 21 mars 2016 - © Philippe DEVERNAY

Madame la secrétaire Générale de la Francophonie, chère Michaëlle Jean,
Madame la ministre, chère Erika,
Monsieur le ministre, cher Jacques Toubon,
Madame la députée, chère Sandrine,
Monsieur le Recteur de Paris, cher François Weil,
Madame la maire du XIIe arrondissement,
Mesdames les élues de Paris,
Monsieur le délégué interministériel,
Madame la présidente, chère Mercedes Erra,
Monsieur le président du conseil d’Orientation, cher Benjamin Stora,
Mesdames et messieurs,
Chers amis,


Si « l’ennui naquit un jour de l’uniformité », l’École est née, un jour, de l’universalité.

Oui, ce qui fonde l’École, c’est l’idée que tout être humain peut en franchir le seuil. Ce seuil, une fois franchi, l’enfant, qu’il soit croyant ou non, quelle que soit son origine, devient alors un élève.

Élève. Le mot a son importance. Il dessine une ambition, un horizon. Nous élever, nous aider à aller plus haut, à nous accomplir, à nous épanouir et à nous émanciper.

C’est cette dimension sur laquelle Georges LAPIERRE insistait. Cet instituteur, Résistant, mort à Dachau en 1945, déclara, dans les années 1930, que l’École devait être « un atelier d’humanité ».

Dans ces mêmes années 1930, Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale du Front Populaire, rappelait l’importance de la laïcité, garante de la liberté au sein de l’École.

Il souhaitait ainsi faire de l’École, je le cite, « l’asile inviolable, où les querelles des hommes ne pénètrent pas. »

Pourtant, dans les temps troublés que nous traversons, comme dans ceux qu’a traversé Jean Zay, comme il semble fragile cet asile !

Oui, nous ne savons que trop bien que les tumultes, le bruit et la fureur d’hier à aujourd’hui, en franchissent aisément le seuil. Les maux de notre société n’épargnent ni les salles de classe, ni les cours de récréation.

Il n’y a rien de plus insupportable, pour une ministre de l’Éducation nationale, que de voir des vies d’élèves se fracasser contre le mur des discriminations et du racisme ordinaire, à cause de ses origines ou de la couleur de sa peau.

Il n’y a rien de plus insupportable, pour une ministre de l’Éducation nationale, que de voir l’égalité des chances pour la réussite scolaire s’arrêter aux frontières des quartiers relégués.

Il n’y a rien de plus insupportable, pour la ministre que je suis, que de constater, à la rentrée 2015, que oui, des familles juives préfèrent retirer leurs enfants de nos écoles ou tout simplement quitter la France parce qu’elles craignent pour leur avenir.

Et il m’est tout aussi insoutenable de voir s’exercer sur les jeunes filles des pressions d’un autre temps de voir des jeunes souffrir à cause de leur orientation sexuelle, et de constater la violence des rejets que subissent des élèves en situation de handicap.

Ouverte à la société, l’École n’est ni plus, ni moins touchée que le monde dans lequel elle s’inscrit. Elle en est, un sens, le reflet.

Un tel constat ne signifie à nullement qu’il n’y a rien à faire. Au contraire, par son urgence, il nous invite à agir.

Le Président de la République l’avait fait avec courage et lucidité dans ses vœux aux Français, en annonçant qu’en 2015 la lutte contre le racisme et l’antisémitisme serait une grande cause nationale.

Sa décision, il l’avait prise après une année délétère.

Nous avions vu défiler en France des foules mues par les idéologies les plus rances et que rassemble une même exécration de nos démocraties et de tout ce que nous sommes.

Haine de l’égalité réelle entre tous nos concitoyens ; haine de l’autre tout simplement parce qu’il est autre ; haine des Juifs comme en ce triste jour du 26 janvier 2014 où, pour la première fois depuis l’occupation, la haine antisémite était scandée dans les rues de Paris.

Et avant d’en arriver là, je n’oublie pas, je n’oublierai jamais, ce jour du 25 octobre 2013 à Angers.

Ce sont des enfants de dix ans à peine, qui tendent, à une ministre de la République, sous le regard bienveillant de leurs parents, une banane, en la traitant de guenon !

Après de tels événements, c’est peu dire que cette annonce présidentielle, les défenseurs des libertés l’avaient accueillie en espérant des temps meilleurs.

Cet espoir fut foudroyé par les attentats de janvier contre Charlie Hebdo, contre nos policiers, et contre des Juifs.

Ces attentats, dont la France et d’autres pays ont connu de sinistres répliques nous rappelaient ceux, perpétrés il y a tout juste quatre ans, à Toulouse et Montauban, assassinant trois de nos militaires et quatre Français de confession juive dont trois enfants de 3, 5 et 8 ans.

Ces tragédies, par leur violence et leur brutalité, n’ont fait que renforcer, en chaque Républicain sincère, une conviction : oui, il était urgent d’agir pour rebâtir, une à une, les digues démocratiques emportées par les forces obscurantistes qui venaient de se déchaîner et de frapper la République dans ses symboles les plus marquants.

Agir, c’est précisément ce que nous avons fait au travers de la grande mobilisation de l’école et de ses partenaires pour les valeurs de la République.

Cette mobilisation se poursuit encore aujourd’hui, et son ambition est sans précédent dans l’histoire de nos institutions, dans l’histoire de l’école de la république !

L’ouverture aux partenaires, le plan de formation exceptionnel des enseignants, la mobilisation de la communauté éducative dans son ensemble, la démultiplication des ressources pédagogiques et la réserve citoyenne : rien n’a été laissé au hasard.

Je ne voulais pas que l’on puisse continuer à dire qu’au-delà des bonnes intentions, l’École manquait de moyens pour mener à bien sa mission d’éducation à la citoyenneté, d’éveil des consciences, et de formation des citoyens libres et éclairés.

Parce que la seule réponse à la crise des valeurs et de la citoyenneté dont le racisme et l’antisémitisme accrus sont les plus graves symptômes, c’est plus de valeurs, plus de laïcité, plus de citoyenneté et plus de République !

L’Histoire de l’Humanité nous le montre : dans les heures les plus sombres, la lumière est toujours venue de l’exigence de l’humanisme, et jamais du recul et des compromissions.

Il y a 56 ans, le 21 mars 1960, des manifestants noirs étaient tués à Sharpeville, en Afrique du Sud.

Leur mort, c’est le fruit de la violence, de la bassesse et de la lâcheté, qui ne résolvent jamais rien.

Si Nelson Mandela a permis à l’Afrique du Sud de sortir de l’apartheid, ce n’est pas par la division, mais bien par l’unité. Ce n’est pas par le repli sur soi, mais par davantage de valeurs, davantage d’humanisme !

Et j’évoquais, au début de ce discours, les années 1930. Alors, je me méfie toujours des raccourcis historiques. Les comparaisons abruptes empêchent parfois d’analyser avec lucidité la complexité et les tensions spécifiques à notre période contemporaine.

Mais je sais aussi que dans ces années-là, comme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la solution est venue de l’unité et du rassemblement autour de valeurs citoyennes et républicaines.

C’est lorsque tout semble nous tirer vers le bas, et nous soumettre à la tentation du pire, qu’il faut avoir le courage et l’exigence de s’élever.

Et je tiens à saluer l’engagement de toutes les associations et les organisations avec lesquelles nous menons ce combat, et dont les militants sont en première ligne.

Oui, nous savons bien que l’humanisme est une exigence ! Ce n’est pas je ne sais quelle naïveté ou angélisme, comme se plaisent à le dire ceux qui attisent les divisions en prétendant faire le contraire.

Car la facilité, c’est de se réfugier dans la haine et dans la peur, dans le chacun chez soi et le chacun pour soi.

La facilité résonne dans ces discours populistes dont les accents lugubres rejaillissent aujourd’hui dans une Europe confrontée à des défis d’une ampleur inédite.

La facilité, c’est le massacre, la violence et la haine, qu’excite chaque jour la propagande qui déferle sur les réseaux sociaux et les sites complotistes.

Et c’est bien pour lutter contre ces armes de désinformation massives, que nous avons mis l’accent sur l’éducation aux médias et à l’information. Nous donnons ainsi à nos élèves, les moyens de rompre cette fascination morbide qui s’exerce parfois sur internet.

En ce sens, il est profondément symbolique que la semaine contre le racisme et l’antisémitisme coïncide avec la semaine de la presse et des médias à l’École.

Car l’École a une force immense et des ressources précieuses : celles du savoir et de la connaissance ! Et ce sont ces ressources qui inspirent également le formidable travail mené par Benjamin Stora et Mercédès Erra dans la Cité National de l’Histoire de l’Immigration qui nous accueille aujourd’hui.

Et c’est sur ces forces que nous devons nous appuyer pour vaincre le racisme et l’antisémitisme, et pour dessiner, aux crises que nous traversons, une issue à la hauteur des valeurs de la République.

Oui, face à ces phénomènes qui reposent à la fois sur des préjugés, des idéologies, des croyances mais aussi des peurs, nous réaffirmons donc les valeurs humanistes qui nous rassemblent pour combattre toutes les formes d’exclusion !

Et ce combat requiert un travail éducatif en profondeur que nous accompagnons, en mettant en place, avec Canopé, une nouvelle plate-forme.

Celle-ci offre des outils de formation, des ressources indispensables pour prévenir, éduquer et agir contre le racisme en milieu scolaire comme au quotidien.

Car nous avons fait le choix de rendre toutes ses ressources accessibles au plus grand nombre. L’école, à travers cette mobilisation, joue pleinement son rôle, non seulement auprès des élèves, mais pour l’ensemble de la société.

Et pour qu’une telle action soit efficace, nous devions inviter les penseurs les plus éclairés, ceux dont les travaux ne sont contestés par personne.

Nous devions, devant des phénomènes qui revêtent des apparences multiples, nous appuyer sur une pluralité d’approche et de parole.

Nous offrons ainsi un corpus de ressources d’une qualité et d’une ampleur inédites pour travailler et traiter des si nombreux sujets que soulèvent les phénomènes du racisme et de l’antisémitisme.

Je tiens d’ailleurs à remercier la communauté universitaire pour sa mobilisation.

En apportant ces outils, nous comblons un vide qui a trop longtemps persisté, et à cause duquel des enseignants se sont retrouvés seuls face à la montée de revendications nouvelle, d’ordre culturel, cultuel voire identitaire.

Avec ces ressources, nous les aidons à traiter de ces sujets de façon sereine et apaisée.

Les temps sont suffisamment troublés, pour ne pas apporter à ce trouble, celui de nos esprits.

Oui, de tels sujets ne peuvent être abordés en profondeur que de cette manière, loin des polémiques incessantes qui traversent les débats de notre société, dans les médias, et qui souvent divisent ou opposent ceux qui souffrent pourtant pareillement de discrimination, entretenant un effet de concurrence mortifère pour le pacte républicain qui fonde le modèle français.

Et en concluant ce discours, je me dois d’évoquer aussi un facteur puissant d’unité, qui nous rassemble dans notre diversité.

Oui, dans ce combat la langue française a aussi un rôle à jouer. Oui, chère Michaëlle JEAN, la francophonie, comme la République et l’humanisme, nous rassemble et nous unit.

Alain MABANCKOU, professeur au collège de France, nous l’a rappelé avec force dernièrement, je le cite :

« La langue française, ce n’est pas forcément la France, mais c’est tous ceux qui acceptent cette aventure, cette passion, cette forme d’enthousiasme qui était ce qui a forgé cet imaginaire français, et qu’aujourd’hui, par notre étroitesse d’esprit, on essaye d’écarter. »

Et cette passion et cet enthousiasme doivent aujourd’hui encore nous guider dans notre combat commun contre le racisme et l’antisémitisme !

Je vous remercie.

Najat Vallaud-Belkacem,
ministre de l’Éducation nationale,
de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

Éducation nationale Publié le 21 mars 2016

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