Pour une réforme du master au service de la réussite des étudiants – Entretien au journal Les Échos

Enseignement supérieur et recherche Publié le 12 septembre 2016

Les universités « recruteraient » à l’entrée, et non plus en milieu de master. Tous les étudiants de licence auraient « un droit à la poursuite d’études », certains d’entre eux pouvant bénéficier d’aides à la mobilité géographique. Retrouvez ici l’entretien accordé par Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche au journal Les Échos.


Les recours juridiques se multiplient, imposant aux universités d’inscrire en master des étudiants contre leur gré. Faut-il une loi pour sortir de cet imbroglio ?

Oui je pense qu’il faut une loi. Parce que la situation n’est pas satisfaisante, et cela fait quatorze ans qu’elle dure. Depuis la mise en place du dispositif LMD (licence-master-doctorat) en 2002, le diplôme de master avait vocation à sanctionner une formation de deux ans et à remplacer les diplômes pré-existants de maîtrise, de DEA et de DESS. Mais la sélection qui existait à bac+4, c’est à dire à l’entrée du DEA et du DESS, a été conservée. Et elle se retrouve désormais au milieu de ce qui est devenu le master. C’est là qu’est l’incohérence. À l’époque, en 2002, un statu quo avait été négocié. La mesure était censée être transitoire, le temps que l’offre de formation se réforme véritablement. Mais ce compromis a installé une situation durable. À plusieurs reprises, la droite a tenté d’instaurer la sélection à l’entrée en master, comme réponse simple… ou plutôt simpliste à la situation. Cela a été le cas à deux reprises en 2007, avec des échecs à chaque fois. Ces tentatives ont échoué parce qu’elles ne s’appuyaient pas sur un consensus dans la communauté universitaire, sur une réflexion d’ensemble. Je ne veux donc pas de cette solution simpliste qui serait à rebours des aspirations des jeunes et des besoins du pays, et ne répondrait pas aux véritables enjeux d’une réforme du master.

Où en êtes-vous des discussions avec les différents acteurs ?

Depuis plusieurs mois, j’ai souhaité qu’universités, organisations étudiantes et syndicales réfléchissent à nos côtés sur ce sujet . Et les conditions me semblent aujourd’hui réunies pour trouver un équilibre sur un dossier qui a toujours été présenté comme épineux, mais sur lequel il faut que nous avancions, dans deux sens. D’abord, les universités doivent pouvoir recruter à l’entrée du master, et non pas en milieu de master, l’idée étant d’avoir un diplôme conçu comme un cursus de quatre semestres qui ne s’arrête pas en plein milieu, comme c’est le cas aujourd’hui. Et, en même temps, tout titulaire de licence doit se voir proposer une poursuite d’études en master s’il le souhaite. On ne peut en effet pas abandonner les étudiants qui veulent continuer après la licence, alors que ce diplôme ne suffit pas à s’insérer dans le monde professionnel. Pour la première fois, j’ai le sentiment qu’on peut arriver à tenir ces deux bouts-là qui ont généralement été présentés comme contradictoires : la possibilité de recruter à l’entrée du master d’une part, et le droit donné aux étudiants de poursuivre en master d’autre part. En travaillant vraiment avec tous les acteurs de la communauté universitaire, on peut parvenir à cette solution équilibrée. C’est l’objet des discussions que nous menons depuis plusieurs mois.

Est-ce possible de trouver un consensus alors que la Conférence des présidents d’université (CPU) dit avoir claqué la porte des négociations ?

Oui, c’est possible de trouver un consensus, je le crois vraiment. Et nous continuons bien sûr d’échanger. Nous avons déjà agi en tenant nos engagements. Pour sécuriser la rentrée 2016, compte tenu des décisions de justice, nous avons adopté un décret en mai dernier qui permettait de sécuriser juridiquement l’organisation actuelle des masters, avec la possibilité de sélectionner à l’entrée de la deuxième année de certains d’entre eux. Mais nous avons toujours dit que cette solution ne pouvait qu’être temporaire et qu’il fallait repenser plus généralement le système et engager une véritable réforme du master. C’est ce que je propose aujourd’hui. Toutes les conditions sont réunies, et c’est très rare. Je pense que chacun prendra ses responsabilités.

Ce recrutement à l’entrée en master supposerait donc de supprimer la sélection entre master 1 (M1) et master 2 (M2)…

Oui. C’est à l’entrée du master que le recrutement des étudiants doit pouvoir s’organiser de façon intelligente, car le paysage actuel n’est pas satisfaisant. Entamer un cursus pour se heurter à une barrière au milieu, c’est incohérent et ce n’est pas acceptable pour les étudiants. Ensuite, comme personne n’est allé au bout de la réforme LMD depuis 2002, le fait d’avoir conservé cette barrière sélective entre M1 et M2 a empêché le LMD de se mettre en oeuvre, et freiné la construction de véritables formations de masters de qualité adossés à la recherche, professionnalisantes, et déployées sur quatre semestres. Enfin, on sait que la réalité de notre système actuel c’est aussi, à certains endroits, par des délais particuliers ou des calendriers de dépôt des dossiers peu clairs, une sélection de fait qui pénalise les étudiants les moins informés. Face à cette situation problématique, et alors que le gouvernement ambitionne – ce n’est pas forcément la position de l’opposition – d’élever le niveau de qualification des jeunes, je souhaite nous donner les moyens de construire des vrais masters de deux ans qui permettent aux étudiants d’acquérir les connaissances et les compétences qu’on est en droit d’attendre à bac+5, pas d’entretenir un système qui conduit à bricoler des parcours. Il y a trop d’étudiants qui bricolent leur parcours ou redoublent artificiellement leur année de M1. Ce n’est pas normal.

N’est-ce pas une forme de sélection qui ne dit pas son nom ?

C’est d’abord et avant tout une organisation cohérente des études, tournée vers la réussite. La bonne orientation des étudiants, la continuité de leurs parcours, la qualité de leur insertion professionnelle, voilà ce qui m’anime et non un souci de « gestion des flux » ou une obsession de faire le tri. Car je sais trop bien à quel point la première cause de l’échec, c’est l’orientation par défaut, celle qui est imposée, qui démotive. Je veux qu’on réforme ce master pour organiser une orientation maîtrisée qui soit dans l’intérêt de tous, d’abord des étudiants pour leur donner le maximum de chances de réussir, et ensuite évidemment du fonctionnement des universités. Les chiffres conduisent d’ailleurs à dédramatiser la situation : 74% des diplômés de licence générale poursuivent déjà leurs études en master et il y a à peu près autant d’étudiants en M1 (164.000 étudiants) qu’en M2 (154.000). Donc, globalement, on ne souffre pas d’un manque de places ni en M1 ni en M2. C’est la question de la bonne orientation et de la fluidité du système que nous voulons améliorer et nous avons les moyens de faire une réforme qui garantisse la continuité des parcours sans les empêcher. Ceux qui, à droite, plaident pour une sélection pure et simple, n’ont en réalité qu’une idée en tête : mettre fin à ce qu’ils appellent la « massification » des études supérieures. Cela passe pour eux par la multiplication des barrières et des freins, pour en revenir en pratique à une université mystifiée, malthusienne et qui in fine, on le sait parfaitement, ne fait que reproduire les inégalités. Ceux qui brandissent cette solution-là ne répondent jamais à la question : que deviennent les jeunes recalés ? Doivent-ils arrêter leurs études ? Ce sont quand même des jeunes sur lesquels notre pays a déjà investi pour leur financer trois ans de licence, qui veulent continuer, et dont le diplôme de licence apparaît insuffisant pour trouver du travail. Or, notre pays manque de diplômés de niveau master. On en diplôme quelques 16 % d’une génération et on produit moitié moins de docteurs par an qu’en Allemagne. Faire le tri comme le suggèrent les partisans de la sélection pure, c’est donc un luxe que notre pays ne peut pas se permettre. Notre objectif, au contraire, c’est de diplômer 25 % d’une génération au niveau master, dans l’intérêt du pays.

Où s’exercerait le droit à la poursuite d’études ? Un étudiant qui a obtenu sa licence à Brest pourrait-il devoir faire son master à Strasbourg ?

Au niveau de l’établissement, du site, de la région ? Ce sont des questions actuellement en débat. L’orientation à l’entrée du master et le droit à la poursuite d’études pour les étudiants qui le souhaitent, à la fin de la licence, soulèvent en effet d’autres questions, comme celle de la mobilité géographique. Dans le cadre de la négociation en cours, tous les sujets sont sur la table. Pourquoi la mobilité géographique des étudiants entre les universités est-elle si faible par rapport à d’autres pays ? Cela doit nous amener à proposer des solutions pour faciliter cette mobilité. D’autres questions se posent : pourquoi ne compte-t-on que 15 % de boursiers en master, contre 35% en moyenne dans l’enseignement supérieur ? Comment relancer l’ascenseur social dans l’accès aux études longues ? Pourquoi le diplôme de licence prépare-t-il si insuffisamment à une insertion professionnelle directe ? Toutes ces questions se posent, et le fait de régler cette question de l’orientation en master va aussi nous permettre de les mettre sur la table. Voilà pourquoi résumer les enjeux du master à la problématique de la sélection, c’est réducteur.

Mais un étudiant qui vit à Brest n’aura pas forcément les moyens d’aller à Strasbourg. Envisagez-vous des aides financières ?

C’est l’objet des discussions avec les acteurs. Disons qu’il faudra utiliser au mieux la dynamique de la politique de site. Et donc, cela ne se traduira pas nécessairement par le fait, pour l’étudiant, de devoir aller à l’autre bout de la France. On va faire en sorte que le droit à la poursuite d’études soit proposé et permis dans le cadre géographique de l’étudiant. Mais la mobilité géographique, je le maintiens, doit être promue et cela doit passer par un soutien financier pour ceux qui n’en ont pas les moyens.

La mobilité pourrait-elle se concevoir au niveau de la région académique ?

Par exemple, mais ce seront les discussions qui le diront.

Quels étudiants pourraient bénéficier des aides financières à la mobilité ?

C’est, encore une fois, l’objet des discussions en cours. Depuis le début du quinquennat, on a fait un énorme effort dans le soutien aux étudiants : grâce à la mobilisation de près d’un demi-milliard d’euros supplémentaires, le taux de boursiers a été porté à 35,9 % en 2015-2016, soit +8,3 % en trois ans, et près de 200.000 étudiants ont bénéficié d’une augmentation des bourses avec la réforme engagée depuis 2012, avec en outre une accélération des constructions de logements en résidence universitaire. On peut aller plus loin pour soutenir la mobilité géographique des étudiants.

Ce droit à la poursuite d’études doit-il s’organiser autour d’une plateforme internet similaire à Admission Post-bac (APB), comme le réclament certains ?

Les étudiants doivent pouvoir disposer d’informations sur les formations existantes à la sortie de la licence, sur les compétences requises, les critères de recrutement et les calendriers de candidatures, etc. Ce système doit être beaucoup plus clair, plus national et mieux pensé qu’aujourd’hui pour que chacun ait les bonnes informations. Nous y travaillons. Ce ne sera pas un système qui aurait vocation à gérer les voeux des étudiants et les affectations comme APB peut le faire aujourd’hui. Car l’ensemble des masters de France n’ont pas un calendrier unique de candidatures. Mais ce sera un système dans lequel on trouvera l’information qui manque à beaucoup d’étudiants, ce qui explique d’ailleurs le diagnostic sur le faible ascenseur social dans les études longues. Un outil d’information donc et pas d’orientation.

Quand pensez-vous pouvoir aboutir ?

Les échanges avec les organisations ont commencé fin mai. Les principales organisations ont été reçues. L’idée est de finaliser une proposition courant octobre avec les différents acteurs, qu’elle puisse être soumise à la communauté universitaire et ensuite, si on trouve l’accord que je souhaite, qu’on puisse enclencher en novembre le processus juridique – avec une loi et un décret – pour que la réforme se mette en oeuvre à la rentrée 2017.

La fin du quinquennat est proche…

C’est peut-être aussi parce que la fin du quinquennat est proche qu’on arrive à mettre autour de la table toutes les parties prenantes et à essayer de trouver une solution qui les satisfasse toutes. On voit bien que ce sujet sera dans la campagne présidentielle, et que certaines propositions peuvent inquiéter. Du coup, les objectifs et la méthode proposés sont considérés comme la meilleure piste par la plupart des acteurs universitaires. Les acteurs ont conscience que c’est maintenant que les choses se jouent.

Ce sera un projet ou une proposition de loi ?

Peu importe, il faut voir ce qui est le plus rapide. L’essentiel, c’est l’accord de la communauté universitaire et le consensus à trouver. Les choses peuvent ensuite aller vite. Si on enclenche le processus législatif en novembre, c’est possible d’aboutir avant la fin du quinquennat. Mais il faudra que le projet ou la proposition de loi respecte le dialogue avec tous les acteurs et l’équilibre entre la clarification des règles permettant d’accéder à certaines formations en M1 et le droit à la poursuite d’études pour les étudiants.

Vous pensez à la proposition de loi du sénateur Jean-Léonce Dupont (UDI) qui doit être présentée cette semaine ?

On n’en connaît pas encore le contenu mais, si elle ne respecte pas cette méthode de dialogue et cet équilibre essentiel pour les acteurs, elle sera condamnée à l’échec.


Propos recueillis par Marie-Christine Corbier pour Les Échos.

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3 commentaires sur Pour une réforme du master au service de la réussite des étudiants – Entretien au journal Les Échos

  1. JACQUET

    Madame La Ministre de l’Education Nationale,

    Je vous sollicite afin de faire un recours contre la DSDEN de la Marne suite à un courrier reçu ce jour, en recommandé, m’invitant à un entretien préalable (demain) à un licenciement. Je viens de commencer une formation à l’ESPE de Châlons-en-Champagne avec une période en observation et pratique accompagnée à l’école Croix Jean Robert, en tant que Contractuelle, avec un autre stage prévu dans une autre école en novembre, en CM1 et la prise en charge de 2 autres classes en responsabilité sur 20 journées à partir d’octobre. Ce système d’alternance vient d’être mis en place à Châlons cette année et c’est un dispositif d’expérimentation.
    Mon CDD est établi pour la période du 1er septembre/2016 au 31/08/2017 avec une période d’essai de 20 jours, renouvelable une fois.
    J’ai déjà été visitée par un Directeur d’Ecole d’application sur mon lieu de travail sur une séance de comptine,mon Tuteur Education Nationale, avec lequel j’ai eu aussi un entretien à l’issue de l’évaluation. Celui-ci doit me voir à nouveau en novembre lors de mon prochain stage. L’ESPE tenait à ce que les étudiants effectuent leur second stage en cycle 2, mais j’ai accepté l’affectation en cycle 3, en CM1, qui m’a été attribuée, par manque de place visiblement en cycle 2.
    Motivée pour enseigner dans le premier degré, j’ai un niveau Master 2 “Management franco-allemand” obtenu à Metz,j’ai aussi déjà effectué deux années de préparation en IUFM de Lorraine, à Metz et Nancy et ai été Employée de Vie Scolaire à l’école élémentaire Charlemagne de Nancy.

    Cordialement.

    Pascale JACQUET
    06 09 88 29 05

  2. Hassan

    Intelligemment et profitablement “on” est loin d’une “Gaulerie” universitaire…

    D’ailleurs, et parmi tous vos “travaux”, indéniables et remarquables, le manque de, ou la non reconnaissance des principes nécessairement égalitaires et interdisciplinaires a toujours obscurcit la relativité citoyenne des parties prenantes ou concernées…, combien la mise a mal d’une ou plusieurs valeurs communes et dispensées au sein de l’Ecole peut-elle engendrer, ou avantager, de décrochage)s…

    De fait, la critique injuste et répétitive, qui Vous a (trop) souvent concernée, peut-elle aussi et nouvellement s’interpeller comme une “crotique” équivoque et oppressive…

    Bien à Vous…

    Merci…

  3. Une citoyenne

    Madame La Ministre,

    C’est une bonne nouvelle. Le manque d’information a été l’un de mes principaux problèmes. Du coup, je m’étais mal orientée en choissant des diplômes pas adaptés à l’entreprise, pour ma part. Et cela a toujours des incidences sur mon parcours professionnel aujourd’hui.

    Cordialement,

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