La crise italienne au miroir de l’opinion internationale

Populismes Réfugiés À la une Publié le 9 septembre 2019

Que se passe-t-il en Italie?

Que se passe-t-il en Italie? Un recul du populisme? Un changement d’attitude, plus conciliante et confiante, des Italiens envers leurs institutions démocratiques? Ou bien, au contraire, une nouvelle conséquence politique de la montée des opinions nationalistes et populistes parmi une majorité de citoyens? Il est sans doute trop tôt pour le savoir, mais il sera intéressant de regarder et de comparer avec d’autres les évolutions de l’opinion italienne sur ces sujets au cours des prochains mois. Connaître et comprendre les opinions publiques internationales, mesurer l’évolution des idées, perceptions et sensibilités des citoyens, pays par pays, est en effet essentiel pour éclairer le fonctionnement de nos démocraties. C’est la raison pour laquelle, chaque année, Ipsos réalise une étude internationale à travers 28 pays sur l’état du populisme et du nationalisme, qui vise à mesurer ce que répondent les citoyens à des questions sur leur système économique et démocratique, leur confiance dans les partis politiques, les qualités et défauts de leurs dirigeants, ou encore, l’immigration.

On constate, cette année encore, que l’ensemble des éléments qui fondent le succès des courants populistes et nationalistes à travers le monde sont fortement ancrés dans les opinions publiques, et tendent plutôt à se renforcer. 70% des citoyens estiment, globalement, que le système économique est au service des riches et des puissants, 66% que les partis traditionnels ne se préoccupent pas de leur sort, et une nette majorité de 54% affirme que la société, dans leur pays, ne fonctionne plus. Ce dernier sentiment a tendance à reculer (-4% entre 2016 et 2019), notamment dans les pays qui ont connu des changements politiques importants: la Corée du Sud, le Mexique, mais aussi l’Italie, avec -19% en trois ans.

Arrêtons-nous sur l’Italie, précisément, dont la crise politique et institutionnelle de cet été apparaît si difficile à décrypter, et dont les conséquences à moyen terme embarrassent les commentateurs et analystes les plus avisés. Notons que l’étude a été réalisée quelques mois avant la décision de Matteo Salvini de retirer sa confiance au gouvernement Conte, issu d’une alliance entre la Ligue et le Mouvement 5 Étoiles. Les sondages politiques réalisés semaine après semaine tendaient à montrer que l’expérience de plus d’un an de ce pouvoir national-populiste rencontrait plutôt la faveur des Italiens. Avec des cotes de popularité élevées pour le gouvernement, le souhait majoritaire de la poursuite de l’alliance issue des élections de 2018, confirmé encore par le résultat des dernières européennes, mais aussi le rejet toujours aussi fort du retour d’un acteur traditionnel comme le Parti Démocrate.

À la question de savoir, par exemple, si le pays a besoin d’un leader fort, capable de reprendre le pouvoir des mains des riches et des puissants, l’Italie est celui qui connaît la plus forte baisse: -8% d’Italiens le pensent, en trois ans, à 59% d’entre eux. De la même manière, l’Italie est le seul pays à connaître une baisse de plus de 4 points de l’idée que les entreprises devraient réserver prioritairement les emplois aux nationaux, par rapport aux immigrés. Une tendance à contre-courant, avec -7% entre 2016 et 2019, quand cette opinion progresse en moyenne de 4 points. C’est le cas, à titre de comparaison, avec un pays voisin qui connaît une relative stabilité politique sur la période, le nôtre, avec une hausse de 3%. On constatera de la même manière que les Italiens sont aujourd’hui 62% à désirer un leader fort qui brise les règles du jeu quand nous sommes 77% à privilégier cette option… 15 points de différence!

Impossible, bien sûr, à partir de ces seules indications comparatives d’opinion sur ces quelques questions, d’en conclure à l’échec ou à la réussite, à terme, de cette expérience gouvernementale, mais nous devrions les avoir à l’esprit si on veut comprendre la suite des évènements. La volatilité et l’incertitude sont de nouveaux fondamentaux de la vie politique qui obligent chacun à la prudence et à l’humilité, partout dans le monde. Tous les acteurs en présence savent en effet que l’opinion évolue de plus en plus vite, tant sur la radicalité des postures et des solutions à adopter, que sur l’immigration ou la confiance dans la société ou l’économie. Il y a fort à parier que les stratégies des uns et des autres seront néanmoins déterminées par le moment qu’ils jugeront le plus opportun pour retourner devant les électeurs. Pour cela, ils devront regarder comment les Italiens vont réagir à la nouvelle donne: retour à certaine forme de tempérance et d’équilibre, ou fuite en avant vers un national-populisme toujours plus affirmé? À moins que les Anglais ou les Américains ne leur donnent d’autres idées, d’ici-là.

Najat Vallaud-BelkacemDirectrice Générale Global Affairs d’Ipsos, ancienne Ministre, d’abord des Droits des Femmes puis de l’Education nationale

Cet article est d’abord paru le 9 septembre 2019 dans le Huffington Post