La mixité sociale dans les collèges, un objectif réaliste et mobilisateur – Tribune

Éducation nationale Publié le 7 mars 2021

Le saviez-vous ? Des équipes françaises de sciences humaines viennent de réaliser une découverte majeure : des politiques volontaristes peuvent améliorer la mixité sociale ! Dans une période à tant d’égards désespérante, voilà une information qui mériterait un large débat public, non ?

A rebours de la vulgate des déclinologues et des marchands de peur, la mixité sociale ne serait finalement pas cette chimère réservée aux naïfs ou pire, aux idiots utiles du communautarisme ? Il est vrai que pour beaucoup, la messe (républicaine) était dite : la mixité sociale serait un objectif généreux que tout le monde prétendrait soutenir… sauf s’il implique une contrainte personnelle. Le fameux effet «Nimby» («Not in My Backyard») aurait eu raison de cette velléité pour bien-pensants du «vivre-ensemble». Et voici que les travaux de l’Institut des politiques publiques viennent démentir ce cynisme, faux nez du renoncement à la promesse républicaine d’égalité.

Reprenons. Pour sortir le sujet de la mixité sociale d’un climat passionnel et des solutions toutes faites, j’avais impulsé fin 2015 des expérimentations centrées sur le collège, là où les parcours se séparent trop souvent. Après les attentats, l’enjeu était essentiel pour notre école républicaine, qui ne peut transmettre une appartenance commune sur des processus plus ou moins conscients d’exclusion et de ségrégation. Mais aussi pour les élèves vulnérables tant il est prouvé que la mixité sociale améliore leur niveau, sans tirer les autres vers le bas. Alors que la Cour des comptes avait dressé un bilan sévère de l’assouplissement de la carte scolaire décidé sous Nicolas Sarkozy, et alors que toute rigidification supplémentaire n’aurait fait qu’aggraver l’assignation scolaire et résidentielle, j’ai privilégié la mobilisation à partir des territoires. Les expérimentations sont ainsi venues des académies, des élus locaux ou des associations, en prenant le temps de mobiliser l’ensemble de la communauté éducative, d’établir des diagnostics précis et transparents, d’entendre les objections, les inquiétudes. Cette notion de durée, nous l’avons portée sur l’évaluation, avec un comité de suivi pluridisciplinaire disposant de moyens de recherche et de cette matière devenue rare dans les politiques publiques : le temps.

Des moyens numériques aux arts de la scène

C’est ainsi que 82 expérimentations ont été lancées en amont de la rentrée 2017, avec des approches volontairement différenciées. Certaines ont fait le pari de l’amélioration de l’offre de formation, en proposant des enseignements attractifs sur le numérique, dans des langues vivantes, la musique, le sport ou le théâtre. C’est ainsi que l’ancien collège Las Cazes du quartier du Petit Bard à Montpellier s’est transformé en collège Simone-Veil, avec de nouveaux moyens numériques, une section internationale anglo-américaine et une autre dédiée aux arts de la scène, inversant le sens des demandes de dérogation et modifiant sa composition sociale ! D’autres ont développé les filières partagées entre collèges et lycées, comme au collège Vauban de Strasbourg où deux sections internationales ont été implantées en lien avec le prestigieux collège international de l’Esplanade. Lorsque la ségrégation semblait irrémédiable, des élus courageux ont pris la décision toujours difficile de fermer un collège pour répartir autrement les élèves, comme ce fut le cas à Nîmes, à Brest ou à Toulouse. Avec quelques années de recul, ces fermetures ont permis d’améliorer la mixité sociale et ne sont plus mises en cause.

Enfin, d’autres territoires ont choisi d’expérimenter les secteurs dits «multicollèges» permis par la loi de refondation de l’école. Concrètement, il s’agit de proposer aux familles de hiérarchiser un choix d’inscription pour leur enfant entre deux ou trois collèges réunis au sein d’un même secteur géographique, l’Education nationale se chargeant d’affecter ensuite les élèves à partir de critères transparents discutés localement avec l’ensemble des parties prenantes. C’est une démarche exigeante, qui demande du temps et beaucoup d’écoute. Elle n’a pas abouti partout. Mais partout où elle a été menée à son terme, les résultats sont au rendez-vous. Ce fut le cas à Castres dans le Tarn, à Rives-de-Gier dans la Loire ou à Redon en Ille-et-Vilaine, où l’enseignement privé fut associé avec des résultats probants. Mais aussi là où la compétition scolaire est la plus féroce, dans la ville où le combat pour la mixité semble le plus difficile : à Paris. Evidemment, les débats ont été passionnés, et mêmes médiatisés comme dans le XVIIIe arrondissement. Mais aujourd’hui, après trois rentrées scolaires, les évaluations conduites par l’économiste Julien Grenet et ses équipes sont positives : sur les trois secteurs suivis dans les XVIIIe, XIXe et XXe arrondissement, des progrès incontestables ont été mesurés, avec un bénéfice réel pour les communautés éducatives concernées. C’est donc possible !

La ségrégation n’est pas une fatalité

Bien sûr, sur la diversité des territoires – et faute d’un engagement ministériel continu sur ce sujet –, il y a eu des échecs, des refus liés au calendrier électoral, des résistances qui ont eu raison de l’élan initial. Mais nous avons collectivement fait la démonstration, à Paris, à Montpellier, à Redon, à Toulouse que la ségrégation scolaire n’est pas une fatalité. Que tous les élus, chefs d’établissement, enseignants, parents d’élèves et scientifiques qui ont permis cette belle leçon collective d’optimisme soient ici remerciés.

Et puisque nous sommes gouvernés par des responsables qui prétendent croire, comme moi, à la culture de la preuve, aux «evidence based policies», j’appelle à un sursaut collectif. Puisque ça marche, fixons-nous collectivement l’objectif mobilisateur d’en finir sous trois ans avec la situation des 100 collèges les plus ségrégués de France (mesurables avec l’indice d’entropie) avec une sanction claire : si la mixité sociale ne s’est pas significativement améliorée, ils seront fermés en concertation avec les collectivités. Pour y parvenir, une gouvernance locale associant les citoyens et l’ensemble des acteurs concernés devra être adossée à un pilotage interministériel de mission. L’enseignement privé devra être partie prenante, avec l’objectif, que j’avais commencé à porter, d’inscrire des objectifs de mixité sociale dans le cadre de la contractualisation du service public d’éducation. Enfin, un cadre scientifique national d’évaluation permettra de suivre, en toute transparence, l’avancée d’un chantier national majeur pour notre cohésion sociale et nationale. Les prochaines élections départementales et régionales seront d’ailleurs l’occasion de voir, ou pas, des exécutifs locaux se saisir de cet enjeu central en lien avec les mairies.

Au moment où notre pays traverse une crise profonde, plutôt que nous diviser sur des passions tristes, rassemblons-nous sur des objectifs qui sont le cœur de notre identité républicaine commune : recréer un destin partagé pour l’ensemble de notre jeunesse. C’est à mes yeux la meilleure réponse aux tenants de la guerre identitaire que de redonner vie à une citoyenneté qui passe d’abord par l’école de la République. Et pour la gauche, de se souvenir que l’identité républicaine, ce n’est pas là d’où l’on vient, mais là où l’on va. Une façon de revenir à Jaurès sans tout céder à Gramsci : le combat pour l’égalité reste social avant d’être culturel.

Par Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l’Éducation, directrice générale de One France.

Publié le 5 mars 2021 sur Libération.fr.

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