“Faire de la politique, c’est quoi aujourd’hui ?” Tribune pour BINGE Audio

Questions de société Divers Publié le 3 décembre 2021

Pour répondre à cette question vertigineuse, j’aimerais pouvoir répondre avec sincérité, sans enjoliver, mais sans dissuader qui que ce soit de s’engager un jour. Ma première conviction est en effet que la meilleure façon de faire de la politique aujourd’hui serait de la partager très largement. Et non pas la confisquer à quelques-uns, avec des règles du jeu que plus personne n’accepte. Il faut donc laisser à chacun la liberté d’en faire à sa manière, et se garder de donner leçons et recettes qui fermeraient portes et fenêtres. J’ai donc choisi, non pas la forme trop narcissique d’un dictionnaire amoureux de la politique, mais celle d’un petit abécédaire sceptique, évitant tout esprit de système et de dogme. 24 entrées qui se veulent autant d’invitations à faire de la politique aujourd’hui.

Affronter. Je n’aime pas associer la politique à la violence, adopter cette vision très virile qui tend à faire de la politique un art de la guerre. Cela ne correspond ni à mes aspirations ni à mon expérience de l’engagement, encore moins aux quelques satisfactions que la vie politique a pu m’apporter. Mais c’est un mot important car s’il faut fuir la culture du “clash” et les affrontements stériles, la politique reste le courage d’affronter le monde, la difficulté, l’adversité. 

Bifurquer. La politique est une ogresse qui peut vous dévorer si vous lui donnez tout. Il faut savoir s’échapper, s’en libérer, bifurquer si on veut rester libre. C’est très difficile parce que ce n’est pas prévu au programme : une élection chasse l’autre, un mandat en appelle un autre, une défaite appelle la revanche, etc. Il faut imposer son itinéraire : bifurquer permet de prendre d’autres chemins, sans changer de destination.

Care. Je suis une adepte des politiques du “care”, donc du soin, de l’attention et des relations. Mais si le mot est important pour définir la politique aujourd’hui, c’est aussi parce qu’il est très rare que la gauche dans laquelle je me reconnais réussisse à imposer ses mots, ses concepts, ses idées dans le débat public. Faire de la politique, c’est commencer par imposer son langage.

Décider. En choisissant de m’engager sur le terrain des idées après 5 années de gouvernement, j’ai assumé ma conviction que la refondation et le renouvellement de la gauche se feraient d’abord par la pensée, le savoir, la recherche, la curiosité pour les sciences humaines et sociales de notre époque. Il n’en reste pas moins que faire de la politique se fondera toujours sur la capacité à décider. Et donc parfois de se tromper. 

Egalité. La vie politique est tumultueuse, elle aura vite fait de vous faire perdre le nord si vous n’y prenez garde. Nul n’est à l’abri des pires compromissions sans des valeurs fortes toujours à l’esprit. En politique, le principe d’égalité sera votre meilleur guide.  

Fraternité. La plus malmenée des valeurs républicaines en politique, aujourd’hui. Sa réhabilitation est une urgence, une exigence absolue.

Gouverner. J’ai toujours pensé que ce devait être le but de l’engagement en politique. Je pense toujours que la gauche doit y aspirer, se donner les moyens d’y parvenir et assumer ses responsabilités. C’est aussi la plus grossière des erreurs, et la plus lourde de conséquences de penser que tout peut se réduire à cet objectif. C’est en faisant d’abord de la politique autrement, partout dans la société qu’on se donne une chance de bien gouverner un jour.   

Hôpital. La crise sanitaire a révélé bien des choses dans notre société. Mais rien de si fort et important que la valeur de notre service public de santé. Et de ce fait, l’erreur politique majeure d’avoir sous-estimé pendant des années à la fois sa grandeur et ses fragilités. Reconnaître ses erreurs, réparer ses échecs, voilà ce dont la politique devrait être capable aujourd’hui.   

Inventer. L’imagination et l’audace d’inventer sont sans doute ce qui manque le plus à la politique lorsqu’elle est dans l’action. Rien n’est si difficile à imposer, et à mettre en œuvre. Rien n’est pourtant plus indispensable pour convaincre à nouveau. 

Jardiner. Une métaphore de l’action politique qui me suit, et qui me plaît. Pour Voltaire et la morale de son Candide qui finit par cultiver son jardin après tant de catastrophes, mais aussi pour Montaigne qui voyait dans l’expérience humaine, “un jardin imparfait”.   

Kilomètres. Faire de la politique, c’est faire des kilomètres. En tout cas, ça devrait l’être, et pas seulement en campagne électorale. Comprendre comment vivent les femmes et les hommes, c’est connaître les lieux, les paysages, les espaces où ils habitent et travaillent. La novlangue du moment parle de territoires et d’enracinement, moi je préfère parler de kilomètres et d’ubiquité. 

Liberté. Voir “égalité” et “fraternité”.

Modestie. La première des vertus en politique, mais aussi l’une des plus rares. Ceci expliquant peut-être parfois cela… 

Oubli. Nous avons tous la mémoire bien trop courte. Politiques, citoyens, journalistes… C’est vrai à l’échelle de l’histoire avec la résurgence de toutes les formes de négationnisme et de révisionnisme dans le débat public. C’est vrai aussi à l’échelle quotidienne de nos jugements, avis et opinions d’actualité qui négligent sans cesse la moindre prise de recul, et autorisent toutes les duperies.  

Polémique. Une pratique politique et médiatique à laquelle nul ne sait comment échapper sans se condamner à ne plus pouvoir faire valoir ses idées. Un piège que notre démocratie doit apprendre à déjouer si nous voulons retrouver un débat raisonné, serein et utile.     

Queer. Une communauté qui se joue des modèles de genre et d’orientations sexuelles dont les modalités d’action politique, à la fois joyeuses, libres, festives, mais aussi respectueuses de toutes les différences constituent pour moi une vraie source d’inspiration.  

Réseaux sociaux. J’ai dû apprendre à faire de la politique avec. Aujourd’hui, je crois qu’il faudrait apprendre à en faire sans. C’est évidemment impossible tant les réseaux sociaux ont pris de l’espace dans nos vies quotidiennes, capté notre attention, influencé nos façons de nous informer et de communiquer. Mais le travail critique qu’accomplit une nouvelle génération de militants politiques sur ces outils numériques doit servir à s’engager différemment.  

Silence. Rien n’est plus bruyant ni bavard que la politique. Il est pourtant essentiel de savoir écouter la multitude des expériences pour penser la politique, et agir. Essentiel aussi, de ne pas se mêler de tout. Introduisons davantage de silence et de capacité à se taire dans la vie politique.   

Trahir. Un classique de la culture politique classique qui n’a rien perdu de son actualité. Une attitude morale qui mérite toujours autant d’être dénoncée et combattue, tant la politique est affaire de collectif, de solidarité, de loyauté et de constance. 

Urgence & Vitesse. Deux conditions majeures d’exercice de la politique en condition réelle qui me paraissent à la fois nouvelles, et sources d’impuissance. Faire de la politique aujourd’hui, c’est accepter de s’y soumettre alors que, de toute évidence, nous avons besoin de faire l’inverse : penser loin pour agir à long terme.

Wokisme. Le dernier en date des concepts absurdes que la droite réactionnaire réussit régulièrement à imposer dans le débat et qui témoigne à lui seul de la difficulté de faire de la politique sérieusement.   


X, Y, Z. Noms de code des trois générations qui cohabitent et se débattent avec la politique aujourd’hui. Elles concentrent les trois crises majeures de notre temps : économique, climatique et démocratique. Loin d’opposer nos priorités, nous devons comprendre que les trois enjeux sont profondément liés. 

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