“Rarement un ministre sera resté aussi longtemps pour un bilan aussi faible” – Entretien au JDD

Éducation nationale Publié le 12 janvier 2022

Dans un entretien au JDD, l’ancienne ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, évoque les nouvelles règles sanitaires à l’école et attaque le bilan de son successeur, Jean-Michel Blanquer.

Par Arnaud Focraud pour le JDD, 6 janvier 2022. Crédits photo : Lewis Joly pour le JDD/Sipa.

Entre recommandations de dernière minute, professeurs absents et élèves testés positifs, la rentrée scolaire s’est déroulée parfois dans des conditions agitées, en pleine vague épidémique. Mercredi, le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer , a annoncé que “7%” des enseignants étaient absents cette semaine et que le pic “ne devrait pas dépasser normalement 15%”. Le protocole sanitaire reste au niveau 3 (sur 4) dans les écoles élémentaires et au niveau 2 dans les collèges et lycées, mais le ministre a annoncé de nouvelles mesures.

Il n’y a plus de fermeture de classe dès que l’on atteint trois cas de Covid-19 , mais seulement “en fonction de la situation” et “en présence par exemple d’un très grand nombre de cas”, a indiqué son ministère. Le ministre a également décidé de soumettre désormais les élèves à trois tests en quatre jours s’il y a un positif dans la classe. L’objectif est d’identifier les cas possibles en s’évitant de fermer l’ensemble d’une classe.

Dans un entretien au JDD, l’ancienne ministre de l’Education, la socialiste Najat Vallaud-Belkacem , ne souhaite pas être dans une “opposition de principe” mais se montre sévère à l’égard de son successeur, “isolé et impuissant”, et plus généralement de l’exécutif, “présomptueux, autoritaire, parfois désinvolte”.

D’abord, comment réagissez-vous aux propos tenus mardi dans Le Parisien par Emmanuel Macron, qui a pour stratégie “d’emmerder” les non-vaccinés ?

Le choix des mots est éloquent. Derrière un franc parler de comptoir, assez peu digne de la fonction présidentielle, se dissimule un désir de cliver pour des raisons électorales. C’est une stratégie de court terme qui n’est pas à la hauteur de la fonction présidentielle dans la gestion de cette crise sanitaire. Sur le fond, la stratégie du gouvernement consistant à faire peser sur les personnes non-vaccinées le poids des contraintes ne me choque pas. Tous les choix individuels se respectent, mais leurs conséquences ne peuvent pas s’imposer à la majorité de la population, par une fermeture du pays que le vaccin permet d’éviter. Etre vacciné, aujourd’hui, c’est non seulement se protéger soi-même du virus, mais c’est aussi c’est faire preuve de solidarité à l’égard des plus fragiles, éviter la surcharge des hôpitaux et les reports de soins, lutter contre les conséquences économiques et sociales d’un éventuel confinement ou de mesures plus dures. Face à cela, à chacun de prendre ses responsabilités.

Le ministre n’est pas roi thaumaturge : la coopération est la seule méthode possible

Que pensez-vous des nouvelles règles du protocole sanitaire à l’école, qui prévoient en particulier davantage de tests pour éviter les fermetures de classes?

Je n’ai pas d’opposition de principe. J’ai d’ailleurs toujours essayé de ne pas critiquer inutilement le gouvernement dans sa politique de crise sanitaire : il me semble que l’enjeu dépasse largement la politique partisane et mérite la plus grande unité possible. On ne peut pas dire que l’opposition a beaucoup été aidée dans cette démarche, mais c’est mon idée de la responsabilité. Le problème, ici, comme à tant d’autres occasions, c’est la bonne application de ces règles. Rien n’a été préparé, anticipé, concerté, ni dans l’école, ni hors de l’école. Le ministre n’est pas roi thaumaturge : la coopération est la seule méthode possible. Donc, je pense que ces règles sont théoriques, insuffisantes, et qu’elles ne résisteront pas à la réalité de terrain.

La stratégie du ministre – ne fermer l’école qu’en dernier recours – est-elle la bonne, selon vous?

Oui, je pense que c’est la bonne doctrine. Personne ne la conteste, d’ailleurs. Avec une limite d’importance : la santé des enseignants, du personnel d’éducation, des élèves et de leurs familles qui ne sont pas négociables. Sur ce point, presque rien n’a été fait : pas de matériel de protection adapté, pas de campagne spécifique de tests PCR, pas de capteurs de CO2, pas de purificateurs d’air, ou beaucoup trop peu. Une limite, et une condition : la concertation, la coopération, la considération. Il fallait aussi, à mon sens, rendre possible un plan B en équipant massivement la communauté éducative d’une alternative numérique. Il n’y en a pas. Une doctrine ne doit pas devenir une religion et, pour filer la métaphore, ne se mettra pas en oeuvre par la grâce d’une encyclique et de quelques bulles papales.

Nous devrions déjà être dans l’élaboration d’une politique de réparation dont je ne vois pas la trace

La situation justifiait-elle de repousser la rentrée scolaire?

Si un tel délai avait pu servir à concerter et à mobiliser les acteurs de la communauté éducative pour remettre l’école en ordre de bataille, pourquoi pas, mais cela n’a jamais été évoqué.

Sur le fond comme sur la forme, le gouvernement est-il à la hauteur dans cette gestion de la crise sanitaire à l’école?

La crise a révélé beaucoup de choses, y compris la vraie nature de ce gouvernement : présomptueux, autoritaire, parfois désinvolte à l’égard de ses responsabilités, souvent insensible aux réalités de la vie vécue loin des ministères. Mais la fin de l’histoire n’est pas écrite. Souhaitons d’abord qu’il réussisse, la démocratie s’exprimera ensuite.

L’ancienne ministre de l’Education nationale est-elle inquiète des conséquences que pourraient avoir deux ans de pandémie sur une génération d’élèves?

Oui, bien sûr. Il est incontestable que les conséquences pédagogiques, psychologiques et sociales seront très importantes, pour toutes les classes d’âge, pour longtemps. Nous devrions déjà être dans l’élaboration d’une politique de réparation dont je ne vois pas la trace, alors qu’il faudrait faire de l’urgence éducative la priorité. C’est le plus inquiétant.

Emmanuel Macron n’a pas de bilan personnel parce qu’il n’avait pas de projet, pas de vision pour l’école

Plus de 1.200 acteurs du monde de l’éducation , emmenés par des personnalités LREM, défendaient dans le JDD le bilan d’Emmanuel Macron sur l’école. Quel est le vôtre?

Il n’a pas de bilan personnel parce qu’il n’avait pas de projet, pas de vision pour l’école. À l’exception du dédoublement des classes, rien n’a été fait. Il a laissé carte blanche à Jean-Michel Blanquer, accueilli comme un spécialiste, et qui s’est révélé être un ministre isolé et impuissant, qui préfère les symboles et les polémiques politiciennes plutôt que traiter les véritables enjeux éducatifs. Il a fait ce qu’il aurait fait sous un quinquennat de François Fillon, soit le prolongement de ce qu’il faisait déjà sous Nicolas Sarkozy. Je m’étonne toujours que des femmes et des hommes venues de la gauche aient laissé faire.

Que retenez-vous de positif?

J’aimerais tant pouvoir répondre quelque chose, mais dans ce domaine, je cherche le “en même temps”. Le dédoublement de classes, positif en soi, s’est fait au prix du sacrifice du “plus de maîtres que de classes”. L’abandon de la réforme des rythmes scolaires que tous les spécialistes savaient indispensable a dégradé les conditions d’apprentissage des élèves en primaire. Rien n’a été fait sur la mixité scolaire, le collège et le lycée sont restés en friche. Rarement un ministre sera resté aussi longtemps en poste pour un bilan politique aussi faible.

Le débat est pris en otage par la droite et l’extrême-droite

Pourquoi l’école n’est pas aujourd’hui, dans le débat public, un thème majeur de la campagne de 2022?

Parce que le débat est pris en otage par la droite et l’extrême-droite, et que leurs propositions sur ce sujet n’en sont pas. Ce sont les mêmes sempiternelles déplorations idéologiques destinées à servir leur vision fantasmée du pays, et tout le monde semble s’en contenter lorsqu’on ne verse pas dans les polémiques sur le wokisme ou le pédagogisme…. C’est tragique. Il faut reprendre sérieusement le travail sur les conditions d’apprentissage des fondamentaux, lecture et mathématiques, dans lesquels la France est mal classée. Sur les inégalités scolaires persistantes, sur l’absence de mixité au collège, sur la formation des enseignants tout au long de la vie et leur meilleure reconnaissance, sur la filière professionnelle qui joue un rôle clé dans la démocratisation scolaire. Ce n’est pas comme si on manquait de sujets à traiter. Mais encore faut-il s’y intéresser.

Pourriez-vous soutenir une autre candidate qu’Anne Hidalgo d’ici à la fin de cette campagne présidentielle?

Je soutiendrai le ou la candidate issu du processus de primaire à gauche que nous appelons de nos voeux.