Européens, encore un effort pour être «Terriens» – Tribune dans Libération

ONE Réfugiés Publié le 21 mars 2022

Pour Najat Vallaud-Belkacem, directrice France de ONE, face à la multiplication des crises, une seule solution doit s’imposer: la solidarité.

Le 22 mars 2022, Libération et l’ONG ONE organisent une journée spéciale pour interpeller les candidats à la présidentielle sur le retour de l’extrême pauvreté partout sur la planète et ses conséquences sur les grands défis qui nous attendent. Au programme : réchauffement climatique, poids de la dette, aide publique au développement, sécurité alimentaire… Rendez-vous au Théâtre du Rond-Point dès 9 heures. Un cahier spécial de 20 pages accompagnera cet événement, dans l’édition de Libération du 22 mars. Retrouvez dans ce dossier ces articles.

Les crises majeures qui s’enchaînent à l’échelle globale depuis une décennie sont d’une telle ampleur que le quotidien de chacun en a été ébranlé, et que notre perception de la réalité en est aujourd’hui profondément changée, tout comme notre compréhension du monde, notre façon de voir l’avenir.

Le terrorisme, d’abord, qui a si violemment meurtri notre pays dans sa chair, si durement touché la République dans ses valeurs. C’est un phénomène global dont nous payons désormais le prix, sur notre sol. La crise sanitaire mondiale avec la pandémie de Covid-19, ensuite. Tous autant que nous sommes, nous avons vu nos vies bouleversées. Cette crise planétaire historique n’est pas surmontée que la guerre en Ukraine vient déjà nous rappeler que ni la paix, ni la démocratie, ni la liberté en Europe ne sont jamais acquises. La guerre est là, devant nous, avec son cortège d’intolérables souffrances, de morts, de blessés et de millions de personnes réfugiées à accueillir et à protéger, ici. La crise climatique, enfin, qui ne date pas d’hier mais dont les effets catastrophiques se font chaque jour ressentir davantage dans chacune de nos villes, chacune de nos campagnes, très concrètement et de façon souvent irréversible. Tout cela laisse évidemment planer le spectre d’une crise économique, sociale, environnementale sans précédent, à toutes les échelles, avec les conséquences en chaîne que nous connaissons.

Jusqu’ici, nous avons su répondre tant bien que mal en rassemblant la nation autour des valeurs républicaines, pour dire non à la barbarie de l’islamisme radical, ici et ailleurs. Nous avons su faire le choix, presque instinctif, de la solidarité, en acceptant de nombreux mois de confinement pour nous protéger mutuellement. Notre gouvernement, comme celui de la majorité des grandes puissances, a rapidement mis en œuvre des plans successifs de protection, de relance ou de résilience débloquant des milliards d’euros afin de sauver notre économie. Et nos vies.

Mon lointain est devenu mon proche voisin

En quelques semaines, nous venons de donner naissance à une toute nouvelle Europe, sûre de sa place dans le monde, de ses valeurs et de son unité dans la diversité.

Cette Europe nouvelle, demain, pourrait ainsi être en mesure de se mobiliser sur le climat ou la lutte contre les inégalités mondiales.

Car, d’une certaine manière, nous avons compris que si la politique voulait, elle pouvait. Et que l’impossible était en fait possible. Nous savons être français, nous savons être européens, et nous avons compris, avec le virus du Covid-19 que nous devions apprendre à devenir les habitants d’une même planète, toutes et tous interdépendants. Rappelons, par exemple, qu’en Afrique à peine 20% de la population est vaccinée.

Demain, nous allons devoir être des Terriens, assumant ensemble le changement global de la crise climatique, des pollutions, de la disparition de la biodiversité et de la fragilité de nos démocraties.

Pour cela, nous allons devoir surmonter bien des obstacles, mais nous comprenons qu’un puissant levier de changement vient peut-être de nous être imposé, à l’échelle individuelle et collective, susceptible de nous délivrer de bien des égoïsmes : cette «proximité» vécue de la crise tout à la fois dans nos vies quotidiennes comme dans nos représentations à l’échelle internationale est en train de faire naître une expérience commune de l’humanité, une expérience commune aussi, de la politique, du maire de mon village au Secrétaire général de l’ONU.

Nous comprenons que nous ne pouvons pas accepter une hiérarchie des catastrophes, sous prétexte que ce qui se déroule chez notre voisin est plus important que ce qui se déroule à 10 000 kilomètres. Qu’il ne peut plus y avoir de notion de frontières lorsque des cataclysmes surviennent. Les pandémies, les conflits, la misère peuvent être géographiquement loin, ils ont tout autant de raison de nous concerner au point d’y répondre par le même « quoi qu’il en coûte ». Mon lointain est devenu mon prochain, et c’est ainsi que peut-être nous parviendrons à devenir, enfin, des humains accomplis, et donc des Terriens.

Le futur gouvernement devra commencer par montrer, ici en France, ce que signifie réellement cette nouvelle alliance globale dans les politiques de solidarité internationale, et les candidats seraient bien inspirés de faire de ce sujet une priorité de leur campagne.

Tribune publiée sur le site de Libération le 18 mars 2022.

Crédits photos : Norbert Grisay / Hans Lucas.