Najat Vallaud-Belkacem : « Qu’est devenue l’aide Covid à l’Afrique ? » – Tribune dans L’Obs

ONE Publié le 7 juin 2022

Carte blanche – L’ancienne ministre de l’Education nationale, aujourd’hui directrice France de l’ONG Onee, invite Emmanuel Macron à replacer la solidarité à l’égard des pays les plus pauvres au cœur de la présidence française de l’Union Européenne.

En politique, les promesses non tenues alimentent la défiance des citoyens à l’égard de leurs dirigeants. En matière de solidarité internationale, elles constituent le terreau du ressentiment des pays pauvres à l’égard des grandes puissances. Pourtant, dans tous les cas, il n’existe aucune fatalité à ce que l’action publique se résume à une litanie de renoncements.

Près d’un an après l’annonce par les pays riches d’un soutien financier aux pays vulnérables équivalent à 100 milliards de dollars pour faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19, seuls 60 milliards ont en réalité été promis à ce jour par les pays riches, et une toute petite partie de cette somme a effectivement été versée aux pays bénéficiaires qui s’impatientent, à juste titre, car les défis qu’ils doivent relever n’ont jamais été aussi nombreux.

De quoi parle-t-on exactement ? Pour financer les réponses sanitaires et économiques à la pandémie, le FMI a décidé le 23 août 2021 de procéder à une nouvelle allocation générale de droits de tirage spéciaux (DTS) équivalent à 650 milliards de dollars et répartis entre ses 190 pays membres à raison de leur poids dans l’économie mondiale. Les DTS sont des avoirs de réserve internationaux qui peuvent être échangés par les pays bénéficiaires contre des devises, sans créer de dette supplémentaire. Or, les pays à revenu élevé n’ont pas vraiment eu besoin de ce mécanisme pour faire face à la pandémie, car ils disposaient de marges de manœuvre budgétaires et monétaires ainsi que d’une capacité de recours à l’emprunt suffisante pour amortir l’impact de la crise. D’où la proposition, formulée lors du Sommet sur le financement des économies africaines de Paris, et reprise par le G7 de Carbis Bay puis le G20 de Rome, de demander aux pays riches de « recycler » une part de leurs DTS inutilisés en faveur des pays qui en ont le plus besoin, notamment les pays africains.

L’Afrique au bord du gouffre

Or, il appartenait aux pays les plus riches de décider, sur la base du seul volontariat, la part de leurs DTS qu’ils souhaitaient ainsi réaffecter. Si certains, comme la France, le Canada, le Royaume Unis, ou l’Italie, ont joué le jeu en annonçant rediriger 20 % de leurs DTS vers les économies africaines, d’autres sont demeurés silencieux sur leur niveau d’engagement. Les Etats Unis n’ont par exemple par encore concrétisé leur volonté de réallouer à leur tour 20 % de leurs DTS. Résultat : 40 % des 100 milliards de dollars annoncés par le G20 sont aujourd’hui toujours manquants.

Pire : presque aucun décaissement des sommes promises n’a pour le moment eu lieu. Les solutions techniques permettant aux pays riches de recycler leurs DTS sans affecter le bilan de leurs banques centrales, qui les ont intégrés à leurs réserves de change, sont en effet toujours débattues ; et dans les faits, cette aide financière pourrait prendre plusieurs formes, y compris celle de prêts.

Pourtant, l’Afrique est au bord du gouffre. Les crises s’accumulent et les besoins de financements des économies africaines n’ont jamais été aussi urgents. Le continent ne s’est toujours pas remis du choc de la crise sanitaire : pendant que les dirigeants des pays du G7 annoncent avoir désormais choisi de « vivre avec le virus », 97 millions de personnes dans le monde ont été poussées à l’extrême pauvreté par la pandémie. La persistance de conflits armés et les risques sécuritaires sur le continent africain y accroissent les besoins humanitaires. Les conséquences de la crise climatique, des sécheresses et des inondations, augmentent les risques de crise alimentaire, et la dépendance aux importations agricoles russes et ukrainiennes aujourd’hui bloquées par la guerre entraîne l’envolée des prix des denrées alimentaires.

L’engagement des pays riches doit être tenu

En avril 2022, 335 millions d’Africains souffraient de la faim. 28 millions de personnes risquent d’être confrontées à la famine en Afrique de l’Est. Dans ce contexte, 27 pays émergents – dont 10 en Afrique – rencontrent actuellement d’importantes difficultés pour emprunter sur les marchés financiers. Et 23 pays africains sont actuellement surendettés ou exposés à un risque élevé de surendettement. Il serait paradoxal que l’aide financière extérieure promise vienne à manquer au moment précis où elle est plus indispensable que jamais. Et inacceptable qu’elle contribue une nouvelle fois à accroître le poids du remboursement du service de la dette, au détriment du financement du développement économique et social et de la résilience des pays à faible revenu face aux chocs mondiaux.

Il n’est donc plus temps de tergiverser. L’engagement de verser 100 milliards aux pays les plus vulnérables en recyclant les DTS des pays riches doit être tenu, en particulier par l’intermédiaire du soutien aux Banques multilatérales de développement.

La différence entre l’effet de communication lors d’un sommet de chefs d’États et la réalité d’une politique de solidarité internationale, c’est la constance des engagements et le suivi de leur mise en œuvre. Le recyclage des DTS pour maintenir les économies fragiles à flot n’est que le dernier exemple de promesses non tenues à l’égard des pays africains. Alors que ces derniers mois, l’Afrique s’est légitimement sentie laissée-pour-compte de la campagne vaccinale mondiale contre la pandémie, la France ne doit pas laisser s’affaiblir le consensus qu’elle a contribué à créer au sein de la communauté internationale en faveur d’un soutien financier au continent africain.

Notre pays doit travailler avec l’ensemble des pays du G20 pour qu’ils respectent leurs engagements d’aide à l’Afrique. Le Président de la République doit également replacer cet enjeu au cœur de la présidence française de l’Union européenne qui s’achève à la fin du mois. La France doit pour cela trouver au moins 15 milliards de dollars de DTS additionnels avec ses partenaires européens, en commençant par augmenter son propre engagement pour atteindre 30 % de réallocation, avant de léguer les rênes de la Présidence du Conseil de l’Union européenne à la République tchèque. Car aussi longtemps que durera son manque de fiabilité, l’influence de l’Europe ne cessera de reculer dans cette région du monde, en particulier auprès de sa jeunesse.

Tribune publiée sur le site de L’Obs le 4 juin 2022.

Crédits photo : Sally Hayden / SOPA Images