Najat Vallaud-Belkacem : « Pour la première fois, l’espérance de vie mondiale diminue. Le G7 doit agir »

ONE Publié le 24 juin 2022

Carte blanche – L’ancienne ministre de l’Education nationale, aujourd’hui directrice France de l’ONG One, alerte les dirigeants des pays les plus riches qui se réunissent en Allemagne ce dimanche 26 juin : « La longue marche en avant de l’humanité vers l’amélioration de ses conditions de vie est aujourd’hui menacée. »

Pour la première fois depuis les années 1950, l’espérance de vie mondiale à la naissance a reculé de 1,64 an entre 2019 et 2021 (1). Elle est passée de 78,85 ans à 76,44 ans aux Etats-Unis, tandis que l’Espagne, la Belgique ou l’Italie accusent des baisses de plus d’un an. Cette réalité aurait pu passer inaperçue. Elle est pourtant lourde de sens. Depuis deux siècles, l’augmentation globale et régulière de l’espérance de vie était le marqueur le plus tangible du niveau de développement d’un pays, des progrès de la science et de la médecine, de l’amélioration des conditions de travail, de la lutte contre les inégalités et la pauvreté.

Elle a certes pu se trouver temporairement entravée dans les régions du monde frappées par les guerres, les crises, les génocides et les épidémies. La Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale ont inversé cette tendance aux Etats-Unis, au Royaume-Unis ou au Japon. La crise du sida a sapé les progrès réalisés en Afrique-du-Sud dans les années 1990. Mais c’est la première fois que l’espérance de vie diminue ainsi nettement à l’échelle mondiale depuis que les Nations unies ont commencé à recueillir ces données dans les années 1950. La longue marche en avant de l’humanité vers l’amélioration de son bien-être et de ses conditions de vie est donc aujourd’hui menacée.

Covid et crise alimentaire

Comment en sommes-nous arrivés-là ? Cette situation est d’abord la conséquence de l’épidémie mondiale de Covid-19, qui a non seulement causé la mort de près de 14,9 millions de personnes en 2020 et 2021, mais a aussi plongé 97 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté à travers le monde. Les pays les plus exposés au Covid sont ceux qui enregistrent la plus forte baisse de l’espérance de vie de leur population. Or nous le savons : les inégalités face aux conséquences de la pandémie se sont par ailleurs doublées d’inégalités dans l’accès aux vaccins. A ce jour, à peine 14,7 % de la population des pays les moins avancés est intégralement vaccinée. L’espérance de vie recule ainsi en raison du Covid dans ces régions du monde frappées par des crises sanitaires, la pauvreté et les conflits, où elle était déjà très faible.

Mais le Covid n’explique pas tout. Cette dynamique est également affectée par la crise alimentaire dans laquelle de nombreux pays sont plongés depuis 2020, en raison des mauvaises récoltes, du réchauffement climatique et des ruptures d’approvisionnement liées à la pandémie. Et la guerre en Ukraine aggrave cette situation chaque jour un peu plus, car les pays belligérants représentent à eux seuls un tiers des exportations mondiales de blé, un quart de celles d’orge et 70 % de celles d’huile de tournesol, qui sont aujourd’hui à l’arrêt. Les prix des denrées alimentaires de base s’envolent. Depuis le début de la guerre, 51,1 millions de personnes souffrent de la faim.

Les plus optimistes pourraient considérer que ces aléas conjoncturels seront bientôt effacés par des progrès scientifiques majeurs en santé. Mais ces chiffres s’inscrivent dans un contexte d’urgence climatique universelle, qui va affecter durablement la santé, l’habitat, le travail, le bien-être économique et social sur toute la planète. Le réchauffement climatique n’est déjà plus une menace abstraite ou lointaine pour les populations les plus vulnérables. Les pays à revenu faible ou intermédiaire – en particulier en Afrique – subissent la majeure partie de ses effets. Des millions de têtes de bétail ont péri cette année dans la Corne de l’Afrique, où plus de 15 millions de personnes sont confrontées à de graves pénuries d’eau et à une sécheresse historique après une saison marquée pour la quatrième fois consécutive par l’absence de précipitations.

Sans une action résolue pour résorber les causes de ces multiples crises, sanitaires, alimentaires, climatiques et sociales, qui affectent le plus durement les pays les plus vulnérables, il n’existe donc malheureusement aucune raison de penser que d’éventuels futurs progrès médicaux suffiront à enrayer cette érosion universelle de l’espérance de vie humaine.

Face à ces désordres du monde, l’heure est à l’action et à la solidarité. Le G7 qui se réunit dimanche 26 juin en Allemagne doit agir de manière résolue, dans plusieurs directions : d’abord, en passant d’une réponse d’urgence à une stratégie durable face au Covid-19. Il est impératif d’accentuer les efforts visant à garantir un accès universel à la vaccination, de sécuriser l’approvisionnement en tests de dépistage et en médicaments au sein des pays fragiles, et de renforcer les systèmes de santé afin de mieux faire face aux futures crises pandémiques.

Ensuite, en prenant des mesures résolues pour faire face à la crise alimentaire. Toutes les barrières à l’exportation pour les produits de base doivent être levées, les « achats de panique » qui aggravent la hausse des prix doivent être combattus, et des mesures fortes pour faciliter l’exportation des céréales ukrainiennes doivent être prises. La fourniture d’engrais aux pays les plus vulnérables peut également s’avérer utile pour leur permettre de faire face à la hausse des prix des matières premières agricoles.

Respect des engagements

Les pays du G7 doivent également investir massivement afin de limiter les risques liés à l’urgence climatique. En respectant leurs engagements en matière de subventions pour le climat et en veillant à ce que 50 % de ces fonds soient effectivement alloués à la transition écologique. Ces investissements doivent naturellement venir compléter les dépenses d’aide au développement, sans s’y substituer.

Il est enfin indispensable que les engagements pris en 2020 par le G7 et le G20 de « recycler » 100 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international (FMI) pour fournir aux pays fragiles les liquidités nécessaires pour faire face aux conséquences de la pandémie et répondre à leurs besoins de développement soient enfin honorés. A ce jour, les pays bénéficiaires n’ont presque rien reçu.

L’inaction n’est plus une option. Car si les pays les plus riches réunis au sein du G7 se contentent de rester spectateurs des crises qui traversent le monde, le recul de l’espérance de vie mondiale constaté au lendemain de la pandémie ne sera pas qu’un incident de parcours ayant bousculé des séries statistiques historiques, mais le début d’une tendance régressive susceptible d’être aggravée demain par les crises et le réchauffement climatique. Il n’est pas trop tard pour y faire face, ensemble.

(1) « Patrick Heuveline, California Center for Population Research (CCPR), University of California https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/padr.12477  »

Publié sur le site de L’Obs le 24 juin 2022.

Crédits photo : MICHAEL KAPPELER / AFP