Najat Vallaud-Belkacem: “Garder nos visées humanistes d’où que viennent les demandeurs d’asile, c’est notre combat”

Presse France terre d'asile ONE Publié le 17 janvier 2023

Retirée de la politique en 2017, l’ancienne ministre socialiste de l’Education est depuis juillet dernier présidente de France terre d’asile. Elle est également à la tête d’une autre ONG, ONE, qui combat l’extrême pauvreté en Afrique. A l’heure où une nouvelle loi sur l’immigration fait débat, Najat Vallaud-Belkacem nous livre sa vision d’une stratégie migratoire respectueuse des droits humains et ses enjeux.

Propos recueillis par Fadwa Miadi

Dans une récente tribune au monde, vous appelez la France à pratiquer une politique migratoire cohérente avec ses valeurs et surtout à le faire de manière pérenne et non ponctuellement et de manière aléatoire. La France est-elle encore une terre d’asile aujourd’hui ?

Oui je le crois : on l’a vu notamment avec la mobilisation de la société française dans la réponse aux dernières grandes crises (Afghanistan, Ukraine) qui ont mené à l’arrivée de nombreuses personnes cherchant refuge en France. Si la réponse apportée à chacune de ces crises est différente, dans les deux cas, les services de l’Etat et les associations ont été capables de se mobiliser en un temps record pour accueillir les personnes. Il faut toutefois être très vigilant sur la défense du droit d’asile. Les discours et projets politiques qui visent à le remettre en cause se multiplient en Europe et en France et nous devons garantir son application.

Dans le cadre du futur projet de loi sur l’immigration Elisabeth Borne a affirmé que la France doit pouvoir dire « qui on veut » et « qui on ne veut pas ». Que vous inspirent ces propos ?

D’abord, ce n’est pas entièrement juste. La France est liée par des conventions européennes et internationales qui garantissent à chaque personne humaine un certain nombre de droits, tel que celui de chercher l’asile dans un autre pays que le sien, ou celui de vivre en famille. Nous ne pouvons pas fermer la porte aux demandeurs d’asile ou aux personnes qui arrivent au titre du regroupement familial, bien heureusement. Pour de nombreux autres motifs de migration, la recherche d’un travail par exemple, les règles applicables aujourd’hui permettent déjà aux services consulaires français de délivrer des visas en fonction de « qui on veut », sur des métiers en tension par exemple, et « qui on ne veut pas ».

Que pensez-vous des grands axes de ce projet de loi présenté comme alliant fermeté et humanité ?

Cette énième loi qui sera bientôt présentée au Parlement n’est pas nécessaire pour améliorer ce qui doit l’être. L’enjeu aujourd’hui est de travailler à la fois sur le premier accueil et l’intégration des demandeurs d’asile et des réfugiés, et sur les solutions qui peuvent être offertes aux personnes qui ne sont ni expulsables, ni régularisables en l’état actuel des choses. Nous militons pour que les cours de français soient accessibles dès le début de la demande d’asile, pour ne pas perdre de précieux mois d’apprentissage et accélérer l’insertion une fois le statut de réfugié obtenu. Pour que soient levés les freins à l’accés à l’emploi. Ou encore pour qu’une protection humanitaire complémentaire à l’asile soit offerte aux personnes ayant subi des traitements inhumains ou dégradants, mais dont la demande d’asile a été rejetée. Enfin, l’accès au séjour des mineurs non accompagnés doit être facilité, pour que leur passage à la majorité ne réduise pas à néant des années de prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance.

Que conclure de la différence de traitement entre réfugiés ?

On l’a vu avec la guerre en Ukraine, l’Europe et France ne sont pas des forteresses pour tout le monde…Chacun a pu constater en effet l’émoi des populations et la réactivité des autorités européennes à l’égard des réfugiés ukrainiens. Tout cela est lié à la proximité de la guerre en Ukraine, au choc que provoque un conflit armé sur le continent européen, et à une sorte d’identification à ces nouveaux réfugiés. Nous devons tirer des conclusions de cet accueil à bras ouverts (et on a bien fait) de près de 8 millions d’ukrainiens en Europe. La séquence a démontré la pertinence et l’efficacité des institutions et politiques européennes, lorsqu’elles sont mobilisées dans une visée humaniste. Notamment avec l’activation de la protection temporaire qui a permis de lever tous les freins à l’accueil et à l’intégration que rencontrent habituellement les demandeurs d’asile. Les ukrainiens ont pu accéder à un hébergement immédiat dès l’arrivée sur le territoire, un accès aux soins, l’autorisation de travailler et un accès au service public de l’emploi, un accompagnement vers le logement… Résultat, ils ne dorment pas à la rue, dans des squats ou des campements. Ils peuvent subvenir plus rapidement à leurs besoins en travaillant, et leurs éventuelles pathologies sont prises en charge à temps, donc moins coûteuses pour la société. Et personne ne déplore la présence de ces 100 000 nouveaux étrangers en France depuis le mois de mars, car quand on accueille les personnes dans de bonnes conditions et qu’on leur donne les moyens de s’intégrer rapidement, elles y parviennent. Que l’on sache garder ces visées humanistes d’où que viennent les demandeurs d’asile, c’est notre combat.

L’Ocean Viking a marqué les esprits. Que faire pour que ce type de situation ne se renouvelle pas ?

La France doit continuer à pousser, au sein de l’Union européenne, pour que chaque Etat membre réponde à ses obligations en matière de droit international maritime, et notamment celle d’offrir un lieu de débarquement sûr aux navires de sauvetage. Bien sûr, les Etats méditerranéens qui accueilleront ces débarquements (Italie, Chypre, Malte…) doivent être assurés de la solidarité de leurs partenaires européens. La France s’est engagée dans plusieurs plans de relocalisation depuis 2015, mais il faut bien constater que le nombre de personnes relocalisées depuis les pays du Sud de l’Europe n’est pas à la hauteur des promesses. Nous devons montrer l’exemple et jouer notre rôle si nous souhaitons que l’Italie assume le sien. Enfin, il faut absolument veiller à ce que le Pacte sur la migration et l’asile en cours de négociation au niveau européen, et en particulier le règlement sur « l’instrumentalisation » de la migration et de l’asile, ne conduisent pas à la criminalisation des activités des ONGs aux frontières.

Avec la montée de l’extrémisme en Italie comme ailleurs, ce genre de drame ne risque-t-il pas de se banaliser ?

Bien sûr, la prise du pouvoir par l’extrême droite nous fait courir le risque de voir les droits humains bafoués un peu partout en Europe. Mais nous disposons, au sein de l’Union européenne, de règles et de garanties collectives sur l’Etat de droit et les libertés individuelles, et de mécanismes d’avertissement et de sanction. La plupart du temps, les négociations et la diplomatie nous permettent d’arriver à des solutions raisonnables. Mais il ne faut pas hésiter à utiliser les armes du droit, dont nous disposons, pour défendre la démocratie en Europe, comme nous l’avons déjà fait collectivement avec la Hongrie ou la Pologne, en suspendant le versement de fonds européens.

Comment lutter contre la montée de ces extrêmes ?

Donner l’exemple en accueillant les étrangers et donner à voir les réussites de cet accueil. Dans de nombreux territoires en France, en Allemagne, en Espagne, en Italie et ailleurs, des réfugiés et des personnes venues pour toutes sortes de motifs vivent et s’intègrent dans leur société d’accueil. Nous devons investir les moyens nécessaires à la réussite de leur intégration. Il faut aussi encourager les citoyens à participer à cet accueil, car beaucoup de préjugés sont déconstruits lorsqu’on rencontre personnellement les nouveaux arrivants. Il faut enfin opposer aux discours de l’extrême droite un discours réaliste qui parte des faits pour déconstruire les fantasmes et les fake news. Et ne surtout pas tomber dans le piège qui consiste à croire qu’on combat l’extrême-droite en reprenant ses mots et ses idées.

Vous dirigez One France, qui lutte contre l’extrême pauvreté et la maladie. Comment l’amélioration des conditions de vie en Afrique impacte la nécessité pour certaines populations de quitter leur pays pour l’Eldorado européen ? (Les femmes et les mineurs en particulier)

De manière générale et c’est notre combat constant chez One, on ne peut pas déplorer que des gens soient acculés à prendre la route de l’exil si on ne se demande pas comment contribuer à rendre leur monde plus vivable. Il est des causes sur lesquelles il est malheureusement difficile d’agir, la folie meurtrière des gouvernants par exemple en Afghanistan, en Syrie ou en Iran. Mais il est d’autres causes, l’extrême misère, l’impossible accès à la santé ou à l’éducation… sur lesquelles on peut bel et bien agir à l’échelle internationale. En faisant preuve de solidarité (c’est l’objet des aides publiques au développement qui doivent être ambitieuses et assumées dans nos pays, ou encore du rôle volontariste que doivent jouer les banques multilatérales de développement…). Mais au-delà de la solidarité et des mesures correctrices, en rétablissant en amont de la justice et de la normalité tout simplement dans le fonctionnement de nos économies mondialisées. On ne m’enlèvera pas de l’esprit qu’il y a de l’extrême pauvreté à un bout de la chaine précisément parce qu’il y a de l’extrême richesse à l’autre bout. Raison pour laquelle nous estimons indispensable par exemple une taxation des flux financiers qui permette une juste redistribution de la part des grands gagnants de la mondialisation, ou encore la transparence sur le véritable pillage assorti d’évasion fiscale pratiqué par certaines multinationales sur le continent africain…

Entretien avec Le Courrier de l’Atlas, numéro 175, janvier 2023.