AEF info : Dans quelle mesure l’ONG One est-elle associée à la préparation du sommet de juin sur le nouveau pacte financier Nord Sud ?
Najat Vallaud-Belkacem : En vue du sommet, les organisateurs ont installé quatre groupes de travail consacrés à redonner de l’espace budgétaire aux pays les plus endettés, favoriser le développement du secteur privé dans les pays à faible revenu, encourager les investissements d pour la transition énergétique dans les pays en développement et émergents, et enfin envisager des financements innovants pour les pays particulièrement vulnérables. Nous venons tout juste d’obtenir que deux sièges par groupe de travail soient attribués aux ONG. La société civile pourrait être encore bien davantage associée, mais cela n’empêche pas de travailler très étroitement avec les organisateurs tant sur la forme que sur le fond. L’idée pour nous est tout simplement de veiller à ce que l’impact des décisions adoptées soit le plus ambitieux possible pour les pays pauvres.
AEF info : Un premier comité de pilotage devait se tenir le 22 mars, savez-vous ce qu’il en est ressorti ?
Najat Vallaud-Belkacem : Non, One n’est pas membre de ce comité où seuls les États sont représentés — France, Barbade, Inde, Japon, Émirats arabes unis, États-Unis, Chine, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Brésil, Sénégal, Afrique du Sud, Kenya et la Commission européenne, ainsi que le secrétariat général des Nations unies, le FMI, la Banque mondiale et l’OCDE- . Cependant, nous avons demandé à présenter nos recommandations devant ce comité. J’espère que cela sera possible d’ici au sommet.
AEF info : Quel regard portez-vous sur l’initiative ?
Najat Vallaud-Belkacem : Il y a plusieurs choses positives. L’existence de ce sommet est en soi une bonne nouvelle. Qu’il soit coprésidé par la France et par l’Inde, un grand pays du Sud, est aussi une bonne chose. Ce sommet s’inscrit par ailleurs dans la lignée de l’initiative de Bridgetown, portée par Mia Mottley, Première ministre de la Barbade charismatique et très engagée. Une fois qu’on a dit ça il faut vraiment veiller à ce que ce ne soit pas un sommet pour rien, fait de déclarations non engageantes ou redondantes avec des choses déjà annoncées par ailleurs. Il faut aussi s’assurer que derrière la recherche indispensable de financements pour le climat, on n’oublie pas les besoins toujours criants en termes de développement, d’accès à la santé, de lutte contre la pauvreté….Parce que le contexte on le connait: Celui de l’après pandémie de Covid-19, de la guerre en Ukraine et ses conséquences en cascade qui réduisent l’espace budgétaire et fiscal d’un nombre considérable de pays et les empêchent de financer l’accès de leur population à des services sociaux de base. Selon les données du Pnud, l’indice de développement humain a reculé dans neuf pays sur dix en 2022 à travers le monde. Ce qui signifie que l’espérance de vie y a baissé et la pauvreté y a augmenté. Ce contexte fait que les décisions qui seront adoptées en juin doivent vraiment être à la hauteur et le nouveau pacte financier dont il est question engager tous les acteurs dans un type inédit de solidarité.
AEF info : Quelles sont vos attentes précises, sur quoi ce sommet devrait-il conclure pour être utile ?
Najat Vallaud-Belkacem : Les institutions financières vont devoir y mettre du leur, notamment les banques multilatérales de développement qui doivent modifier les règles qui les empêchent d’agir de manière aussi ambitieuse qu’elles le pourraient. Relever leur capacité de prêts au delà de celle qu’elles s’autorisent aujourd’hui permettrait de dégager des centaines de milliards de dollars supplémentaires selon les estimations. C’est un levier absolument majeur.Mais s’il est des acteurs dont on attend tout particulièrement qu’ils contribuent à ce nouveau pacte, c’est aussi ceux du secteur privé. C‘est pourquoi chez One nous sommes, entre autres, si attachés à la mise en place d’une taxe mondiale sur les transactions financières.
AEF info : Taxe évoquée depuis de nombreuses années…
Najat Vallaud-Belkacem : Oui. Cela ressemble à un serpent de mer, et pourtant c’est vraiment ce dont on a besoin. Ce sommet de juin qui s’annonce comme voulant réformer l’architecture internationale est l’occasion de s’y engager une fois pour toutes. Un groupe de pays leaders pourrait se mettre d’accord, la mettre en place dans chaque pays au niveau national et reverser ses recettes à la lutte contre l’extrême pauvreté et le changement climatique. Plusieurs pays ont d’ailleurs déjà une telle taxe : la France, l’Italie, l’Espagne, la Suisse, le Royaume-Uni qui avec le Stamp Duty l’experimente même depuis trois siècles…
AEF info : Avez-vous estimé le montant qu’une telle taxe mondiale pourrait rapporter ?
Najat Vallaud-Belkacem : L’économiste Gunther Capelle-Blancard a, à notre demande procédé à ce calcul. Il va prochainement publier ses conclusions détaillées. Il montre que si une taxe équivalente au Stamp Duty était étendue à l’Amérique du Nord, à l’Europe et au Japon, cela permettrait de lever jusqu’à 300 Md$ par an ! On tient là un bout de solution, car c’est un bon impôt, avec peu d’effet sur les marchés qui le mettent en place, des frais de recouvrement minimes. Tout cela dans un monde où les volumes de transaction boursière ont explosé ces dernières décennies: depuis les années 1970, leur montant a été multiplié par plus de 300 !
AEF info : Avez-vous évoqué cette piste le 10 mars en présence de Mia Mottley ?
Najat Vallaud-Belkacem : Il en a été question et la Première ministre de la Barbade, qui veut ‘renverser la table’, y a été favorable. Mais d’autres idées ont également été évoquées, la taxation du transport maritime, la mise en place d’une taxe sur l’extraction des énergies fossiles…
AEF info : Ce sommet suscite-t-il certains points de vigilance ?
Najat Vallaud-Belkacem : J’aimerai surtout que l’on en finisse une fois pour toutes avec la suspicion que ce genre de sommet relève d’une sorte de postcolonialisme, dans lequel le Nord se réunirait dans l’entre soi pour parler de l’ailleurs à la place de l’ailleurs. Ce qu’il faut comprendre c’est qu’il n’y a plus vraiment d’ailleurs dans notre monde. Nos sorts et nos destins sont entremêlés plus qu’ils ne l’ont jamais été: chacune des crises traversées ces dernières décennies en a été une cruelle illustration : La crise financière de 2008 qui a emporté le monde entier dans son sillage, les radicalisations religieuses qui ont importé jusque dans nos pays le terrorisme fanatique, la crise sanitaire du Covid-19 qu’aucune frontière n’a su arrêter. Sans parler des conséquences de choix industriels du Nord sur le changement climatique de pays au Sud qui n’émettent quasiment pas de gaz à effet de serre ou de celles d’une guerre en Ukraine sur la famine dans des pays pourtant si éloignés. Il ne s’agit donc ni de charité ni de postcolonialisme, mais d’apprehender les risques et les défis auquel est confronté ce même bateau dans lequel nous sommes tous embarqués. Le laisserons-nous faire naufrage en croyant nous en sortir de la même façon que les premiers rescapés du Titanic qui se réservaient des bateaux de sauvetage première classe pour les mieux lotis ? Ou saurons-nous enfin tirer les leçons de nos échecs passés et réfléchir ensemble à se sauver ensemble ? Si on est d’accord pour la seconde option, alors on a besoin de solutions ambitieuses, innovantes, de solidarité internationale. Et on a au préalable besoin d’acter qu’un grand nombre des malheurs des plus vulnérables sont moins liés à la malchance qu’à des déséquilibres et dysfonctionnements qui prennent leur source dans d’autres parties du monde plus « chanceuses ».Bien évidemment toute cette réflexion ne peut pas se faire qu’à quelques voix seulement. C’est pourquoi chez One nous remettons en permanence sur le tapis la nécessité d’une juste représentation autour de la table des décisions. Que des États africains intègrent le comité de pilotage, que les pays les moins avancés jouent un rôle clé au moment du sommet, que les sociétés civiles de ces derniers soient également de la partie…. Et puis aussi que cela devienne une composante structurelle de la gouvernance mondiale, ce qui passe par exemple par un siège africain au G20. Je dis souvent que des décisions prises sans les femmes sont des décisions prises contre les femmes. Cela vaut aussi en matière de solidarité internationale. Ne pas associer les pays vulnérables à la prise de décision, c’est prendre le risque d’aboutir à des mesures mal fagotées, vite claironnées et vite oubliées, voire contreproductives.
AEF Info: Mettre l’accent sur le financement de la transition par le secteur privé ne risque-t-il pas d’occulter le rôle que peut jouer ce dernier dans l’allègement de la dette ?
Najat vallaud Belkacem : Il est tout à fait vrai que les créanciers privés doivent être impliqués dans la résolution des problèmes de surendettement des pays qui en ont besoin – et c’est là un problème majeur. Nous avons besoin que tous les créanciers s’assoient à la table et conviennent d’un accord, y compris le Club de Paris, la Chine et les créanciers privés.Mais la vérité c’est que les pays dont nous parlons ont besoin de plus d’investissements – et non de moins – si nous voulons lutter contre la pauvreté, créer des emplois et assurer la transition de notre système énergétique. À l’heure actuelle, la dette des pays africains est trop coûteuse et à trop court terme, ce qui la rend insoutenable. Ils ont donc besoin d’un financement public plus important, mobilisé par les impôts, mais aussi d’un changement structurel dans la manière dont la dette est gérée et les risques répartis.
AEF Info: Par ailleurs, allez-vous suivre les réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale ?
Najat Vallaud Belkacem : Oui bien sûr, c’est un moment très important pour notre plaidoyer, qu’il s’agisse de la réforme des Banques multilatérales de développement, des droits de tirage spéciaux ou de la dette. Nous continuerons à y pousser la Banque mondiale à réduire le ratio capitaux propres/prêts et à être plus ambitieuse sur son indispensable réforme. Il semblerait qu’elle s’apprête à annoncer une enveloppe de 50 milliards de dollars pour les dix prochaines années soit 5 milliards de dollars par an, soyons clair: ce serait totalement insuffisant, il y a vraiment un besoin de se placer au bon niveau d’ambition et de besoins en financement des pays vulnérables. Pour éviter que cette réflexion soit réservée aux seuls initiés et techniciens, nous faisons de la pédagogie auprès du grand public et valorisons les enjeux de cette réforme qui est d’intérêt mondial d’abord et avant tout pour les citoyens de ce monde. C’est pourquoi nous dévoilerons un certain nombre d’outils grand public dans les jours qui viennent dont par exemple un outil de données qui permette à l’utilisateur d’agir fictivement sur le bilan de la Banque mondiale, avec différentes variables (qu’on lui explique …) pour comprendre comment différents changements pourraient créer une marge de prêts supplémentaires considérable. Laquelle marge lui donnerait les moyens, en plus du soutien au developpement, d’investir véritablement dans les défis transfrontaliers et les biens publics mondiaux tels que la réduction des émissions de carbone et la préparation aux pandémies. Nous en profiterons également pour publier un plan des 100 premiers jours que nous appelons de nos voeux pour le nouveau president de la Banque mondiale. Du coté du FMI qui accueillera un moment important sur la dette souveraine, nous espérons qu’un accord sera trouvé sur certaines questions clés bloquant le processus de restructuration de la dette du cadre commun du G20. Enfin et plus généralement nous créons plusieurs moments parallèles de réflexion sur la nécessité et les modalités d’une reforme systémique du système financier international.
Entretien avec AEF Info le 4 avril 2023.
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