Ce jeudi 7 novembre, j'ai reçu des mains de Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes, le rapport du HCE sur le droit à l'interruption volontaire de grossesse :
Retrouvez ici mon intervention lors la remise du rapport du HCE.
Mesdames et monsieur les membres du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes,
Avant toute chose, je tiens à vous remercier pour ce rapport très riche. Vous le savez, le droit à l’IVG est un sujet qui me tient à cœur et sur lequel nous nous sommes déjà pleinement investies.
Le recours à l’avortement n’est pas une tolérance ou une faveur, c’est un droit pour toutes les femmes qui choisissent d’y avoir recours. Ce doit est garanti par la loi depuis presque 40 ans et chaque année, environ 220 000 femmes y ont recours. C’est donc un sujet qui n’est ni récent, ni mineur. En moyenne, on estime que une femme sur trois y aura recours au cours de sa vie.
Et pourtant…
Pourtant, comme trop souvent en matière de droits des femmes, ce droit inscrit dans la loi n’est que très imparfaitement mis en œuvre. Le Gouvernement est déterminé à assurer l’effectivité de ce droit pour toutes les femmes.
Assurer l’effectivité du droit à l’IVG, c’est agir sans relâche, en analysant et en supprimant un par un tous les obstacles que peut rencontrer une femme qui, confronté à une grossesse non désirée, décide d’avorter. Nous sommes déterminés. Nous sommes fiers de ce droit. Nous le défendrons chaque fois qu’il sera attaqué avec la plus grande fermeté.
Le premier frein que nous avons levé est le frein financier. Depuis le 31 mars 2013, les frais de soins, de surveillance et d’hospitalisation lies a une IVG par voie instrumentale ou médicamenteuse sont intégralement pris en charge par l’assurance maladie. Dans le même temps, les forfaits d’IVG ont été revalorisé, afin de mettre fin à une situation ou les tarifs perçus par les établissements de santé étaient très inférieurs aux couts réellement supportes. Cela pesait fortement sur les établissements et expliquait pour partie la faiblesse du nombre de professionnels disposés à pratiquer cet acte.
Le deuxième frein auquel nous nous sommes attaqués est celui de la désinformation. On a vu ces dernières années se multiplier les sites internet qui, sous une première apparence de bienveillance et de neutralité, diffusent des informations mensongères, orientées et culpabilisantes. Ces sites étaient les premiers référencés par les moteurs de recherche sur la question de l’IVG et risquait donc de constituer la première source d’information pour des femmes, parfois en situation de grandes détresse. Je recevais énormément de courriers et de témoignages sur ce sujet. Plusieurs associations qui sont représentées aujourd’hui m’ont alerté et notamment le Planning familial. Il était urgent d’agir. Nous avons engagé avec Marisol Touraine la création d’un site internet institutionnel sur l’IVG, donnant à chaque femme les renseignements dont elle peut avoir besoin lorsqu’elle est confrontée à une grossesse non désirée. Le site ivg.gouv.fr est actif depuis le 28 septembre. Il délivre de façon claire et neutre toutes les informations dont peut avoir besoin une femme qui s’interroge sur l’IVG (les délais, les démarches à entreprendre, les différentes méthodes…). Il donne pour chaque région des contacts téléphoniques auquel la femme peut s’adresser pour obtenir des informations ou parler de sa situation. Il rappelle également, et on ne le rappelle jamais assez, que l’IVG est un droit, qui fait partie du droit des femmes à disposer de leur corps et qui fait partie de notre Histoire. Aujourd’hui, grâce à notre travail actif en matière de référencement, si vous tapez « ivg » dans un moteur de recherche, le site ivg.gouv.fr apparait dans les tout premiers résultats.
Ce site n’est pas figé et a vocation à être développé, complété… Ainsi, nous travaillons en partenariat avec les associations pour l’entretenir et le mettre à jour régulièrement, afin qu’il remplisse le mieux possible sa mission d’information et d’aide aux femmes. Nous les réunissons d’ailleurs tout à l’heure sur ce sujet.
Pour améliorer le recours à l’information, nous travaillons également à la mise en place d’un numéro de téléphone national. Il existe déjà un service de permanence téléphonique d’information sur l’IVG et la contraception dans les régions, mais ce service n’est pas homogène sur tout le territoire. Nous travaillons avec le mouvement du planning pour définir les conditions de mise en place dès 2014 d’une ligne téléphonique gratuite (un numéro court) couvrant l’ensemble du territoire national. Cette ligne proposera une information directement accessible et professionnelle pour les jeunes femmes sur leur santé, leur contraception, la législation applicable et les établissements et services pratiquant l’IVG et sur les techniques existantes.
Le choix d’avoir recours à l’IVG est une décision personnelle, qui doit être prise relativement vite. Le gouvernement garantit donc l’accès à une information fiable. Dans le même temps, il ne tolérera aucune entrave à ce droit essentiel. La femme ne doit pas être entravée lorsqu’elle souhaite faire valoir son droit ; or si le délit d’entrave est efficace pour éviter les entraves physiques, il fallait l’étendre aussi aux pressions morales et psychologiques à l’encontre de celles qui vont s’informer. Au cours de l’examen par le Sénat du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, un amendement a été adopté avec le soutien du Gouvernement pour élargir les conditions de mise en œuvre du délit d’entrave à l’IVG. Il s’agit de sanctionner également le fait d’empêcher de « s’informer » sur l’IVG dans les établissements et centres qui dispensent cette information. Les manœuvres tendant à faire pression sur les femmes et à les empêcher de faire valoir leur droit seront demain réprimées par la loi.
S’il faut prévoir des mesures supplémentaires dans le projet de loi pour l’égalité, nous sommes prêts à les envisager. Plusieurs associations m’ont notamment alerté sur l’intérêt qu’il y aurait à permettre les recours collectifs contre les entraves, pour éviter de mettre les femmes en première ligne dans ces procédures et assurer leur plus grande effectivité. J’y suis personnellement favorable et nous travaillerons avec les parlementaires sur ce sujet.
Votre rapport est une interpellation essentielle car il constitue un formidable plaidoyer pour agir sur un autre frein qu’il nous faut lever : c’est la disparité et parfois l’insuffisance d’offre de soin dans certains territoires. Il s’agit d’un sujet fondamental, sur lequel je suis interrogée chaque semaine et à l’égard duquel existe une certaine urgence : il y a des inégalités territoriales importantes. Certaines femmes sont obligées de parcourir des distances importantes pour avoir recours à un avortement. Dans certain cas, la méthode utilisée leur est imposé… C’est inadmissible et il est urgent d’agir.
J’ai évoqué ce sujet avec Marisol Touraine. Nous avons adopté des instructions pour que les agences régionales de santé assurent une permanence effective durant la période estivale où se manifestaient les manques les plus criants. Ce travail doit être poursuivi en s’étendant à l’organisation de l’offre de soins tout au long de l’année pour que chaque femme ait la possibilité d’accéder à l’IVG pas trop loin de chez elle, avec la méthode qu’elle souhaite. La formation des professionnels est également d’une grande importance, trop de femmes sont encore mal reçues ou mal accompagnées.
Le rapport que vous m’avez remis constitue un plaidoyer utile et bien documenté pour repenser notre organisation des soins en matière d’IVG ; Marisol Touraine, qui suit bien entendu de très près ces questions, va expertiser les différentes pistes que vous proposez.
Pour finir, je voudrais évoquer un frein à l’IVG qui est plus diffus encore : le fait qu’il soit encore considéré comme un droit à part. Une femme qui avorte n’est pas coupable. Elle utilise un droit à part entière garanti par la loi. C’est un message crucial, qu’il faut porter sans relâche et je m’y emploie.
Pour conforter ce droit, vous proposez de dispositions spécifiques à l’IVG. Je pense par exemple à la clause de conscience des médecins ou au délai de réflexion de 7 jours. Je reste réservée la dessus et je vais vous expliquer pourquoi. Ces dispositifs sont issus, il ne faut jamais l’oublier, des équilibres douloureux de la loi de 75. Ils ne font pas réellement obstacle à l’IVG : la possibilité de recours à une clause de conscience existe de manière générale pour tout le personnel soignant et le délai de réflexion de 7 jours peut être ramené à 48h en cas d’urgence. Remettre en cause ces dispositifs ne me parait pas prioritaire ; la société française a trouvé un équilibre en la matière et il serait risqué et contreproductif d’essayer de la bousculer alors que notre pays est vu partout à travers le monde comme l’un de ceux qui a l’une des législations les plus avancées.
Je vous remercie.
Tags : Avortement, IVG, ivg.gouv.fr
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