En Tunisie pour renforcer concrètement notre coopération – Entretien à La Presse de Tunisie

Pour son premier voyage officiel de ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Najat Vallaud-Belkacem, a choisi de se rendre en Tunisie à un moment crucial de la transition démocratique du pays. Un soutien appuyé à la marche vers la démocratie. Lors de cette visite entamée lundi 1 décembre 2014, la ministre a accordé un entretien au journal La Presse de Tunisie.

Quels sont les raisons et les objectifs de votre visite en Tunisie ?
Je suis ravie de cette visite et je souhaite qu’elle contribue à faire vivre la relation privilégiée qui existe entre nos deux pays. Le président de la République, François Hollande, a d’ailleurs souligné cette proximité à l’occasion de deux déplacements en Tunisie depuis son élection en 2012. Je tiens à joindre ma voix à la sienne et dire toute l’admiration que j’ai pour le peuple tunisien dans ce processus de transition démocratique.
Au-delà des témoignages d’amitié, ce déplacement va être l’occasion de renforcer concrètement notre coopération en matière d’éducation, d’enseignement supérieur et de recherche. Depuis mon arrivée à la tête du ministère de l’Education nationale, j’ai d’ailleurs déjà commencé à y travailler comme, par exemple, dans le cadre de la réunion «5+5 Education» sur la formation professionnelle qui s’est tenue à Marseille à la fin du mois d’octobre, et à laquelle la Tunisie participait.

Pouvez-vous nous parler des projets bilatérau existant ou en cours d’élaboration en matière d’éducation et de formation professionnelle ?
Nos deux pays collaborent sur de nombreux sujets car les défis auxquels nous sommes confrontés en France sont bien souvent des défis sur lesquels vous travaillez vous-mêmes. Prenez l’exemple du numérique. En France, nous préparons en ce moment même un grand projet sur le numérique éducatif, pour favoriser les apprentissages des élèves. Avec mes homologues tunisiens, nous allons donc échanger nos expertises, développer des ressources pédagogiques, bref, travailler ensemble car les meilleures solutions naissent du collectif.
Mais je souhaite avant tout mettre l’accent sur la formation professionnelle et tout le travail que nous menons en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes. La lutte contre le chômage des jeunes est une priorité que nous partageons. Lorsque nous créons ensemble des centres d’excellence de formation pour l’aéronautique ou le bâtiment, lorsque nous développons ensemble l’alternance ou la validation des acquis de l’expérience, ce sont des avancées importantes que certains jeunes perçoivent déjà dans leur quotidien.
L’abandon scolaire est un phénomène qui prend de l’ampleur un peu partout, notamment en Tunisie.

Plusieurs causes, dont la pauvreté, sont à l’origine de ce phénomène qui, par ailleurs, alimente les réseaux de criminalité et de radicalisation des jeunes. Dans quelles mesures et avec quels types de moyens ou de mécanismes, la formation professionnelle peut-elle être un rempart contre les déviations des jeunes qui ont rompu avec l’école, sachant que la formation professionnelle est mal vue chez nous ?
A ma connaissance, l’abandon scolaire est un phénomène relativement récent en Tunisie, mais je comprends votre inquiétude car c’est un vrai problème pour ces jeunes qui, généralement, rencontrent ensuite davantage de difficultés pour trouver un emploi.
En France, nous avons décidé de consacrer des moyens importants à ce sujet. Avec le Premier ministre Manuel Valls, j’ai justement annoncé il y a quelques jours le lancement d’un plan pour vaincre le décrochage scolaire. Nous allons tout particulièrement agir sur la prévention, avant même que les jeunes aient décroché. Nous allons former les enseignants pour qu’ils soient en mesure d’en détecter les premiers signaux, nous allons adapter les parcours pour que les jeunes puissent, par exemple, effectuer un stage avant de retrouver les bancs de l’école, ou encore développer les structures de raccrochage innovantes. Je suis d’ailleurs prête à ce que nous travaillions ensemble, Français et Tunisiens, sur ce sujet.

Votre visite en Tunisie fait suite à une réunion du Dialogue 5+5 Education, qui s’est tenue à Marseille les 27 et 28 octobre dernier. Où en est ce dialogue et quels sont les chantiers en matière d’éducation et de formation qui ont résulté de la réunion de Marseille ?
Le dialogue « 5+5 » est un forum de discussion entre pays de la Méditerranée. Les ministres de l’Education et de la Formation professionnelle de dix Etats y étaient présents. C’était la première fois qu’une telle réunion était consacrée à l’enseignement et à la formation professionnels. Ce choix unanime a résulté de la volonté d’affirmer que l’international n’est pas réservé aux filières les plus prestigieuses mais, au contraire, est une possibilité pour tous.
Nous avons ainsi posé les premières pierres d’une coopération euro-méditerranéenne sur la formation professionnelle avec des mesures très concrètes pour favoriser la mobilité, et mieux adapter l’enseignement et la formation professionnels aux aspirations des jeunes et aux réalités du monde du travail. Dans une période où d’aucuns sont gagnés par le scepticisme, je crois que ce sommet euroméditerranéen a été un vrai élan d’espoir.

L’objectif du Dialogue 5+5 Éducation est l’amélioration des compétences des jeunes méditerranéens, leur employabilité ainsi que leur mobilité dans cet espace euroméditerranéen. Quels sont les domaines de compétences ciblés et de quels outils disposez-vous pour garantir la concrétisation de vos décisions?
A l’occasion de cette rencontre, nous avons mis l’accent sur l’attractivité de l’enseignement et de la formation professionnels, la fluidité des parcours de formation des jeunes et une meilleure prise en compte des besoins des entreprises. A l’issue de nos travaux, nous avons adopté une déclaration qui se décline en un plan d’action très concret, avec des mesures comme la création d’un cadre euroméditerranéen de reconnaissance des compétences qui permettra de développer les mobilités et donc d’accroître l’employabilité des jeunes. Enfin, des secteurs prioritaires ont été définis, comme la maintenance automobile et aéronautique, la mécanique, la construction, le numérique, le tourisme, l’énergie ou encore l’environnement.

C’est quoi selon vous, en tant que ministre de l’Éducation, la réussite ? Est-elle à la portée de tous les jeunes ? Si oui, quel en est le secret ?
Mon rôle en tant que ministre de l’Education est justement de tout mettre en œuvre pour que la réussite soit à la portée de tous, pour que chacun puisse bien apprendre, bien s’orienter, et bien s’insérer professionnellement. Pour que tous les élèves, quel que soit leur milieu d’origine, aient les mêmes chances de réussite scolaire. Or aujourd’hui, en France, force est de constater que ce n’est pas le cas. En dépit du travail remarquable des enseignants, les jeunes issus de familles défavorisées n’ont pas les mêmes chances de réussir que les jeunes issus de familles favorisées. Malheureusement tous les indicateurs en témoignent.
Mettre fin à cette inégalité est le principal objectif que je me suis fixé, c’est le cœur de toute mon action. J’annoncerai très prochainement une grande réforme pour donner plus de moyens à ceux qui en ont le plus besoin. Désormais, les moyens attribués aux écoles et établissements scolaires ne dépendront plus seulement du nombre d’élèves accueillis, mais aussi de la difficulté sociale de chaque territoire. Ce changement ne sera pas simple à mener, mais c’est une des clés pour que l’école tienne sa promesse d’égalité.


Propos recueillis par Amel Zaibi pour La Presse.
Photo © Razak / MENESR

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