Au British Educational Training and Technology (BETT) de Londres – Discours de Najat Vallaud-Belkacem

Éducation nationale Publié le 21 janvier 2016

La ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche s’est rendue à Londres le jeudi 21 janvier 2016 pour présenter la stratégie française d’investissement dans la e-éducation, premier plan d’investissement public à l’heure actuelle en Europe.

Retrouvez ici le discours prononcé, en anglais et en français, par Najat Vallaud-Belkacem, au British Educational Training and Technology (BETT), un salon international du numérique éducatif.

Ladies and gentlemen,

I do not want to give you false hopes. My speech will not be entirely in English. But I wanted to begin with a few words in English, because the subject we are tackling today is a very important one.
We are facing a huge revolution: the digital revolution.
This revolution changes many aspects of our everyday life.

When you get lost in London, as a French person, you know perfectly well that your only chance to find your way is your smartphone. A map would not help. Nor the indications that Londoners will give you

I do not mean that English people are not nice. They are!
But every French person who comes to London is deeply convinced that he or she understands English. I was, too. And, in a way, it is true. As long as nobody starts talking to you.
So, when you’re lost, you do not act as if there was no such thing as a smartphone. But curiously, sometimes, especially in French schools, we pretend that this digital revolution does not apply to us.
This is quite strange actually. I mean, this is a revolution, right? And what are French people famous for? What do we love so much?
Revolutions !
In this domain, we have quite a “savoir-faire”. It is a true fact. You can Wikipedia that, if you do not believe me.
Yes, we like revolutions!
So there is no reason for a digital one to be an exception. And, in a way, we have no choice.
Why? Because most of our students today are digital natives. Or, to be more precise, they think they are. And many people think that too.
I do not. I think that the very phrase “digital natives” is misleading. Far from helping us to analyse the situation, it might lead us astray. Because we may think, “well, they are digital natives, we have nothing to teach them”.

But the very fact that they know how to use a computer, a smartphone, or the internet, does not mean that they have a real knowledge about this.

Most of us have lived, since our birth, in a place with a door. We are, in a way, “Door Natives”. But that does not mean we know how to build a door. Or even how a door is built.
There is only one thing we know: how to use it. And the same is going on with most of our students. They do know how to use a computer. How to use Google. But most of them do not know how it works.
This is why the digital revolution cannot be considered as a mere question of technologies and equipment. It needs to be seen as a whole.
E-Éducation is not about how many computers you want in a classroom. It is about what we want to do with them.

This is why the global plan we are currently working on in France is not only important. It is a necessity.

And here ends the English part of my speech. Don’t worry, an English translation will be made. You will not have to wait too long to know what is going on after this cliff-hanger: why is it a necessity? What are the details and the logic of our global plan for e-Education?
You will have the answers, in fifteen minutes.

Voilà pourquoi – disais-je – nous avons besoin d’un plan ambitieux dans le domaine du numérique.
Je l’ai dit, il n’est pas dans l’habitude de la France de passer à côté des révolutions. Aussi, vous pouvez être assurés que nous ne raterons pas celle-ci.

Autrement nous courons un grand risque : celui de voir s’accroître un fossé entre, d’une part, le monde dans lequel vivent nos élèves, et, d’autre part, l’École.

L’École, nous le savons, est un lieu singulier. Elle est à la fois ancrée dans nos sociétés, et en même temps elle instaure, par rapport au présent, une nécessaire distance.

Une distance qui est celle du savoir, de la connaissance, de la culture. Une distance qui est celle nécessaire pour forger du sens : c’est une prise de recul, à bien des égards salutaire, tant que les liens ne sont pas rompus avec la société qui l’environne.

Il existe, en effet, une différence fondamentale entre la distance et la rupture. En ne s’emparant pas du numérique, en ne l’intégrant pas suffisamment, l’École, d’une certaine façon, prive nos élèves de ressources précieuses : celles du savoir. Celles du sens.

Nous nous retrouvons alors dans une situation paradoxale : nos élèves sont sans cesse confrontés à internet, confrontés à des médias en ligne, à des vidéos, et nous ne leur apprenons pas à cesser d’être des usagers passifs pour devenir des acteurs.

Nous mettons l’accent, à juste titre, sur la maîtrise de la langue, de la lecture, des mathématiques, de l’histoire et de nombreuses autres disciplines qui sont autant de repères essentiels pour leur avenir.

Mais ils ne deviennent pas maîtres des pratiques qui façonnent leur quotidien. Et ils ont, le plus souvent, un rapport « magique » avec l’informatique.

Voilà pourquoi mon ambition numérique pour l’École repose sur des changements importants.

J’ai commencé à les mettre en œuvre à travers la réforme des programmes scolaires. Ceux-ci incluent désormais l’apprentissage du code, de l’informatique, et l’éducation aux médias et à l’information. Celle-ci met en place un rapport raisonné à internet : l’élève ne subit plus. Il devient acteur.

Ainsi, à la fin du cycle 4, chaque élève doit savoir que des langages informatiques sont utilisés pour programmer des outils numériques et réaliser des traitements automatiques de données. Il doit connaître les principes de base de l’algorithmique et de la conception des programmes informatiques, et les mettre en œuvre pour créer des applications simples.

Il acquiert ainsi, dans ce domaine, non seulement des compétences, mais des connaissances. Car le numérique est aussi pour nos élèves le marchepied pour la société de la connaissance dont l’Europe faisait son projet il y a plus de 20 ans et qui est aujourd’hui une réalité !

De nombreux métiers nécessitent et nécessiteront davantage encore demain la maîtrise des outils numériques.

Surtout, il y a, en France et dans le monde, d’immenses opportunités et des sources d’innovation encore insoupçonnées. Ce salon en est la preuve.

Si vous aviez parlé de la e-Éducation en France il y a une dizaine d’années, personne ne vous aurait écouté. Ou vous auriez eu des prédictions analogues à celle que l’on rencontre dans un rapport parlementaire de 1994 qui nous annonce, très sérieusement, qu’internet et le commerce en ligne n’ont aucun avenir. Je cite : « ce réseau [est] mal adapté à la fourniture des services commerciaux. »
Je crois qu’il est urgent de prévenir tout le monde, et Amazon en particulier.

Mais revenons à la e-Éducation. Regardez autour de vous. C’est impressionnant. Très impressionnant. Mais essayez d’imaginer un instant à quoi pouvait ressembler la première édition, en 1985. Une année qui fut, en France, celle du déploiement du plan « informatique pour tous ».
En France, comme en Angleterre, émergeait la conscience de l’importance de l’ordinateur dans le domaine scolaire. Et pourtant.
Fallait-il y croire pour être là, dès le début, en 1985 !
Fallait-il y croire pour penser qu’une industrie qui commençait à peine à se relever du premier Krach des jeux vidéo allait se déployer avec succès dans le domaine de la « e-Éducation » !

Il est donc de notre responsabilité de donner à nos élèves les moyens de s’emparer des opportunités futures. Leur donner des bases de codage, c’est leur offrir la possibilité de s’orienter vers des marchés extrêmement porteurs aujourd’hui, et à l’avenir.

Et en évoquant l’avenir, je tiens à m’adresser tout particulièrement à la filière française en e-Éducation.

Rassurez-vous, ce passage ne sera pas traduit. Nous sommes entre nous ! Je plaisante, naturellement.

Je salue la filière française, présente sur ce salon avec le stand France, dont le ministère de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche est partenaire, aux côtés de Business France, de Cap Digital et de l’AFINEF.

Oui, nous sommes avec vous, car nous connaissons le savoir-faire français dans le domaine du numérique. Nous avons non seulement des entreprises qui brillent dans le domaine des objets connectés, mais aussi, plus largement, un succès de la French Tech, qui s’est encore illustrée par sa présence au CES de Las Vegas la semaine dernière.

Vous qui entreprenez, vous qui innovez dans le domaine de l’e-Éducation, soyez assurés de notre soutien. C’est un axe fort de la politique gouvernementale, et j’en profite pour saluer le travail que nous menons en lien avec le secrétariat d’Etat au numérique et avec Axelle Lemaire.

Votre rôle est d’autant plus essentiel que notre ambition numérique ne s’arrête pas aux programmes scolaires : elle s’organise autour d’un plan cohérent, pour la réussite duquel nous avons besoin de vous.

La stratégie française d’investissement dans la « e-Éducation » est le premier plan d’investissement public à l’heure actuelle en Europe.

Certains, de ce côté de la manche, et surtout de l’autre côté de l’Atlantique, y verront simplement la tradition d’un Etat socialiste interventionniste.
J’y vois, pour ma part, l’ambition de la République pour sa jeunesse et pour son avenir.

Cette stratégie repose sur quatre piliers : la formation ; les ressources ; l’équipement ; et l’innovation.

Pourquoi la formation ? Car le plan numérique à l’école n’a de sens que si les enseignants sont formés. Ils sont au cœur du plan, et en deviendront ainsi les acteurs.

Si l’intégration du numérique ne se fait pas par eux, alors les équipements cessent d’être des outils, pour devenir des gadgets. Ce sont eux qui vont donner du sens aux outils numériques, en les intégrant harmonieusement à leurs cours et en faisant évoluer leurs pratiques pédagogiques.

La formation au numérique est donc à la fois initiale et continue.

Initiale, lorsqu’elle se déploie dans les Écoles Supérieures du Professorat et de l’Enseignement.

Continue, et cela dès aujourd’hui, avec, par exemple, le dispositif M@gistère. 46 programmes de formations en ligne sont déjà disponibles, et près de 252 000 enseignants les utilisent déjà. Et de nouveaux programmes et des Moocs seront créés pour accompagner le déploiement du plan numérique.

J’ai aussi voulu qu’à la rentrée prochaine chaque enseignant suive trois jours de formation dédiés au numérique.

Car l’Histoire nous apprend une chose essentielle : le changement s’accomplit toujours avec l’appui de ceux qu’il concerne. La révolution ne se décrète pas : elle vient nécessairement du terrain.

Cette formation n’a cependant de sens que si nous développons, pour nos enseignants, des ressources innovantes. C’est le second pilier de notre stratégie.

Ces ressources seront bien sûr au service des enseignements introduits dans tous les nouveaux programmes, comme l’apprentissage de l’informatique et du code, ou l’Éducation aux Médias et à l’Information.

Mais elles seront aussi intégrées à l’enseignement de disciplines plus traditionnelles. Ces ressources ont d’ailleurs déjà commencé à faire leurs preuves. L’enquête PISA montre ainsi que le numérique a des effets positifs sur l’apprentissage de la lecture ou sur la résolution des problèmes de mathématique.
Parce qu’il est d’ordinaire réservé, dans la vie d’un jeune, à ce qui n’est pas l’école, le numérique mobilise différemment l’attention des élèves. Les pratiques numériques, en les rendant plus actifs, renforcent leur motivation et l’ancrage mémoriel.

Le numérique améliore aussi l’image que les jeunes se font d’eux-mêmes, en convoquant leurs compétences et en les valorisant.

Ainsi s’établit, entre le savoir enseigné et la vie de l’élève, une relation féconde, sans laquelle rien de solide ne peut s’édifier.

Et je n’ignore pas, s’agissant de l’enquête PISA, qu’elle contient aussi quelques réserves, notamment sur les méfaits d’une utilisation qui ne s’appuierait pas sur un projet pédagogique solide.

Mais je n’y vois nullement la preuve d’une inefficacité du numérique. J’y vois des marges de progression, que nous nous sommes justement efforcés d’exploiter en appuyant notre stratégie d’abord sur la formation et les ressources pédagogiques.
Ce n’est qu’ensuite qu’intervient le troisième pilier : les équipements.

Ceux-ci, j’insiste sur ce point, n’ont pas de sens sans la formation et les ressources. Ce sont des outils pour les enseignants et les élèves.
Surtout, ces équipements ne sont pas cantonnés à la salle de classe. Nous investissons sur des équipements individuels mobiles, car tout l’enjeu est d’instaurer une continuité des usages, dans la classe et en dehors de la classe.

Ainsi s’étendent et se renforcent les liens entre l’École et les élèves : les écrans, loin de détourner nos jeunes de l’École, les y ramènent !

Vous le voyez, notre stratégie d’investissement est d’abord au service d’une vraie transformation des pratiques enseignantes, avec à la fois un accompagnement en formation, et en ressources pédagogiques.

Le numérique n’a pas vocation à se substituer, ni aux professeurs, ni aux élèves. Au contraire, il renforce ce qui fait le sens et la mission de notre École : former des citoyens instruits, autonomes, qui sauront non seulement vivre dans la société d’aujourd’hui, mais façonner celle de demain.
Et pour cette raison, le dernier pilier de notre plan est un mot que vous connaissez bien.
Un mot qui est au cœur de vos métiers.
L’innovation.

Cette innovation, j’ai souhaité qu’elle s’appuie sur des partenariats entre des équipes de recherche et des entreprises, pour que continuent à se transformer nos façons d’enseigner et d’apprendre.
30 millions d’euros ont ainsi été attribués au programme E-Fran qui doit identifier de nouvelles pratiques, et mettre en place un accompagnement scientifique solide pour les évaluer et les diffuser.

Ce programme développera des territoires d’innovation numérique qui seront innervés par la recherche en sciences de l’éducation et une évaluation universitaire.

Le ministère contribue également à la mise en place d’incubateurs académiques pour faciliter le développement de projets locaux.
J’ai, à ce sujet, demandé qu’un nouvel appel à projet du commissariat général à l’investissement pour les services mobiles innovants soit mis en place, et j’ai fait créer l’observatoire des incubateurs académiques par la direction du numérique.

J’en profite pour le signaler : cette direction du numérique, je l’ai instaurée en 2014 au sein de mon ministère.

Ma conviction est claire : l’Éducation Nationale ne peut, aujourd’hui, faire l’économie du numérique. La e-Éducation est plus que l’avenir de l’École : elle en est le présent.
Mais si l’École évolue, le ministère qui en a la charge doit également changer. L’inverse serait étonnant. Pourquoi l’innovation s’arrêterait-elle aux portes de l’administration ?

Je vous annonce donc que nous poursuivons la modernisation numérique de l’administration du Ministère de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Nous lançons ainsi un service numérique unique en Europe : le service d’attestation numérique de tout diplôme national du secondaire et du supérieur, et ce, dans le courant de l’année 2016.

Nous allons construire avec nos partenaires un outil essentiel pour les jeunes actifs. Ce service leur permettra, en toute confiance, de transmettre leur attestation à une administration ou à un recruteur.

Ainsi les démarches seront facilitées, les processus de recrutement dynamisés, et nous pourrons lutter plus efficacement contre la fraude !

C’est, vous le voyez, un premier pas important sur la voie de la modernisation administrative. Et il y en aura bien d’autres !

Lorsque l’on a un outil aussi formidable que le numérique, il serait étrange de s’en passer. Je pense que tout le monde, ici, en conviendra.

Ainsi s’instaure, autour du numérique, une nouvelle entente cordiale entre nos deux pays, la France et l’Angleterre.

And since I was talking about our fellow Englishwomen and Englishmen, I will conclude my speech in English.
Digital technology should be considered as a support and certainly not a substitute for teachers.

Digital tools and services enable teachers to spend more time concentrating on teaching and to leverage their impact.

So there is no need to fear a future Skynet, or HAL, for those who prefer Stanley Kubrick to James Cameron.

But I think that the most important point is that we are on the verge of a great change. We are facing numerous opportunities, and we have to seize them.
This is actually quite exciting!

And it is not the first time that something like that happens. It also happened in the past, and it was one of the most important revolutions of our history.
And I’m not talking about the French Revolution. Nor the English one.
I am talking about the discovery of the Printing Press by Gutenberg.
This is where we are now.

And “to be aware of what we are going through”, to use David Bowie’s word in Changes, is precisely what is at stake here.
So, let’s change things, let’s invent, let’s invest.
The best things in e-Éducation are still to come, and we will be ready to welcome them!
Thank you very much!

Najat Vallaud-Belkacem,
ministre de l’Éducation nationale,
de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

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