« Il est temps de faire campagne ! » – Entretien pour Libération

Presse À la une Publié le 7 février 2017

Najat Vallaud-Belkacem a accordé un entretien à Libération, publié ce mardi 7 février 2017. La ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche appelle sa famille politique à entrer en campagne derrière Benoît Hamon.

Le week-end politique a été chargé : à Lyon, Le Pen a présenté son programme, Macron a fait une nouvelle démonstration de force, Mélenchon a réuni du monde. A Paris, Hamon a été investi candidat. Lequel de ces événements faut-il retenir ?

La convention d’investiture de Benoît Hamon. Mais je vous le dis, à un moment il va falloir sortir de l’unique commentaire sur la fréquentation des meetings. Les Français s’intéressent à la politique, ils sont curieux, ils répondent présents, et c’est très bien. Mais c’est trop souvent la seule grille de lecture alors que ce week-end, on est vraiment entrés dans le temps de la campagne présidentielle, du débat, de la confrontation, et donc de la comparaison des projets. Incontestablement, la dynamique était du côté de Benoît Hamon et j’ai même été surprise par l’absence de propositions nouvelles chez les autres orateurs. Marine Le Pen, qui a l’air complètement hypnotisée par Trump, dissimule désormais les points les plus brutaux de son projet : certes, elle propose de constitutionnaliser la préférence nationale, mais exit la peine de mort, la sortie de l’euro ou la scolarisation payante des enfants étrangers…

Quid de Mélenchon et de Macron ?

Mélenchon est un bon orateur, on le sait. Mais il donne l’impression de s’enfermer dans une contestation solitaire du reste du monde. Quant à Macron, j’ai eu le sentiment qu’il nous parlait de la France des années 70 et que son affaire patinait un peu. Qu’il n’arrive pas à produire de projet en dit long sur l’impasse de son aventure. Entre les gens de gauche et ceux de droite qui le soutiennent, il y a un monde. Et quand il sortira de l’ambiguïté, il créera de nombreux mécontents.

Les Français n’ont pas l’air de lui en tenir rigueur, et même de se tourner vers lui au-delà de son absence de programme…

Mon sentiment c’est qu’il a mangé son pain blanc. Il a bénéficié d’une période où il n’y avait pas de candidat socialiste désigné : il ne pouvait qu’apparaître séduisant comparé à la droite de Fillon. Mais maintenant, on va pouvoir entrer dans le dur avec une vraie alternative de gauche portée par Benoît Hamon. Quand Macron dit qu’il veut supprimer en partie l’ISF, à quelles dépenses publiques renonce-t-il ? Ménager la chèvre et le chou ne tient qu’un temps. On ne peut pas dire plus de libéralisme et plus de protection. La campagne va le contraindre à parler clairement.

Benoît Hamon et sa «gauche de gauche», le bon candidat pour contrer Macron ?

Chacun le sait, je suis la première à défendre ce quinquennat et, lors de la primaire, j’ai apporté mon soutien à Manuel Valls considérant qu’une fois François Hollande retiré de la compétition, c’était lui le leader naturel de la gauche de gouvernement. A partir du moment où Benoît Hamon a été largement désigné et qu’on s’engage dans autre chose, il faut dépasser les caricatures de la primaire. Non, Benoît n’est pas le doux rêveur que certains ont décrit. C’est quelqu’un qui a exercé des responsabilités durant ce quinquennat et qui a fait adopter des textes intéressants quand il était en charge de l’Economie sociale et solidaire. Il sait ce qu’est le dialogue social, il connaît la nécessité de trouver des équilibres, il a conscience qu’un budget doit être tenu, etc. Ses propositions durant la primaire ont suscité un engouement réel auprès des électeurs. Il a su dessiner une lecture du monde – en particulier du travail, mais aussi du défi écologique – qui a fait écho chez beaucoup de gens. C’est une chance pour le Parti socialiste de se ressourcer et d’écrire une nouvelle page. Voila pourquoi j’étais à la Mutualité, avec lui, prête à mener le combat.

Le «futur désirable» de Hamon fait penser au «désir d’avenir» de Royal en 2007. Il y a dix ans, le rassemblement de la famille n’avait pas été au rendez-vous, le sera-t-il davantage cette fois ?

Je fais souvent cette analogie. C’est aussi ce qui dicte mon comportement : j’ai un souvenir vivace de la convention d’investiture de Ségolène Royal en 2007 et des très mauvaises manières qui lui furent faites. Il serait mortifère de reproduire cela. La seule question que chacun doit se poser, c’est comment se rendre utile. La gauche doit être au rendez-vous de 2017. Il est temps de faire campagne !

Vous avez quand même du mal à reconnaître que le bilan du quinquennat est forcément un boulet pour le candidat…

Dans une campagne présidentielle, un bilan, aussi bon soit-il, et celui-là l’est, ne suffit pas. L’enjeu, tout en prenant appui sur le bilan, ses acquis, ses progrès, c’est la capacité à se projeter, à rendre notre option politique désirable, à convaincre. C’est ce qu’a entrepris Benoît Hamon et qu’il s’agit d’intensifier.

Comment appréhendez-vous cette campagne ?

J’ai passé les trois dernières années à me débattre contre des approximations et des mensonges, des procès d’intention sur des réformes imaginaires, comme le supposé apprentissage obligatoire de l’arabe en CP ou la prétendue réforme de l’orthographe. L’avantage d’une campagne présidentielle, c’est qu’enfin les projets de société des uns et des autres apparaissent en plein jour. A chaque réforme que nous avons menée pour mieux prendre en compte la diversité des élèves (le dispositif «plus de maîtres que de classes», par exemple), l’opposition nous taclait : «Vous nivelez par le bas, c’est scandaleux.» Maintenant qu’ils dévoilent leurs programmes, tout est clair : leur solution pour «élever le niveau du système scolaire», partagée d’ailleurs par la droite et l’extrême droite, c’est de se débarrasser d’une partie des élèves le plus tôt possible. Marine Le Pen veut sélectionner les enfants dès l’âge de 12 ans avec son «collège différencié». Voilà donc comment ils valorisent l’enseignement professionnel, en en faisant une voie de relégation pour les élèves en échec ! Oui, la confrontation des projets aura du bon et j’ai hâte que nous ayons ce débat de fond.

Que pensez-vous du programme de Benoît Hamon en éducation ?

Je suis aussi en train de rédiger mes propositions pour l’enrichir. Avec notamment la réforme de l’éducation prioritaire pour les lycées, que je n’ai pas eu le temps de mener. Mais aussi cette idée à laquelle je tiens, d’étendre la scolarité obligatoire dès 3 ans et jusqu’à 18 ans [au lieu de 16 ans aujourd’hui, ndlr]. Par ailleurs, je pense que nous devons concentrer nos efforts sur l’enseignement supérieur et la recherche.

Vous ne touchez donc plus au primaire ni au secondaire ?

Les réformes ont été faites pour l’école et le collège. Il faudra continuer à créer des postes et améliorer la formation continue des enseignants. Aller plus loin sur la question de la mixité sociale. Pour le lycée, il faudra tirer le bilan de la réforme de 2010 et améliorer le passage du lycée à l’enseignement supérieur. Pour le reste, je pense en effet que le prochain quinquennat doit donner la priorité au supérieur et à la recherche car l’objectif d’amener 60 % d’une classe d’âge à en être diplômée nécessite des moyens importants

Si Hamon l’emporte en mai, vous rempilez à l’Éducation nationale ?

Vous décidez rarement de ces choses-là, mais oui, le meilleur service à rendre à l’Éducation nationale, au-delà des personnes, serait de lui consacrer un ministre durable qui conduise une politique cohérente sur le long terme car l’école, c’est du long terme [lire ci-contre, ndlr]. Ce qui fait le plus de mal à ce ministère, ce sont les va-et-vient, les retournements de situation permanents, qui ont désespéré les professeurs eux-mêmes. Ils ne sont pas rétifs à la réforme, mais ils exècrent ces allers-retours où on leur fait faire des choses pour leur expliquer cinq ans plus tard que c’est exactement le contraire qu’il fallait faire.

Et si la défaite est au rendez-vous en 2017 ?

Quoi qu’il arrive, je serai candidate aux législatives à Villeurbanne [Rhône]. Pour décrire mon état d’esprit, j’ai envie de vous lire un texte que Michael Moore a publié au lendemain de la victoire de Trump. Il s’est adressé aux élus démocrates et leur a écrit : «Les représentants démocrates au Congrès qui ne se sont pas réveillés ce matin avec une furieuse envie de résister en entravant le programme des républicains doivent éviter de mettre des bâtons dans les roues à ceux qui savent ce qu’il faut faire pour empêcher le triomphe de la mesquinerie et le délire qui s’annonce.» Ce qu’il dit, je le prends pour nous, la gauche. Si malgré tout la droite devait gagner la présidentielle, il faudrait alors des parlementaires engagés pour résister à chaque instant contre la casse sociale programmée.

Le mois prochain, vous publiez une autobiographie alors que vous avez toujours séparé sphères privée et professionnelle…

L’idée d’un livre m’est venue cet été, au lendemain de l’attentat de Nice. J’ai vu une vidéo de Marion Maréchal-Le Pen sur les réseaux sociaux. Elle expliquait qu’il y avait d’un côté les Français et de l’autre «les Français de papier» et qu’il fallait désormais choisir son camp dans ce qu’elle qualifiait de «guerre mondiale». C’était très brutal et ça n’a pas dérangé grand monde. J’ai ressenti personnellement cette violence et j’ai pris mes responsabilités. Je me suis mise à écrire ce que je suis, dans un mélange de récit personnel et de réflexion politique. Ce travail de dévoilement n’était pas une évidence pour moi parce que pendant longtemps, j’ai refusé de mélanger les sphères et que j’ai tout fait pour éviter d’être ces étiquettes dans lesquelles on voulait me cantonner : la voix des banlieues, de l’immigration, de la «diversité». Aujourd’hui, je comprends mieux que, la nature ayant horreur du vide, si la diversité fait silence elle se fond dans le grand moule, et le récit de la France que j’aime, ouverte, multiple, disparaît au profit du seul discours de rabougrissement.

 


Propos recueillis par Marie Piquemal, Rachid Laïreche et Jonathan Bouchet-Petersen, pour Libération. Photo © Frédéric Stucin pour Libération.
Lire l’interview sur le site de Libération.

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3 commentaires sur « Il est temps de faire campagne ! » – Entretien pour Libération

  1. Tonnevy

    Madame la ministre,
    Je vous souhaite bon courage pour ce soir , face à Madame Le Pen.
    Je suis inspectrice Éducation nationale. Je vous remercie infiniment pour le travail réalisé pour les enfants qui nous sont confiés.
    Nous travaillons tous beaucoup et apprécions le sens que vous avez su donner à notre mission.

    B.Tonnevy

  2. LANCIEN Dominique

    Merci Najat.En plus de Votre Droiture et Votre Efficacité, Vous êtes également une Extraordinaire Source d’Inspiration.

  3. Desmazieres

    pensez-vous sincèrement que nous avons encore le cœur à faire campagne !
    Réalisez-vous à quel point la situation des français et compliquée avec tous ce que l’on découvre de droite et gauche ! lorsque l’on entend des chiffres exorbitant sachant qu’il nous faudra encore et encore se privé pour manger ou autre !
    Alors si vous pouviez faire passer un message à tous nos politiciens qu’ils essayent de vivre avec 1000€ par mois et âpre on discute sans problème

    cordialement

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