Ne jouons pas la démocratie à la roulette russe – Entretien pour Libération

Presse Publié le 3 mai 2017

La ministre de l’Education, Najat Vallaud-Belkacem, qui s’est engagée en politique après le 21 avril 2002, appelle la gauche à mettre de côté les divisions pour se mobiliser contre le Front national.

Alors que le front républicain semble avoir vécu, la ministre de l’Education, Najat Vallaud-Belkacem, exhorte la gauche à ne pas se tromper de combat et à faire barrage de façon inconditionnelle à Marine Le Pen.

Pourquoi prendre la parole maintenant ?

Comme le disait Albert Camus, «il est des moments où l’enjeu n’est pas de refaire le monde mais d’empêcher qu’il ne se défasse». Jamais Marine Le Pen n’a été aussi proche de la victoire, non pas d’abord par adhésion, mais du fait de la démobilisation de beaucoup d’électeurs. Il est indispensable de sonner la mobilisation générale pour lui faire barrage, car le danger existe.

La fin de l’automaticité du vote anti-FN n’est pas une nouveauté dans une partie de la droite, mais à gauche aussi, cette tendance a progressé…

Je comprends qu’on puisse se sentir orphelin au soir du premier tour, mais je suis surprise que certains à gauche tergiversent alors qu’il s’agit de barrer la route au FN. Entre Macron et Le Pen, la question ne doit même pas se poser. Lui est républicain, lui est démocrate, lui est de bonne volonté. Et en face, on a une candidate d’extrême droite dont le programme est incompatible avec la République, avec la démocratie et avec certaines libertés fondamentales. Le seul choix, c’est de voter massivement Macron. Non par adhésion pleine et entière ou pour lui signer un chèque en blanc, mais pour que le score de Le Pen soit le plus faible possible. C’est un enjeu. Ne pas voter contre le FN avec les meilleures intentions du monde, ça reste ne pas voter contre le FN.

Quand vous rencontrez des électeurs de Mélenchon, que vous disent-ils ?

Les plus sévères, si je caricature un peu, me disent qu’élire Macron en 2017, c’est avoir Le Pen en 2022. Ce raisonnement m’estomaque. Il faudrait donc préférer prendre le risque de laisser le FN accéder au pouvoir dès maintenant (ou faire un score très élevé) pour mieux éviter qu’il ne l’obtienne dans cinq ans ? Ce n’est pas un raisonnement, c’est en réalité un cri de colère. Aux électeurs qui doutent, je dis qu’il s’agit d’élire le gardien de nos institutions et que l’enjeu, c’est justement que perdure la possibilité de s’opposer et de débattre dans un cadre démocratique. Une victoire du FN ne serait pas une «rupture», mais une disparition de ce cadre.

Pour de plus en plus d’électeurs, notamment les plus jeunes, le libéralisme apparaît comme un péril plus évident que le nationalisme…

Mon sentiment surtout, et c’est une différence majeure avec 2002, c’est que des digues politiques et culturelles entre le champ républicain et le FN n’ont cessé de sauter ces dernières années. Et le «ni-ni» prôné par certains lors des élections intermédiaires n’y est évidemment pas pour rien. Ajoutez à cela que la campagne qu’on vient de vivre a énormément alimenté le discours «anti-système» et la tentation de détruire tout ce qui existe. Alors oui, certains repères sont brouillés. C’est vrai pour notre génération, encore plus chez les plus jeunes. C’est pour cela que nous sommes dans une zone de danger absolu. Ne jouons pas la démocratie à la roulette russe.

Macron semble arc-bouté sur son programme, notamment sa volonté de réformer encore le droit du travail en légiférant par ordonnances. Doit-il donner des gages à la gauche avant le second tour ?

Face à Le Pen, ces questions légitimes ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. Son positionnement durant l’entre-deux-tours, c’est sa liberté et sa responsabilité pour l’après, mais ce n’est pas ce qui doit déterminer de s’opposer ou non au FN. Le vote doit être inconditionnel. Il sera temps, dès le 8 mai, de se démarquer des réformes qui ne nous semblent pas aller dans le bon sens. Au fond, plus les électeurs de gauche seront nombreux à faire barrage à l’extrême droite, moins Macron sera le propriétaire exclusif de sa victoire.

Macron à l’Elysée, Hamon sera dans l’opposition et Valls se rêve dans la majorité. Et vous ?

S’il est élu, le 7 mai au soir, je souhaite sincèrement à Macron de réussir son mandat et d’y porter des progrès pour le pays car c’est la seule chose qui m’importe. Me concernant, je ne refuserai jamais de soutenir une politique publique de gauche et je m’opposerai toujours à ce qui heurte mes convictions.

Macron se pose en candidat de la «bienveillance». Ce sera votre état d’esprit dans l’opposition ?

Je ne le dirais pas ainsi. A partir du 8 mai c’est une nouvelle histoire. Pas seulement vis-à-vis de Macron, mais aussi pour notre famille politique. Je ne fais pas partie de ceux qui disent que le PS est mort. Je veux continuer à le voir exister, reprendre son souffle et son envol. Nous devons travailler sérieusement, modestement, pour convaincre sur nos idées et rénover le parti. C’est ce que j’ai envie de porter demain. Il y a des milliers d’idées qu’on ne peut pas laisser dans la grange. Et des milliers de querelles stériles et de petites avanies à jeter par-dessus bord.

En 2002, vous avez adhéré au PS après le 21 avril… Si vous aviez 25 ans aujourd’hui, où vous engageriez-vous ?

Franchement, aujourd’hui, face au spectacle désolant donné par une bonne part de la classe politique, je ne m’engagerais sans doute pas en politique. Et j’aurais tort, car cette présidentielle montre précisément combien nous avons besoin de politique pour faire société.


Propos recueillis par Rachid Laïreche , Jonathan Bouchet-Petersen, Chef adjoint du service France pour Libération.

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Un commentaire sur Ne jouons pas la démocratie à la roulette russe – Entretien pour Libération

  1. Hassan

    De par le monde des natures et des hommes comprenant le plus souvent, et fort heureusement, des valeurs à la fois uniques et différentes, communes et tolérantes, fondamentales et renaissantes, les pages instructives de l’histoire évolutive et universelle, tissant, (sans tabou des mesures et des élans démocratiques, culturels et pacifiques), à tout un)e chacun)e, des lois civiles et solidaires parmi des choix existentiels, novateurs et altruistes, invitent, dirigent et font entendre, justement, le plus souvent, les concepts indispensables et démocratiques à réunir, à composer, à défendre, la réalité émancipée d’un ensemble conscient et responsable vis à vis de tout ce qui ne peut plus ne pas exister, depuis l’espace généreux d’une diversité des natures jusque la reconnaissance du droit, des droits même, car (ne) sont-ils tous légitimement humains, principalement communs, et manifestement citoyens, et, mais, aussi, sans cruelle philosophie, sans moindre démagogie, demeurent-ils tous bien relatifs et attachés à l’autre, aux autres même…

    Par ailleurs, au fil ou aux plages des langages qui demeurent invariablement multiples et rassemblés à leurs usages, à leurs espèces, presque comme sans réponse différente d’intervalle au style qu’ils partagent et/ou nourrissent mémorablement, soutenir la démocratie, en mode 2.0, cela n’a rien de vraiment traditionnelle, d’irréel, ni même de chimérique, mais rien d’incompatible ou de fortuit non plus, la puissance “électronique” étant devenue, à l’âge des sciences et à force des progrès, le guide approprié, l’image incontournable ou le réalisme équilibré des développements de bien tant d’autres, …, …, sept mai deux mille dix-sept, il semblerait que les langages, les usages, les partages, des couleurs et/ou des humeurs démocratiques, aient pris l’air d’un âge moins complexe ou l’idée d’une page plus réciproque à la valeur injouable des êtres et d’un ensemble estimable.

    Bien à Vous.

    Merci.

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