Mieux répartir la charge parentale: ce que peut faire l’entreprise

On a enfin, en ce 8 mars 2019, atteint les 75% de personnes qui à travers le monde admettent qu’un homme qui s’occupe de ses enfants n’a pas à en rougir[1]. Il en aura fallu du temps… Dommage que la réalité du monde du travail nous raconte une toute autre histoire, qu’il eût d’ailleurs été bien utile d’objectiver à travers le nouvel index du gouvernement sur l’égalité professionnelle. Une histoire dans laquelle la maternité est toujours, et partout, synonyme d’amoindrissement professionnel pour les femmes, et pour elles seules, au point qu’en moyenne la différence de salaire entre une femme sans enfant et une femme avec enfant se situe aux alentours de 60% aujourd’hui, dans un pays comme l’Allemagne…

Cet amoindrissement n’attend d’ailleurs même pas que la grossesse se déclare, ni même qu’elle existe. En France, selon le Défenseur des Droits, le sexe serait, plus encore que l’origine , le principal critère d’exclusion du marché du travail, tant la possibilité d’une maternité, « et donc d’un congé maternité » est perçue comme un risque – ; Il s’étend bien au-delà du dit-congé – en moyenne, l’écart de salaire entre une employée américaine et son collègue masculin atteindra son maximum à l’âge où son premier enfant célèbrera ses 6 ans- ; et il ne s’arrêtera en réalité jamais tout à fait, moins de cotisations engendrant bien sûr moins de droits à la retraite.

Partout le même engrenage implacable qui ne dit jamais son nom :  au retour de son congé maternité, on a supposé la nouvelle mère moins dévouée à son travail qu’auparavant, elle s’est donc vue proposer moins d’opportunités et gravir moins d’échelons. Ironie du sort, l’homme qui devient père est au contraire considéré comme bien plus investi dans l’entreprise. Les préjugés inconscients, dans l’autre sens cette fois-ci, jouant là encore à plein : « Il n’aura d’autre choix que d’être plus dévoué encore, maintenant qu’il a toute une famille à charge»…. Il y aurait de quoi sourire …jaune : c’est donc au moment où cette « famille à charge » aurait besoin de lui, qu’on se met à confier à l’heureux père plus de missions, d’heures de travail, de responsabilités, et donc de raisons de se tenir loin d’elle ?

La maternité est partout synonyme d’amoindrissement professionnel des femmes

Les entreprises doivent aider les pères à jouer leur rôle

Si encore cela rendait ce dernier heureux, on pourrait au moins se réjouir pour lui. Que nenni : les études montrent par exemple que le moindre investissement d’un père dans les premiers âges de son enfant minore considérablement ses chances, lorsqu’une séparation du couple survient, de conserver des liens durables avec lui au fil de sa vie. Les statistiques sont suffisamment sévères, et les séparations suffisamment nombreuses pour qu’elles poussent chaque homme à se demander ce qu’il veut et à peser le poids de ses « choix d’investissement en temps ».

Rendre la charge parentale plus équitable entre les deux parents est une condition sine qua non de l’égalité professionnelle, mais aussi du bien-être personnel et sociétal. Oui, les pouvoirs publics ont un rôle important à jouer en la matière. Et non, ils ne sont pas les seuls à pouvoir le faire. Dans cette ère où les citoyens sont à l’égard des pouvoirs publics dans une grande ambivalence, partagés entre exigence que ces derniers résolvent leurs problèmes et irritation devant des mesures contraignantes et vécues comme intrusives, l’entreprise peut ici jouer un rôle particulièrement précieux :  celui d’un « tiers de confiance » qui crée les conditions concrètes du progrès pour les femmes et les hommes qui la font vivre.

Un tiers de confiance qui, non content de veiller à ne pas pénaliser les femmes et leur grossesses réelles ou supposées, permette aux hommes de s’affranchir du rôle genré du père de famille dont la principale contribution auprès de ses enfants est la feuille de paie. Les exemples de mesures ne manquent pas : régulariser la pratique du télétravail pour les parents de jeunes enfants, faciliter la prise de congés parentaux désormais prévus par la loi par les hommes, créer des crèches sur le lieu de travail pour les entreprises qui ont le plus de moyens, lutter contre les préjugés liés au genre partout où ils se trouvent…

Bref, et si, au lieu de conforter les inégalités entre hommes et femmes, le monde du travail se mettait à les résorber véritablement ?


[1] Sondage annuel Ipsos Global Advisor pour International Women’s Day, 2019. Echantillon représentatif de 18 800 personnes âgées de 18 à 64 ans dans 27 pays.

Cet article est paru à l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes le 8 mars 2019 dans Les Echos