Najat Vallaud-Belkacem : « L’avenir de la lutte contre le sida se joue le 19 septembre »

ONE Santé Publié le 6 septembre 2022

Carte blanche – L’ancienne ministre de l’Education nationale, aujourd’hui directrice France de l’ONG One, nous alerte sur les enjeux de la prochaine réunion du Fonds mondial : les pays donateurs doivent se mobiliser sous peine de voir rebondir l’épidémie.

Depuis sa découverte en 1983, le VIH a infecté plus de 65 millions de personnes et près de 40 millions de personnes sont décédées des suites du sida. Face à cette véritable « catastrophe sanitaire mondiale » comme la définit l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), les progrès de la recherche médicale permis par des investissements colossaux ont entraîné une petite révolution dans la prise en charge de la maladie.

Désormais, avec un traitement efficace, les personnes séropositives ne transmettent plus le VIH et les personnes qui bénéficient d’un traitement peuvent espérer mener une vie normale avec une espérance de vie équivalente aux personnes séronégatives. On prévient, et on soigne mieux donc, une maladie qu’on ne parvient pas encore à guérir et contre laquelle on ne peut toujours pas se vacciner.

Pourtant, malgré ces avancées, après quarante ans de lutte contre le sida, l’habitude, quand ce n’est pas la lassitude, a parfois détourné l’attention des observateurs, des citoyens et des décideurs des véritables enjeux de la lutte contre cette épidémie. Les rares fois où la maladie fait encore parler d’elle dans les médias, c’est pour faire état de certaines avancées spectaculaires, mais malheureusement isolées, dans la recherche médicale. En janvier 2022, il a été rapporté que les laboratoires Moderna ont lancé la première phase de développement de trois vaccins contre le VIH en se basant sur la technologie de l’ARN messager : première étape d’un long chemin que nous espérons couronné de succès.

Obstacles à l’accès aux soins et aux traitements

Auparavant, les cas de « rémission » de malades traités avec des transplantations de cellules souches, à Berlin en 2006 ou à Londres en 2019, ont été présentés comme des tournants dans la lutte contre la maladie et ont plus fait parler d’eux que les récentes avancées des traitements préventifs, largement sous-médiatisés malgré leur efficacité. L’intérêt pour ces avancées scientifiques spectaculaires est à la mesure de l’espoir qu’elles suscitent. Mais il ne doit détourner ni l’attention ni les moyens des véritables enjeux de la lutte contre cette épidémie et de ses évolutions récentes et particulièrement inquiétantes.

Car les avancées de la recherche médicale ne profitent pas à tous les pays, et notamment pas assez aux plus pauvres. Si l’introduction de traitements à partir de 1996 a bouleversé l’évolution de la maladie dans les pays riches en améliorant l’espérance et la qualité de vie de nombreux malades, les obstacles à l’accès aux soins et aux traitements restent nombreux pour des millions de malades dans le monde. Plus inquiétant encore : les progrès en matière de réduction des nouvelles infections, d’amélioration de l’accès aux traitements et d’élimination de la mortalité ont ralenti ces deux dernières années.

Dans son rapport annuel publié au cœur de l’été et sobrement intitulé « Danger » [PDF]l’Onusida a tiré le signal d’alarme. Les « crises multiples et simultanées ayant secoué le monde » depuis 2020 ont eu un « impact dévastateur sur les personnes infectées par le VIH ». Le Covid-19 a perturbé l’accès aux traitements et aux services de prévention. La guerre en Ukraine et ses conséquences économiques ont provoqué une baisse des moyens consacrés à la lutte contre la maladie.

Risque de regain de la pandémie

Environ 38,4 millions de personnes vivent avec le VIH et 650 000 personnes sont décédées l’an dernier d’une maladie opportuniste liée au sida, soit près d’un décès par minute. En 2021, 1,5 million de nouvelles infections au VIH ont été déplorées, soit plus de 4 000 personnes par jour. Les femmes ont été particulièrement touchées, avec une nouvelle infection toutes les deux minutes.

La réponse mondiale face à cette pandémie a globalement reculé l’an dernier. La réduction des nouvelles infections au VIH a ralenti, en s’établissant à -3,6 % en 2021 par rapport à 2020, soit le recul le plus faible enregistré depuis 2016. Seulement 1,47 million de personnes séropositives supplémentaires ont eu accès à un traitement en 2021, soit la progression la plus faible depuis 2009, bien inférieure aux 2 millions de nouveaux malades traités enregistrés les années précédentes.

Sans une action résolue, l’épuisement face à la lutte contre le sida pourrait se traduire par un regain de la pandémie. Des fonds supplémentaires peuvent, et doivent, être engagés dès aujourd’hui afin d’atteindre l’objectif de mettre fin à l’épidémie de sida d’ici à 2030. Des moyens financiers importants sont nécessaires pour parvenir à cet objectif, d’après l’Onusida, et pourtant, en 2021, les ressources internationales disponibles pour lutter contre le VIH étaient 6 % moins généreuses qu’en 2010.

Sauver 20 millions de vies supplémentaires

La septième conférence de reconstitution des ressources du Fonds mondial de Lutte contre le Sida, la Tuberculose et le Paludisme, le premier mécanisme international visant à éradiquer ces trois maladies dans le monde, se déroulera le 19 septembre à New York. Elle réunira les représentants des gouvernements, de la société civile et du secteur privé, avec l’ambition de collecter 18 milliards de dollars de dons pour sauver 20 millions de vies supplémentaires d’ici à 2026, en intensifiant la lutte contre ces maladies au sein des pays à revenu faible et intermédiaire.

La France, deuxième pays contributeur au Fonds derrière les Etats-Unis, doit prendre toute sa part dans ce combat pour rattraper le retard dû à la pandémie de Covid-19, intensifier les efforts pour l’éradication du VIH d’ici à 2030 et permettre au Fonds de doubler ses investissements visant à consolider les systèmes de santé des pays fragiles et leur permettre de mieux prévenir et lutter contre les épidémies futures.

Notre pays doit se montrer à la hauteur de ces enjeux en assumant son leadership en matière de santé mondiale. Alors que la Maison-Blanche vient d’annoncer que Joe Biden présiderait lui-même la conférence des donateurs, souhaitons que le président de la République se rende personnellement à New York pour annoncer une hausse de 30 % de l’aide de notre pays par rapport à sa dernière contribution, qui soit proportionnelle à des besoins de plus en plus urgents.

Comme le Covid-19 l’a démontré, le coût de l’inaction serait bien plus élevé : nos retards, nos hésitations et nos renoncements en matière de renforcement de l’accès à la prévention et aux soins à travers le monde ne feront qu’aggraver les conséquences sanitaires de la pandémie et le coût ultérieur de leur prise en charge.

Tribune publiée sur le site de L’Obs le 6 septembre 2022.

Crédits photo : LUDOVIC MARIN | AFP