Je serai ferme vis-à-vis de tout manquement au principe de laïcité – Entretien au Figaro

Éducation nationale Publié le 20 mars 2015

A la veille de la première réunion, mardi 17 mars 2015, de vingt-cinq ministres européens de l’Éducation visant à réaffirmer nos valeurs communes, Najat Vallaud-Belkacem, ministre en charge de l’Éducation nationale, a accordé un entretien au journal Le Figaro. Retrouvez-le ci-dessous.

Le Figaro : Pourquoi avoir choisi de réunir les ministres de l’éducation ? La France et sa «laïcité à la française est-elle confrontée aux mêmes problématiques ?

Najat Vallaud-Belkacem : Dans la foulée des attentats, j’ai reçu énormément de marques de soutien de mes homologues de l’éducation, notamment lorsqu’ils ont vu la tournure que prenaient les évènements en France. Car ICI rapidement, les regards se sont tournés vers l’école. Si la laïcité à la française n’a pas d’équivalent, nous partageons avec l’Europe ces valeurs d’humanisme et de tolérance qui ont été attaquées à Paris puis à Copenhague.
Nos sociétés européennes, qui se sont construites sur le refus des fascismes et des fanatismes, sont confrontées aux radicalismes religieux et à la montée des extrêmes. L’Europe doit s’exprimer sur ce sujet. J’ai donc invité tous mes homologues. Sur 28 pays, 25 seront représentés. C’est inédit.

Le Figaro : Où en est-on du plan de mobilisation pour les valeurs de la République, annoncé le 22 janvier.

Najat Vallaud-Belkacem : Parmi les 11 mesures, nous visons notamment à répondre aux besoins énormes de formation continue des enseignants. Au lendemain des attentats, beaucoup ont eu du mal à parler liberté d’expression, laïcité, gérer le débat, les contestations dans la classe. Mille premiers formateurs sont formés depuis cette semaine et jusqu’à la mi-avril sur ces questions pour pouvoir à leur tour et d’ici la fin 2015, former 300 000 enseignants.

Le Figaro : Les quelque 200 établissements qui ont remontés des incidents dans le cadre de la minute de silence font-ils l’objet d’un suivi particulier?

Najat Vallaud-Belkacem : Oui, bien sûr. Nous avons dépêché sur place des inspecteurs pour accompagner les équipes éducatives. Nous nous sommes aussi appuyés sur des partenaires de l’école. Par exemple, Latifa Ibn Ziaten (mère d’Imad, militaire français tué à Toulouse par Mohamed Merah, NDLR) intervient dans de nombreux établissements. Les enseignants peuvent être épaulés par de «grands témoins». C’est tout le sens de la «réserve citoyenne», près de 4000 candidats se sont déjà inscrits.

Le Figaro : Selon certains, ces établissements correspondent à la même zone géographique que les Journées de retrait de l’école (JRE)…

Najat Vallaud-Belkacem : L’idée a beaucoup circulé qu’il s’agirait d’un certain type de quartier. C’est faux : les incidents se sont déroulés dans des établissements sociologiquement variés, et ce pour une raison simple : le poids de la rumeur, la théorie du complot, le relativisme permanent traverse toute la jeunesse. Certaines vidéos atroces -je pense à Daech- circulent dès le plus jeune âge. L’éducation aux médias est donc un enjeu majeur et nous la développons dans les nouveaux programmes. Au collège, les esprits ne sont pas encore suffisamment structurés pour accueillir cette masse d’information et de désinformation dont on les abreuve et dont ils s’abreuvent.

Le Figaro : En 2004, le rapport Obin faisait un état des lieux des entorses à la laïcité. Est-il question d’un nouveau rapport ?

Najat Vallaud-Belkacem : Je suis dans une démarche de transparence et de fermeté. Je suis très préoccupée par ces phénomènes de racisme et d’antisémitisme. C’est pour cela que j’ai donné instruction de signaler les incidents et d’y apporter des réponses fermes. C’est pour cela aussi que je relance cette semaine de contre le racisme et l’antisémitisme à l’école qui doit être l’occasion de déminer chez les élèves les préjugés, les stéréotypes et les rejets de l’autre qui nourrissent ces comportements. Faire la lumière sur les problèmes est le plus sur moyen de les régler.

Le Figaro : Dans le cadre d’un rapport le parti socialiste a récemment recommandé le «développement de l’enseignement privé confessionnel musulman». Qu’en pensez-vous ?

Najat Vallaud-Belkacem : En tant que ministre de l’éducation nationale, mon objectif est d’abord de veiller à développer l’enseignement public.
Pour passer un contrat avec l’État, il y a des règles : l’établissement privé doit exister depuis cinq ans minimum, respecter des programmes et des horaires nationaux. Ces règles doivent être respectées par tous les établissements privés, confessionnels ou non et quelles que soient les confessions.

Le Figaro : Après les attentats, le fait de pouvoir parler de religion de manière décomplexée, est apparu comme un avantage dans les établissements sous contrat…

Najat Vallaud-Belkacem : La singularité de l’enseignement privé c’est de parler davantage de religion, de manière assumée. Le rôle de l’enseignement public n’est pas de dire aux élèves ce qu’il faut croire ou de ne pas croire, mais de faire la distinction entre le savoir et le croire, donc de mettre à distance les religions, en les abordant sous l’angle historique, culturel, patrimonial. Ce sont deux positionnements différents.

Le Figaro : Ailleurs en Europe, l’enseignement du fait religieux a un horaire dédié. Pourquoi ne pas l’envisager en France ?

Najat Vallaud-Belkacem : L’enseignement laïque du fait religieux est déjà présent dans les programmes depuis le rapport Debray de 2002. Les professeurs nous expliquent qu’ils arrivent à parler des religions d’un point de vue historique mais qu’ils ont du mal à entrer en résonnance avec l’actualité. C’est pourquoi, cet enseignement sera renforcé. Il doit garder son caractère transversal et se retrouvera notamment dans le nouvel enseignement moral et civique (EMC) qui rentrera en vigueur à la rentrée 2015 et visera à développer l’esprit critique des élèves. Enfin, une de mes priorités reste la formation afin de mieux outiller les enseignants sur ces sujets.

Le Figaro : Vous avez donné l’impression d’être plus ouverte que Vincent Peillon sur la question des mères voilées lors des sorties scolaires… Pourquoi ?

Najat Vallaud-Belkacem : L’État, à travers ses agents, a une obligation de neutralité religieuse pour garantir une égalité de traitement entre les individus. Mais cette règle de neutralité ne vaut pas pour les mères de famille qui participent aux sorties scolaires, comme le rappelle le Conseil d’Etat.  Oui ces mères en foulard, volontaires pour aider l’école, mieux vaut le leur permettre plutôt que de les rejeter. La relation de l’enfant à l’école se construit beaucoup par sa famille. S’il voit sa mère rejetée, pensez-vous qu’il croira en l’école ? Bien sûr, cela n’enlève rien à notre intransigeance contre toute forme de prosélytisme. L’école doit être protégée et je serai ferme vis-à-vis de tout manquement au principe de laïcité.

Le Figaro : Vous allez développer à l’université des formations destinées notamment aux imams. N’est-ce pas une ingérence de l’État sur le terrain religieux ?

Najat Vallaud-Belkacem : L’État ne peut pas et ne prétend pas offrir un enseignement confessionnel aux ministres du culte. En revanche, il peut développer, et c’est ce que nous faisons, des diplômes universitaires ouverts à ces mêmes ministres du culte mais aussi à des fonctionnaires, des responsables associatifs… qui permettent l’apprentissage des valeurs de la République. Six diplômes existent déjà en France. Nous allons les développer ainsi que des «bi parcours» : les futurs imams seront invités à compléter leur parcours en institut privé religieux d’une formation en université à la laïcité, aux valeurs de la République. C’est la meilleure façon de construire une dynamique positive sans ingérence dans l’enseignement religieux mais avec des critères de qualité dans le respect des valeurs de la société française.


Propos recueillis par Caroline Beyer, Marie-Estelle Pech  pour Le Figaro – publié le 17 mars 2015.
Photo © François Bouchon/Le Figaro

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Un commentaire sur Je serai ferme vis-à-vis de tout manquement au principe de laïcité – Entretien au Figaro

  1. LANCIEN Dominique

    “Le Figaro”,terrain miné ! J’apprécie d’autant plus ce “Bon-Sens” qui Vous caractérise Najat et qui vous a donc amener à accepter cet entretien dont vous vous sortez de très belle manière.Car c’est vrai que Tous ces Gens de Droite,Eux aussi ont bien droit à un peu de votre éducation par l’intermédiaire de leur journal préféré!

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