Contrôle des écoles privées hors contrat: “L’État ne peut être ni aveugle ni naïf” – Entretien au journal Le Monde

Éducation nationale Publié le 10 juin 2016

La ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, annonce, jeudi 9 juin, un contrôle renforcé des écoles privées hors contrat – un millier d’établissements, dont 300 confessionnels – ainsi que de l’instruction à domicile qui concerne 25 000 jeunes. Elle s’explique sur ces mesures dans un entretien au Monde. Najat Vallaud-Belkacem indique qu’ “un contrôle plus clair et mieux organisé constitue une garantie pour les familles et les établissements concernés contre l’arbitraire”.

Le Monde : Pourquoi s’emparer de ce sujet maintenant ? Ne prenez-vous pas le risque de raviver une guerre scolaire public-privé ?

Najat Vallaud-Belkacem : Il n’y a aucune raison de réveiller des querelles anciennes : la protection du droit à l’éducation des enfants n’est en rien contraire à la liberté de l’enseignement. Depuis plusieurs années, les signalements – d’élus, d’inspecteurs, d’établissements, d’associations – se multiplient. Et les travaux que j’ai engagés depuis plus d’un an ont révélé une hausse des effectifs dans l’enseignement privé hors contrat comme à domicile.

L’État ne peut être ni aveugle ni naïf : on voit parfois se développer des enseignements trop lacunaires, ne garantissant aucunement un socle minimal de connaissances aux enfants, voire attentatoires aux valeurs républicaines. Un peu partout, on réclame plus de responsabilité de la part de l’État sur ces sujets. Et c’est justement ce que l’on s’apprête à faire.

La scolarisation hors des sentiers battus est à la hausse. Défiance à l’égard du système, symptôme d’un échec de notre école. Comment analysez-vous cette progression ?

Je ne veux pas m’ériger en juge des choix des parents, que je respecte. Les familles sont de plus en plus nombreuses à aspirer à une plus grande autonomie, une plus grande diversité pédagogique. Et cette tendance-là est mondiale : au Canada, le nombre d’enfants scolarisés à la maison a été multiplié par trois depuis 2012, pour atteindre 60 000 ; aux Etats-Unis, il est passé en une décennie de 850 000 à 1,8 million.

Cela se double parfois, en France comme ailleurs, d’un repli identitaire. Quand on constate un accroissement de 30 % des enfants instruits à domicile, comme c’est le cas chez nous ces quatre dernières années, l’État a le devoir de s’en saisir.

Vous évoquiez, en avril, un « contexte de radicalisation ». Y-a-t-il, concrètement, des motivations idéologiques ou communautaristes dans les structures ou chez les familles inspectées ? Que sait-on, d’ailleurs, de leurs motivations ?

Ma politique n’est pas guidée par la seule lutte contre la radicalisation, mais par la nécessité de garantir le droit à l’éducation de tous les enfants. Reste que, jusqu’à présent, ces deux pans de l’instruction étaient quasiment des angles morts du système éducatif.

Faire toute la transparence, c’est aussi combattre les fantasmes et les raccourcis trompeurs. J’ai renforcé les contrôles et diligenté en ce sens – et nous continuerons à le faire – des inspections renforcées et inopinées d’établissements qui suscitaient des inquiétudes. Elles ont permis d’identifier non pas des situations de radicalisation mais de vraies failles pédagogiques. Au moins cinq de ces écoles vont faire l’objet d’un signalement à la justice en vue d’une fermeture.

Ces situations, minoritaires, justifient-elles de modifier le droit et d’accroître le contrôle de l’Etat sur ces structures, ces familles ?

Pensez-vous normal, dans le contexte actuel, qu’une école soit ouverte du simple fait d’une déclaration, autrement dit plus facilement qu’un café ou un restaurant ? Passer à un régime d’autorisation préalable est une démarche pragmatique réclamée à gauche comme à droite, et récemment encore par l’Association des maires de France.

Cette évolution s’inscrit dans une démarche plus large. Nous nous sommes dotés de nouveaux outils – circulaire, mission élargie d’inspections générales, guide opérationnel – et les visites d’inspecteur se font plus fréquentes : de trois cents à quatre cents par an dans le hors-contrat, outre une cinquantaine d’inspections inopinées. Une par an dans les familles.

Nombre de familles dénoncent des contrôles arbitraires. Reconnaissez-vous des failles dans ces inspections ?

Un contrôle plus clair et mieux organisé constitue une garantie pour les familles et les établissements concernés contre l’arbitraire. Des manquements existent bien, y compris du côté de l’éducation nationale.

Aujourd’hui, un tiers des élèves instruits à domicile ne sont pas inspectés. Nous allons mobiliser des moyens humains, en faisant appel à des enseignants volontaires en appui des inspecteurs. Les modalités et le lieu des contrôles vont être clarifiés pour éviter les contentieux avec les parents et permettre une vérification sereine de la progressivité des apprentissages, y compris en introduisant des exercices à l’écrit ou à l’oral en référence au « socle commun » de connaissances et de compétences.

Il ne faut pas y voir une obligation de résultat, simplement un outil de dialogue pédagogique avec la famille.

On se souvient, en 2014, de la campagne de désinformation – parfois de calomnie – lancée dans les milieux traditionalistes, catholiques comme musulmans, contre l’enseignement d’une prétendue « théorie du genre »… Les appels au « retrait de l’école » ont-ils été suivis d’effets ?

On peut sans doute trouver la trace de ces campagnes calomnieuses, mais leur impact est marginal. L’instruction à domicile n’est pas concentrée dans les seuls quartiers populaires et ne concerne pas, comme certains ont voulu le laisser croire, les filles plus que les garçons. Évitons d’alimenter les caricatures.

Beaucoup de familles, et même la majorité des écoles hors contrat, se démarquent de toute référence confessionnelle, pour revendiquer leur droit à la liberté d’instruction qu’elles estiment en danger. Que leur répondez-vous ?

Qu’un contrôle plus sécurisant et plus clair est de fait le meilleur allié de la liberté d’enseignement.


Propos recueillis par Mattea Battaglia pour Le Monde.

Photo © Philippe Devernay / MENESR

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