« Le grand renoncement promis par Marine Le Pen », par Najat Vallaud-Belkacem – Tribune dans L’Obs

Éducation nationale Publié le 20 avril 2022

Carte blanche – L’ancienne ministre de l’Education nationale décrypte les conceptions lepénistes en matière internationale et souligne leurs graves conséquences pour le pays.

Marine Le Pen est donc aux portes du pouvoir. Avec 23,15 % des suffrages au premier tour, la candidate du Rassemblement national dépasse son score de 2017 et affronte désormais un président sortant affaibli en disposant de réserves de voix conséquentes. Après une campagne de premier tour éclipsée par l’actualité et trop souvent chroniquée de manière superficielle, il est plus nécessaire que jamais d’analyser le projet politique de la candidate d’extrême droite et ce qu’il signifierait pour le pays en cas d’élection.

La semaine dernière, Marine Le Pen est longuement revenue lors d’une conférence de presse sur ses propositions en matière de politique étrangère, comme dans une vaine tentative pour rassurer les Français sur ses intentions.

Beaucoup a été écrit sur sa complaisance avec les régimes autoritaires, sur les risques de démantèlement de nos alliances en raison de ses positions sur l’Otan, sur la crise inédite à laquelle l’Union européenne ferait face si la France décrétait la « suprématie » de ses lois sur le droit européen ou tournait le dos au moteur de la construction européenne qu’est le couple franco-allemand, comme elle le propose. Sa présentation de l’Allemagne « comme le négatif absolu de l’identité stratégique française » marque même un tournant radical dans notre politique européenne et prépare le terrain à de graves crises avec notre voisin. Autant de conséquences de son accession au pouvoir qui ne manqueraient pas de faire le bonheur de nos concurrents, voire de nos adversaires, sur la scène internationale. Vladimir Poutine s’en frotte déjà les mains.

Mais il est d’autres conceptions lepénistes des relations internationales qui ont moins retenu l’attention, alors que leurs conséquences n’en seraient pas moins graves pour notre pays.

Rejetant la place prise par les « prétendus grands enjeux globaux, féministes ou environnementaux définis par telle ou telle agence de l’ONU ou par exemple par le Giec » dans notre action internationale, qu’elle juge « asphyxiants pour l’outil diplomatique français », Marine Le Pen n’annonce ainsi rien de moins que le désengagement de fait de la France de toute action internationale mise en œuvre de manière multilatérale, et la fragilisation de l’ONU et de ses programmes. Parmi eux, rassemblés au sein des 17 objectifs mondiaux pour le développement durable, on ne trouve rien de moins que la lutte contre l’extrême pauvreté et la faim dans le monde, contre les changements climatiques, pour la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes. Quelle crédibilité pour une grande nation qui tournerait ainsi le dos à sa juste contribution à la lutte contre les inégalités mondiales et à ces combats de l’humanité pour sa survie ?

Féminisme année zéro et égoïsme vaccinal

Il faut reconnaître à Marine Le Pen de la constance dans ses combats antiféministes. Elle a voté contre la résolution du Parlement européen du 9 juin 2015 sur l’égalité entre les femmes et les hommes, et s’est opposée avec la même vigueur en 2016 au plan d’action de l’UE sur l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes dans le cadre de la coopération au développement. C’est donc fort logiquement qu’en février dernier, elle a été la seule candidate, main dans la main avec Éric Zemmour, à refuser de faire de la lutte contre les inégalités femmes-hommes un objectif de sa politique internationale lors du Forum France international organisé par l’institut Open Diplomacy. Son élection, ce serait le grand bond en arrière pour les droits des femmes en France, en Europe, et dans le monde.

En rappelant lors de sa conférence de presse que la lutte contre le réchauffement climatique ne ferait plus partie de ses « priorités diplomatiques », et en tournant le dos à une action volontariste en matière de réduction des émissions française de CO2, elle acte également une sortie de facto de la France aux accords de Paris de 2015, au moment précis où l’atteinte de leurs objectifs nécessite un leadership renouvelé. La voix de la France dans le monde sur cet enjeu majeur que représente la lutte contre réchauffement climatique, qui dépend aussi de la crédibilité de sa politique énergétique, s’en trouverait durablement affaiblie.

Marine Le Pen prétend que sa seule boussole en matière de politique internationale serait « la protection et la promotion des intérêts de la France quels qu’ils soient dans le monde ». C’est simple et basique, donc cela paraît séduisant. Mais c’est en réalité un peu court, et trompeur.

Elle s’oppose à la levée des brevets sur les vaccins

La candidate qui aimait flirter avec les antivaxs pour contester les mesures sanitaires du gouvernement, se révèle par exemple la meilleure alliée des intérêts de « Big Pharma » sur la scène internationale. Elle s’oppose à la levée des brevets sur les vaccins contre le Covid-19 et se pose ainsi en défenseure des profits des plus grandes entreprises pharmaceutiques, dont elle dit craindre le manque de coopération future si elles se trouvaient privées de quelques bénéfices par une telle décision. Pourtant, la levée des brevets sur la propriété intellectuelle n’empêcherait pas les entreprises pharmaceutiques de rester profitables : elles pourraient toujours librement fixer le prix de vente de leurs traitements et vaccins, même s’il serait souhaitable de les vendre à prix coûtant pendant la pandémie. En revanche, cela permettrait aux pays en développement de produire leurs propres vaccins et ainsi d’augmenter la production mondiale. La diffusion rapide des vaccins est la seule manière de nous protéger durablement contre le virus et ses variants. La pandémie a montré qu’en matière sanitaire, l’indifférence et le repli sur soi mettent en danger, tandis que la solidarité et la coopération protègent : l’égoïsme vaccinal du RN nous met en danger.

En déclarant souhaiter mettre en place « une politique de coopération et de développement plus efficace et moins dispendieuse », Marine Le Pen ne fait que reprendre à son compte les critiques anciennes de la solidarité internationale présentée comme un gaspillage de l’argent des contribuables. Mais comment peut-on ainsi continuer de préférer, pour reprendre l’expression célèbre, « la Corrèze au Zambèze » alors même que dans tous les domaines, les interdépendances dans le monde sont désormais si fortes ? L’aide au développement sert aussi l’intérêt des pays donateurs, dont ceux de la France et des Français, et l’objectif d’y consacrer 0,7 % du RNB doit être poursuivi pour cette raison, parmi d’autres. Comment feindre d’ignorer qu’une épidémie qui apparaîtrait sur les rives du fleuve Zambèze ne puisse pas avoir de conséquences sanitaires en Corrèze, ou que les températures augmentent à Brive-la-Gaillarde comme à Maputo en raison du même réchauffement climatique ?

La candidate du RN ne considère en réalité la politique française de coopération internationale que comme un levier de chantage dirigé contre les pays pauvres. Elle n’envisage la politique d’aide au développement qu’au travers de son instrumentalisation, au service de ce qu’elle définit comme les intérêts commerciaux, diplomatiques ou migratoires de la France.

Elle déclare ainsi vouloir priver d’aide publique au développement les pays « refusant la mise en œuvre d’accords de réadmission de leurs ressortissants indésirables ». Ce conditionnement de l’APD est contraire au droit français (loi du 4 août 2021) et européen (article 2018 TFUE) qui rappelle que ses objectifs sont la lutte contre l’extrême pauvreté dans le monde. Mais surtout, un tel conditionnement s’est toujours révélé inefficace pour freiner les migrations, comme l’a démontré le PNUD en novembre 2019. Seules les populations les moins pauvres ont aujourd’hui les moyens de quitter leur pays, la lutte contre l’extrême pauvreté ne peut avoir pour premier objectif de réduire les migrations.

Elle entend également soumettre notre politique de coopération aux « priorités politiques et commerciales de la France » et « limiter l’APD aux pays amis de la France », révélant ainsi sa volonté de recréer, par une diplomatie du carnet de chèques, un espace d’influence en s’achetant la loyauté et la soumission de régimes en mal de liquidités. Ce n’est, ni plus, ni moins, que le retour de la Françafrique, dans une version qui ne cherche même pas à dissimuler son cynisme néocolonial.

Le lepénisme, un variant du trumpisme

La vérité, c’est que Marine Le Pen ne pense pas le rôle de la France dans le monde, son action pour prévenir les crises mondiales, sa contribution aux objectifs définis dans le cadre de la communauté internationale, son influence sur les grandes évolutions économiques, sociales, sanitaires ou migratoires, encore moins son rayonnement moral ou son attractivité scientifique et économique, qui sont les vrais leviers de son influence.

Sur le plan international, le lepénisme ne serait en vérité qu’un variant du trumpisme : la complaisance avec les revendications impérialistes de régimes autoritaires, le renoncement à promouvoir par le dialogue les valeurs démocratiques d’égalité, de liberté, de tolérance ainsi que le respect de l’Etat de droit, la mise en œuvre d’une loi du plus fort dans le rapport de la France aux pays du Sud, un rapport de comptable grippe-sou avec les institutions multilatérales, et la seule promotion des intérêts boutiquiers de court terme de la France dans son rapport au monde. Le lepénisme c’est aussi la fin du respect des droits humains sur l’ensemble de la planète, à commencer par le droit de tout être humain à demander l’asile en France, droit inscrit dans notre Constitution.

Sa France est un pays replié sur lui-même, tournant le dos à ses valeurs qui suscitent pourtant l’admiration à l’étranger, et refusant les migrations scientifiques et étudiantes jugées suspectes d’abriter des clandestins en puissance à l’heure de la compétition mondiale pour le savoir. Un pays défiant à l’égard de l’Europe, hostile à son voisinage méditerranéen, néoimpérialiste à l’égard des pays francophones et finalement isolé, donc impuissant.

La politique internationale de l’extrême droite, ce n’est donc rien d’autre qu’un grand renoncement à promouvoir sur la scène internationale des valeurs de justice, d’égalité et de solidarité, à œuvrer pour et à faire respecter des droits humains durement acquis au cours de notre histoire, à faire entendre la voix singulière de notre pays, à lui permettre de rayonner sur la scène internationale, et à lui donner les moyens de peser réellement sur les grands enjeux géopolitiques de l’époque.

Il n’est pas trop tard pour faire barrage à ce danger pour la France et le monde.

Najat Vallaud-Belkacem, ONE Action.

Crédits photo : Carine Schmitt / Hans Lucas

Tribune publiée le 19 avril 2022 sur le site de L’Obs.