Carte blanche – L’ancienne ministre de l’Education nationale, aujourd’hui directrice France de l’ONG One, rappelle que, deux ans après le début de la pandémie, près de 3 milliards de personnes attendent toujours leur première injection.
Nos dirigeants seraient-ils frappés de surdité sélective ? Tout comme ils feignent de ne pas entendre les alarmes du Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (Giec) lorsqu’il s’agit du climat, ils s’illustrent également par leur capacité à ignorer les appels des experts, des activistes et des citoyens à travers le monde pour une distribution plus égalitaire, et donc plus efficace, des vaccins, traitements et tests contre le Covid-19.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) est pourtant claire : la pandémie est loin d’être finie. L’Allemagne vient d’enregistrer le nombre de cas quotidiens le plus élevé de son histoire, avec une moyenne sur 7 jours de près de 257 000 cas, tandis que la France en a enregistré plus de 160 000. Au Royaume-Uni, la situation chaotique de l’aéroport d’Heathrow, où une grande partie des vols ont été annulés en raison des arrêts maladie du personnel pour cause de Covid-19, illustre la fragilité d’un « retour à la normale » dans lequel le virus continue de circuler, et donc d’évoluer et de menacer de réduire à néant tous nos efforts pour tourner la page.
Pourtant, nous ne sommes toujours pas parvenus à distribuer les vaccins, les tests et les traitements partout où ils sont nécessaires. Deux ans après le début de la pandémie, les fabricants produisent 1,5 milliard de doses de vaccins par mois, mais près de 3 milliards de personnes dans le monde attendent toujours leur première injection. En mars, moins d’un tiers des pays d’Afrique ont atteint les taux de dépistage recommandés par l’OMS, ce qui ouvre la porte aux spéculations quant au nombre réel de cas et de décès sur le continent. Si certains continuent d’affirmer que de nombreux pays africains ont été relativement épargnés par le virus, les 250 000 décès excédentaires de l’Afrique du Sud en 2020 et 2021, attribués à des « causes naturelles », tout comme les tests effectués dans une morgue à Lusaka, en Zambie, en plein pic de la pandémie, montrant que jusqu’à 90 % des corps qui y reposaient étaient positifs au Covid-19, devraient nous appeler à la plus grande prudence.
Le leadership doit venir de l’Europe
L’augmentation des cas en Europe et en Asie devrait en effet nous alarmer, car les pays africains suivent la tendance des pays riches à la levée des mesures Covid-19. Alors qu’à peine 15 % de la population africaine est entièrement vaccinée, la plupart des pays ont abandonné les mesures sanitaires préventives telles que la distanciation sociale, les masques et les limites de capacité dans les espaces publics. Le Ghana, par exemple, dont le taux de vaccination ne dépasse pas les 16 %, est l’un des derniers pays africains à avoir assoupli les restrictions liées à la pandémie, en levant l’obligation de porter un masque en public. Le gouvernement ghanéen aurait-il levé ces restrictions dans le but d’accélérer sa reprise économique, à la suite d’une dégradation de sa notation sur les marchés financiers ? Il est en tout cas loin d’être le seul : une vingtaine de pays africains ont désormais cessé de recenser les cas contacts et n’exigent plus de quarantaine pour les personnes exposées au virus.
Notre incapacité à proposer une réponse globale et coordonnée contre la pandémie et à répéter nos erreurs est édifiante. Malgré le fait que les pays riches aient déjà vacciné plus de 75 % de leur population, les premières livraisons du nouveau vaccin Covid-19 Novavax sont allées aux pays riches – en France, elles sont arrivées en février – au lieu du mécanisme Covax, qui avait pourtant investi 388 millions de dollars pour accélérer son développement et s’en procurer les premières doses.
Alors que l’administration Biden semble avoir indéfiniment reporté le sommet sur la lutte contre le Covid-19 qu’elle avait promis et que les efforts pour que le Congrès américain approuve de nouveaux financements restent au point mort, le leadership dont nous avons besoin pour mettre fin à la pandémie doit venir de l’Europe. L’Allemagne accueille cette semaine un sommet visant à réunir 5,2 milliards de dollars pour financer l’accès aux vaccins des pays pauvres et la préparation aux prochaines pandémies. La France devra répondre présente et augmenter sa contribution à la lutte mondiale contre le virus. Alors que le monde doit faire face à 1,5 million de nouveaux cas de Covid-19 par jour en moyenne, que les conséquences économiques de la pandémie, combinées aux conflits et au changement climatique poussent près de 900 millions de personnes dans l’insécurité alimentaire, il est temps que nos dirigeants cessent de faire la sourde oreille.
Tribune publiée dans L’Obs le 8 avril 2022.
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