Najat Vallaud-Belkacem : « L’Europe et l’Afrique enfin d’égal à égal ? » – Tribune dans L’Obs

Presse ONE Publié le 19 février 2022

Carte blanche – A l’occasion du sommet réunissant l’Union européenne et l’Union africaine, l’ex-ministre de l’Education nationale, aujourd’hui directrice France de l’ONG One, analyse les enjeux d’un partenariat équitable qui n’a pas encore vu le jour…

Pour la première fois depuis 2017, les dirigeants européens et africains se rencontrent à Bruxelles, jeudi 17 et vendredi 18 février, pour le sixième sommet entre l’Union européenne (UE) et l’Union africaine (UA), dont l’ambition est de poser les bases d’une refondation du partenariat entre les deux continents. Dans un contexte de pandémie mondiale, de crise climatique, et face aux appétits de la Chine sur le continent africain, l’Europe se montrera-t-elle à la hauteur des enjeux ?

Rien n’est moins sûr. Car de nombreux choix européens en direction de l’Afrique ces dernières années sont marqués par une absence d’ambition qui illustre le manque de volonté politique d’un continent européen qui avance en ordre dispersé.

Voir grand et investir massivement

L’égoïsme vaccinal de l’Union européenne, qui malgré des taux de vaccination importants continue à bloquer des mesures clés qui permettraient de faire progresser l’équité vaccinale, est à ce titre apparu pour ce qu’il est : irrationnel et injuste, alors que près de 12 % de la population africaine est aujourd’hui entièrement vaccinée. Les promesses des pays du G20, lors du sommet de Rome en octobre 2021, de parvenir à vacciner 70 % de la population mondiale d’ici à mi-2022 n’ont à ce jour pas traversé la Méditerranée.

Sans vaccination des populations des pays vulnérables, il est illusoire d’espérer freiner l’apparition de nouveaux variants qui continueront de menacer nos vies et nos économies. Plus qu’un nouveau partage des doses, c’est d’un renforcement de leurs capacités de production et de distribution dont les pays africains ont besoin. L’Afrique, qui importe aujourd’hui 99 % de ses vaccins, s’est fixé pour objectif d’en produire localement 60 % d’ici à 2040. Ses dirigeants réclament une dérogation temporaire aux accords sur la propriété intellectuelle qui, accompagnée d’un transfert de technologies et d’investissements massifs, permettrait de produire plus de vaccins en Afrique pour l’Afrique. L’inflexibilité de la stratégie européenne, qui défend ses intérêts économiques et industriels avant l’intérêt général de la planète, pourrait compromettre durablement les résultats de ce sommet.

L’Europe doit également soutenir la relance économique de l’Afrique. Avec le ralentissement de la croissance, une inflation bondissante et une dette de plus en plus lourde, l’augmentation de l’extrême pauvreté en Afrique subsaharienne sera deux fois plus importante en 2021 par rapport aux prévisions, et pour la première fois depuis plus de vingt ans, l’extrême pauvreté augmente dans le monde. L’UA a estimé à 154 milliards de dollars (135 milliards d’euros) le besoin de financement additionnel pour contenir le choc de la pandémie et amorcer sa relance économique.

Dans ce contexte, l’UE a annoncé vouloir mobiliser plus de 150 milliards d’euros d’investissements sur la période 2021-2027. Alors que la Chine achète son influence par des investissements colossaux, l’Europe doit voir grand et investir massivement dans les services sociaux essentiels, les infrastructures, le climat et l’agriculture durable. Ce sont 15 millions d’emplois par an qu’il faut créer en Afrique pour faire face à l’augmentation de la population, ce qui implique des politiques de développement durable et une coopération à long terme.

Mais les budgets européens d’aide publique au développement s’avèrent à eux seuls insuffisants. Pour dégager de nouvelles ressources, la réallocation des droits de tirage spéciaux (DTS) émis par le Fonds monétaire international (FMI) vers les pays les plus pauvres, promise à hauteur de 100 milliards de dollars additionnels lors du sommet du G20 de Rome, doit s’accélérer pour attribuer à aux pays africains ces financements cruciaux pour la santé de leur économie. Faute de quoi, ces actifs de réserve du FMI resteraient inutilisés s’ils demeuraient en la possession des seuls pays les plus riches : 94 % des DTS des pays développés ne sont pas utilisés, quand l’Afrique en a déjà utilisé 52 %. Enfin, les pays européens doivent assumer leurs responsabilités en apportant des réponses à la crise croissante de la dette en Afrique, où 21 pays sont déjà surendettés ou en faillite.

Créer les conditions de partenariats mutuellement bénéfiques

L’enjeu de ce sommet entre l’UE et l’UA, ce n’est donc rien de moins que de parvenir à bâtir, dans tous les domaines, une relation partenariale qui soit enfin d’égal à égal. C’est la seule voie possible pour faire face efficacement aux enjeux sanitaires, climatiques, économiques, migratoires du moment. L’Europe ne doit pas négliger l’importance pour son avenir du partenariat privilégié avec l’Afrique. L’Afrique, de son côté, n’a pas besoin de charité, mais d’investissements pour renforcer ses capacités de développement.

A l’heure où les bruits de bottes à la frontière ukrainienne accaparent son attention, l’UE doit assumer ses responsabilités sur la scène internationale, sauf à laisser le champ libre aux seules ambitions africaines de la Chine et des pays émergents. La France, aujourd’hui mobilisée par son repli au Mali, ne doit pas résumer sa politique africaine à l’illusoire défense d’un précarré, mais saisir l’occasion de sa présidence semestrielle du Conseil de l’UE pour créer les conditions de partenariats mutuellement bénéfiques, au cœur desquels l’entraide occupe une place centrale, et donner un nouvel élan aux relations avec ce continent.

L’UE doit devenir pour l’Afrique un partenaire sérieux et crédible. Le recyclage des promesses du passé ne suffira pas à convaincre de sa volonté d’y parvenir. Il ne saurait y avoir de partenariat stratégique sans priorités réellement partagées, ni de réponse aux défis mondiaux sans un nouveau souffle donné à la coopération et à la solidarité internationale. Rien ne coûterait plus cher qu’une occasion manquée.

Tribune publiée le 17 février 2022 sur L’Obs.